Le lion's mane, star végan
Le lion's mane, un champignon exotique que les chefs s’arrachent

Vous aimez les champignons sous toutes les formes ? Celui-là ne devrait pas vous décevoir…
Publié: 16.03.2024 à 10:04 heures
Tania Brasseur

«Pompon blanc». Que cache ce nom mystérieux qui figure au centre la carte du restaurant Luciole à la Chaux-de-Fonds? Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, il ne s’agit pas d’un dessert, mais d’un champignon. C’est même l’un des ingrédients phares de cette nouvelle adresse gastronomique, entièrement dédiée à la cuisine végétale.

«Mushroom Boom»

Plus connu sous le nom de lion’s mane (qui signifie «crinière de lion»), cet étrange champignon sphérique fait en effet penser à un gros pompon blanc. C’est la scène gastronomique végane qui a été la première à le populariser, aux États-Unis et au Royaume-Uni, il y a quelques années. Les champignons charnus, notamment les pleurotes, font alors l’objet d’un véritable engouement comme alternative à la viande. À l’époque, le chef Danny Baker et la sommelière Anne-Gabrielle Dubuis, le duo aujourd'hui à la tête de Luciole, découvrent le lion’s mane à Londres, où ils travaillent tous les deux dans des restaurants étoilés.

La culture s’effectue dans des chambres fermées, à l’atmosphère contrôlée.
Photo: Tania Brasseur

Un goût unique

Pour le chef Danny Baker, le lion’s mane n’a que des qualités. Il se prête idéalement à sa conception poétique, spontanée et hédoniste de la cuisine végétale. Sa texture dense et son goût délicat de noisette, aux notes fumées et légèrement amères, offre d’innombrables possibilités créatives.

Ça ressemble à un steak, mais c'est un champignon: le lion's mane est l'ingrédient à la mode dans les cuisines véganes.
Photo: DR
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Sur internet, le lion’s mane est souvent vanté pour ses saveurs de homard. «Une légende urbaine», selon Floyd Sarria, fondateur de Floyd Fungi, qui cultive ce champignon à Pompaples, dans le canton de Vaud. En revanche, il lui trouve aussi un goût unique: «Il est souvent apprécié des gens qui n’aiment pas les champignons.»

En cuisine, Danny Baker le travaille en trois étapes: il commence par le poêler en le compressant avec un poids afin de le rendre encore plus dense. Puis, il le met à braiser dans un mélange de whisky 10 ans d’âge et de beurre végétal de son propre cru. Enfin, il le découpe et le passe au grill sur du bois de cerisier.

Saignant, mon champignon

La technique qui consiste à compresser le champignon avant de le griller a été largement diffusée sur les réseaux sociaux par le chef végan américain Derek Sarno, fondateur du site Wicked Kitchen.

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Derek Sarno pousse le vice jusqu’à faire plonger le lion’s mane dans une marinade additionnée de betterave en poudre afin d’imiter l’aspect d’un steak bien saignant. Visuellement, le résultat est bluffant et a de quoi séduire le plus coriace des viandards.

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Ne pas « faire semblant »

Le chef du restaurant Luciole n’a pas choisi le lion’s mane pour faire de la viande avec du végétal. «Il est clair que dans l’assiette que nous servons, on pourrait considérer que le lion’s mane remplace la viande. Mais ce n’est pas ma motivation», explique-t-il. Pour lui, la vraie cuisine végétale ne doit pas «faire semblant». Elle doit trouver sa propre identité pour s’imposer. Ce qui compte selon lui, c’est l’explosion des saveurs.

Mais ce n’est pas tout. Car la philosophie du Luciole, c’est aussi d’ancrer la gastronomie dans une production locale et bio, en réduisant au maximum le gaspillage. C’est là que le lion’s mane représente un autre atout. Il peut être déshydraté et réutilisé, notamment en poudre, comme substitut de café. C’est d’ailleurs sous cette forme que Danny Baker l’a découvert la première fois. De toutes les alternatives au café, c’est la meilleure qu’il connaisse.

Un remède traditionnel chinois

C’est aussi principalement sous forme de poudre que le lion’s mane est commercialisé sur internet. Il faut dire que la réputation de ce champignon ne date pas d’hier. Depuis des siècles, il est employé en médecine traditionnelle chinoise. Outre ses qualités nutritionnelles, on lui attribue de multiples vertus thérapeutiques, que viennent corroborer de sérieuses études médicales aujourd’hui. Il aurait en autres des propriétés très intéressantes au niveau de l’immunité et des fonctions neuro-cognitives.

Des lion's mane chez Floyd Fungi.
Photo: Tania Brasseur

Du fait de cette tradition médicinale, la crinière de lion fait partie des champignons les plus consommés en Chine, où il est appelé tête de singe. En français, on le connaît sous le nom d’hydne hérisson. Bref, c’est un zoo à lui tout seul. Depuis son revival gastronomique, on le trouve aussi sous le nom de pompon blanc, en français.

Pas si exotique que ça

À l’état sauvage, Hericum ericaneus (c’est son nom scientifique) pousse dans tout l’hémisphère nord. Il s’épanouit sur les vieux arbres feuillus, comme le chêne ou le hêtre. En France, le naturaliste Pierre Bulliard le décrit pour la première fois en 1781. Avec les vastes campagnes de déboisement qui accompagnent l’industrialisation au XIXe siècle, il se raréfie dans nos contrées. En Suisse, il figure aujourd’hui sur la liste rouge des espèces menacées.

Le naturaliste Pierre Bulliard a le premier décrit le champignon en 1781
Photo: DR

Heureusement pour nous, ce champignon peut aussi se cultiver. À Pompaples, Floyd Sarria s’est lancé dans la culture du lion’s mane, entre autres pleurotes et shitakés. Il vend sa production sur les marchés de Lausanne et de Morges, ainsi que dans différentes épiceries bios. Biologiste de formation, ce baroudeur s’est pris de passion pour ces créatures aux formes étranges et esthétiques alors qu’il étudiait le lynx et les insectes sur le terrain.

Culture vertueuse

La myciculture n’est pas compliquée en soi, mais elle est longue et assez fastidieuse. Floyd Sarria s’occupe en effet lui-même de tout le processus de production, du «bébé mycélium» jusqu’à la récolte. La culture s’effectue dans des chambres fermées, à l’atmosphère contrôlée. Ce sont surtout les premières phases qui sont délicates, car il s’agit d’éviter toute contamination par d’autres champignons. On est prié d’enlever ses chaussures avant d’entrer!

Soucieux de favoriser les circuits courts, le myciculteur (oui, c’est comme ça qu’on dit) se procure son substrat de culture auprès de fermes situées à proximité. Les ballots usagés sont ensuite réutilisés comme compost. Si Floyd a mangé beaucoup de champignons invendus quand il a débuté, son stand au marché est aujourd’hui dévalisé par une clientèle fidèle ou simplement curieuse. Premier arrivé, premier servi! L’autre solution est de lui acheter ses kits de culture prêts à l’emploi et de récolter soi-même ses propres champignons.

Une tendance forte

À Vevey, Christopher et Alexander Winter ont créé Mission Mycelium, qui commercialise des champignons et des kits de culture. Eux aussi assurent la production de A à Z, en utilisant des drêches (résidus de brassage de céréales) de brasseries suisses comme substrat.

Les frères Winter perçoivent clairement un engouement pour le lion’s mane. Ils fournissent déjà des chefs réputés comme Jérémy Cordier (Vevey) et Damien Germanier (Sion). Preuve que la tendance ne se limite pas seulement aux restaurants végans, et que ce champignon séduit par son goût et son originalité.

Goûtez-moi ces nuggets !

À propos de son goût, justement. Comment le déguster? Pour commencer, comme il est facile à cuisiner, le chef Danny Baker suggère de l’intégrer dans une recette qu’on a l’habitude de préparer. C’est un bon moyen pour se familiariser.

Côté pratique, le lion’s mane se garde jusqu’à une semaine au frigo, protégé par un papier ménage (surtout pas de plastique!). Au bout de trois jours, il commence à perdre un peu de sa densité – cet aspect «steak» recherché par les amateurs. On l’utilisera alors plutôt dans un plat en sauce ou une soupe.

Pour ma part, je me suis amusée à confectionner les nuggets proposés par les frères Winter sur leur compte Instagram. Croustillants au-dehors et tendres au cœur. Succès assuré !


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