Millennials contre millésimes
Les Gen Z ne boivent plus de vin, les vignerons cherchent des solutions

Blanc, rosé et surtout rouge… La baisse de la consommation de vin n’épargne pas la Suisse. Un désamour encore plus fort chez les jeunes générations qui privilégient la bière, les cocktails ou les «alcopops».
Publié: 24.09.2023 à 18:02 heures
Jennifer Segui

On a beau chercher. Parmi les boissons choisies ce soir-là pour célébrer un vingtième anniversaire, aucune trace d’une bouteille de vin. Fontaine d'Aperol Spritz. Pack de «PG», soit la bière «prix garantie» de la Coop, prisée des jeunes sans le sou. Bouteilles de Smirnoff Ice. Jus de fruits et flacons de quelques alcools forts destinés à être mixés. Questions de goût et de budget, disent en substance les organisateurs de la fête interrogés sur le vif.

Si, en Suisse, on ne dispose pas encore de chiffres sur la consommation de vin par tranches d’âge, la France, pays viticole s’il en est, nous fournit tout de même quelques précieuses indications sur cette désaffection. Selon une étude menée cette année par l’institut de sondage Kantar pour la radio RTL, moins de 30% des 18-35 ans consomment du vin. Et 53% d’entre eux citent la bière comme leur alcool préféré.

Côté couleur, quand le glamourisé rosé peut encore faire l’affaire, le rouge attise toutes les critiques: «pas agréable à boire», «trop élitiste», «trop compliqué», «trop cher» ou encore, et plus surprenant, «trop associé à la consommation de viande rouge». Un bilan à faire bondir hors de leurs caves les amateurs de nectars et leurs producteurs.

Le vin, la boisson à papa? Les jeunes Français en boivent de moins en moins, et c'est probablement le cas en Suisse.
Photo: Shutterstock

Des vins créés spécialement pour les jeunes

Pour tenter d’inverser la tendance, la Cave des vignerons de Bonvillars a décidé de mettre le paquet. L’idée? Capter l’attention de la génération Z, née entre 1995 et 2010, en lançant une nouvelle gamme spécialement élaborée pour eux.

Eklat’, c’est son nom, présentée lors des Caves Ouvertes en mai dernier, se décline en version blanc, rosé et rouge et à travers des vins représentatifs du terroir et taillés pour séduire les plus jeunes en s’adaptant à leurs préférences gustatives: doral, gewürztraminer et sauvignon sont réunis dans l’Eklat’blanc autour d’arômes de litchis, de fruits de la passion et d’agrumes quand la version rosé offre des notes de fruits rouges et de fleurs grâce à un assemblage de gamay et pinot noir.

La mûre, les fruits rouges et les épices se retrouvent dans l’Eklat’rouge grâce à un subtil accord entre gamay, garanoir et galotta. La Cave de Bonvillars innove en élaborant des vins pour une clientèle cible et en s’adaptant à ses goûts pour les arômes fruités et la sucrosité.

Pour séduire les jeunes, un marketing ciblé

Pour Paola Jaquemettaz, directrice marketing et ventes, le moment était venu de faire sauter le bouchon face au désamour de ceux qui seront les consommateurs de demain: «En Suisse, comme ailleurs d’ailleurs, la consommation d’alcool baisse. Lorsqu'on observe les jeunes générations, on voit bien qu’ils affectionnent particulièrement les boissons pop, les cocktails et les bières artisanales. On aimerait que les jeunes continuent à s'intéresser à leur terroir en créant quelque chose qui combine cette notion de produit local et leur goût pour les boissons plus sucrées.»

Vins patiemment élaborés, packagings dynamiques pimpés par un bureau de design 100% féminin… La Cave de Bonvillars adapte aussi ses méthodes de promotions et de vente: «Les millennials sont un public difficile à capter. Ils sont très différents dans leur manière d’acheter et de consommer. Ils sont très influencés par les réseaux sociaux et font leurs achats en ligne. Il y a un côté plus urbain.»

Présence sur le web et les réseaux sociaux, dont les incontournables Instagram et TikTok, afterworks sur les bateaux du lac de Neuchâtel, soirées yoga et vin (!), dégustations pour les nuls ou encore rencontres esport … la Cave de Bonvillars parie tout autant sur la force de ses vins et sur de nouvelles expériences pour «apprivoiser les consommateurs du futur».

Retro-innovation et approche décomplexée

Des futurs clients que la Maison Schenk, l’un des principaux acteurs suisses de l’univers du vin, basé à Rolle, observe aussi avec intérêt: «La baisse de la consommation du vin est une tendance qui s’accentue de plus en plus. A travers notre groupe Innovation qui rassemble diverses expertises, nous observons plusieurs aspects qui se dégagent: le vin rouge qui devient moins populaire quand le blanc séduit toujours plus. Des rosés qui maintiennent une trajectoire ascendante et des tendances qui se renforcent et s’amplifient, comme celles du low ou no alcool qui impactent particulièrement les jeunes», explique Julie Groff, directrice marketing et durabilité pour le groupe.

C’est, entre autres, pour cette tranche d’âge que l’entreprise familiale réinvente une mythique boisson au raisin sans alcool, le Grapillon. Autre proposition de la Maison Schenk qui mise pour le futur sur le «vin décomplexé», les flacons «Henri», revêtus d’une identité très épurée et immédiatement identifiables selon un code simple: une couleur, un cépage.

Rendre les choses plus simples

Démarrer par la connaissance d’un cépage avant celle d’un terroir, c’est aussi ce que suggère Thibaut Panas, meilleur sommelier de l’année 2014 selon GaultMillau. Et ce pour attirer les jeunes vers le vin et les intéresser à cet univers qui leur paraît souvent bien trop complexe.

Tout nouveau co-fondateur de Cartes des vins, spécialiste de la distribution et du conseil dans le domaine, cet ancien de Crissier et de chez Pic argumente: «Les jeunes qui apprécient le vin tôt sont peut-être ceux qui viennent de familles d’amateurs ou de viticulteurs et qui ont déjà une certaine habitude. Pour attirer ceux qui débutent, je passerais par des mono-cépages pas trop puissants, faciles à comprendre, comme un Chardonnay ou un Sauvignon blanc. Pour ensuite faire intervenir la notion de région et de terroir».

En contact permanent avec la clientèle, ce pro du vin reste pourtant optimiste pour les jeunes générations: «C’est clair que le vin, ça coûte et que la bière et les alcools forts cartonnent dans ces catégories d’âge, mais la manière de faire le vin change et s’adapte. Les vignerons font des efforts et proposent des vins accessibles sur leur première jeunesse, adaptés à une consommation plus spontanée, des rouges tournés sur la gourmandise, des blancs aromatiques ou exotiques. Je pense que les jeunes viennent au vin un peu plus tard, vers 25 ans. Mais ils y viennent!»

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