Critique de La Table du Palace, à Lausanne
Nous avons testé le restaurant 2 étoiles Michelin du chef Franck Pelux

Sous les stucs du cinq étoiles du centre de Lausanne où il vient d’obtenir sa deuxième étoile Michelin, le cuisinier français découvert dans Top Chef livre une cuisine qui ravit le cœur autant que le palais dans une ambiance (presque) comme à la maison.
Publié: 20.01.2024 à 12:06 heures
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Dernière mise à jour: 20.01.2024 à 17:19 heures
Jennifer Segui

Ce repas fin décembre à la Table du Palace, le restaurant du Lausanne Palace qui a décroché sa deuxième étoile en novembre dernier, me laissera des souvenirs. D'abord parce que c'était une belle occasion et un nombre d'années tout rond à fêter, mais aussi et surtout parce que la cuisine y est merveilleuse.

A la tête de ce resto, un duo amoureux: le chef Franck Pelux, 35 ans, officie en cuisine (mais pas que…) tandis que sa compagne Sarah Benahmed, s’active en salle entourée d’une équipe dont la jeunesse surprend, avant de ravir.

Installé au Palace en 2021, le couple y fait, depuis, souffler un vent de nouveauté, à travers une façon bien à eux de vivre leur métier et d’accueillir leurs clients gourmands. Tout en offrant une cuisine de haut rang qui leur a valu cet automne de décrocher un deuxième macaron Michelin.

Photo: DR

Interrogé sur ce qui a fait la différence pour ce deuxième macaron, Franck Pelux parle de «liberté», d’une cuisine «plus exempte de carcan», de «cartes plus resserrées» autour de ce qu’il aime.

Une table gastro sans nappe

Fils de restaurateurs, ce chef atypique a grandi en Bourgogne dans une famille où l’on se régalait autant des plats en sauce au vin de la région que de tajines concoctés par sa maman algérienne.

Passé par des brigades étoilées, dont celle de Yannick Alléno au 1947 de Cheval Blanc à Courchevel, il est révélé au public par l’émission «Top Chef», dont il est finaliste en 2017. Riche de ce parcours et d’une poignée d'années passées en Asie, les indissociables Franck et Sarah s'installent au Crocodile, à Strasbourg, où le couple décroche une étoile et un Prix Michelin 2019 de l’accueil et du service.

A Lausanne depuis maintenant trois ans, le couple, désormais parents d’une petite fille, ne cesse de faire parler de lui à travers une cuisine moderne, riche en émotions, voulue fidèle aux produits du terroir. Mais aussi reflet de ce qu’ils sont, de leurs origines et de leurs voyages.

Dans la salle avec vue sur le lac, redécorée par leurs soins, dont j'ai trouvé l’éclairage tout de même un peu froid en soirée, Sarah Benahmed n’était ce soir-là pas présente, mais très bien incarnée dans l’esprit par une équipe de jeunes femmes et de jeunes hommes aussi souriants que pros. Après la surprise de s'asseoir autour d’une table sans nappe, mais recouverte d’un beau cuir taupe pleine fleur, place aux amuse-bouches autour d’un très joli champagne rosé d’une petite maison française répondant au doux nom de Perle du Paradis.

La cuisine de Franck Pelux séduit toutes les générations

Pour accompagner cette effervescence, un délicieux œuf en meurette servi dans une coquille donne le ton d’un menu en six instants dans lequel la Bourgogne n’est jamais très loin. Un plat de terroir proposé en touche légère dans lequel œuf et goûteuse sauce au vin s’harmonisent sous le craquant d’un petit croûton tout rond. Avant de ne faire qu’une bouchée d’une ravissante tartelette qui éclate en bouche comme une bulle gélifiée pour laisser s’échapper un accord réussi entre la terreuse betterave, l’énergique pomme verte, et la saveur asiatique du wasabi et de quelques grains de sésame torréfiés qui réveille le palais.

Photo: Jennifer Segui

Dans la salle, complète ce jeudi soir, les clients de tous âges, bande de copains, familles et messieurs dames attentifs, prouvent au passage que la cuisine de Franck Pelux semble séduire toutes les générations et tous les styles, de ceux qui en font une fête comme les habitués des grandes tables.

A travers la vitre qui sépare salle et cuisine, la brigade, elle presque aussi juvénile et mixte qu’en salle, travaille sereinement. Et c’est en salle qu’on aperçoit finalement le chef qui, aussi à l’aise dans les deux univers, virevolte entre les tables pour serrer la main des convives et leur souhaiter la bienvenue, donner des explications sur ses créations, déposer une assiette aux côtés de son équipe ou verser une lichette de sauce.

Pot-au-feu revisité

En premier plat, le pot au feu arrive impeccablement dressé selon une succession de tranches entre paleron de bœuf, carottes gourmandes et cèleri moelleux. Rehaussé d’un petit coussinet de pâte soufflée, ce plat fondant se déguste à la cuillère, geste qui permet d’emporter avec son contenu ce délicieux bouillon boosté au raifort et ces quelques grains de caviar venus apporter une vivifiante pointe d’iode.

Venu nous poser la saucière sur la table, Frank Pelux nous donne gentiment l’ordre de finir la sauce. Ce qui sera fait sans qu’il n’ait besoin d’insister. Et ce juste avant qu’un os à moelle surmonté d’osciètre viennent appuyer l’accent terre et mer et ajoutent un brin d’esprit canaille à ce plat réjouissant. Si l’on dit que le meilleur est pour la fin, je l’ai personnellement trouvé dès cet incipit, tant le bonheur de goûter les réminiscences de ces saveurs réconfortantes étaient au rendez-vous.

Avec Franck Pelux, on sauce les sauces

Le deuxième plat ne manque pas d’audace et à peine l'assiette posée sur la table, les effluves d’épices qui arrivent déclenchent le voyage sensoriel. Direction l’Afrique du nord. Moelleux à souhait, le homard posé entre une croquante briouate en feuilles de brick et une fondante carotte cuisinée en tajine apporte toute sa noblesse, associé à cette délicieuse sauce relevée de ras el hanout. Là, aussi, la saucière généreuse est repartie délestée de son contenu.

Voulu comme un hommage à la Bourgogne et au regretté chef Bernard Loiseau, dont la version rôtie aux échalotes et au vin rouge était un des plats emblématiques, le sandre fondant relevé d’un jus persillé est le plat qui m’a le moins touché. Sans doute le fait que je ne suis en général peu emballée par les poissons blancs.

L’assiette suivante, soit la fusion entre une tendrissime pièce de bœuf de race limousine délicatement maturée, et l'arachide déclinée en croûte et en condiment m’a enchantée. Bravo pour cette association entre la saveur animale et l'onctueux sucré salé de la cacahuète.

Photo: Jennifer Segui

En guise de fromage, le savant jeu de textures autour du Mont d’Or de la Vallée de Joux s'articule autour d’un petit toast chaud de fromage fondu et d’une surprenante glace au vacherin sublimée par de fines lamelles de truffes. On y atteint des sommets de délicatesse.

Enfin, pour le dessert, avis de fraîcheur autour d’un accord subtil entre la puissance aromatique de la clémentine et la délicatesse d’un nuage au genmaicha aux notes torréfiées, le thé préféré de Sarah.

Un épilogue parfait pour clore un inoubliable menu riche en surprises et en émotions. Qui sait garder le cap, tout en nous faisant voyager aux quatre coins du monde. Un repas familial chaleureux qui se termine avec le sentiment d’avoir fait la connaissance d’un couple et de son univers. On reviendra pour leur cuisine. Tout autant que pour eux.

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