Savez-vous d'où elle vient?
La fondue, c’est suisse ou bien?

Pour Astérix, la fondue est «une sorte d’orgie locale». Mais nos ancêtres les Helvètes en mangeaient-ils vraiment? Pas si sûr…
Publié: 18.11.2023 à 12:15 heures
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Dernière mise à jour: 20.11.2023 à 13:57 heures
Tania Brasseur

Ce week-end, les mordus de fondue ont rendez-vous à Tartegnin (VD). Ce paisible village vaudois de 249 habitants accueille en effet le Mondial de la fondue. Un jury professionnel, présidé par le chef étoilé Philippe Chevrier, y désignera le champion ou la championne du monde de fondue.

Faire fondre du fromage râpé dans du vin, bien mélanger, tremper un morceau de pain, déguster: a priori, pas de quoi en faire tout un plat. Pourtant, la fondue est considérée comme LE plat national suisse, le fleuron de notre gastronomie. Il faut dire qu’elle se compose de trois produits phares de notre terroir: pain, vin et fromage.

Touche pas à ma fondue

Aïe, si des lecteurs français lisent cet article, j’entends déjà les critiques indignées. Et la fondue savoyarde, vous en faites quoi? Et la fondue franc-comtoise? Il est vrai que quand on parle de fondue, on n’est jamais loin de l’incident gastro-diplomatique.

La scène mythique de la fondue d'«Astérix chez les Helvètes».
Photo: Dargaud

Mais côté suisse, on n’est pas non plus à l’abri d’une levée de boucliers. De quelle fondue parle-t-on? De la moitié-moitié, de la fribourgeoise, de la valaisanne… ? En Suisse romande, chaque région a tendance à se croire dépositaire de la «vraie» fondue.

Bref, quand on se met à évoquer l’origine ou l’appartenance de la fondue, on n’est pas sorti de l’auberge, ou plutôt du caquelon. Osons tout de même une petite exploration dans le passé… quitte à venir ébranler quelques croyances bien enracinées.

La soupe du compromis

On entend souvent que le plat national suisse trouverait son origine dans un épisode marquant de l’histoire de la Confédération: la première paix de Kappel. En 1529, une campagne militaire oppose cantons protestants et cantons catholiques à Kappel am Albis, à la frontière de Zoug. Heureusement, des négociations permettent in extremis d’éviter la guerre.

Les soldats catholiques et protestants se réconciliant autour d'une soupe au lit. L'origine de la fondue? Non, une légende.
Photo: DR

Selon la tradition, les soldats se seraient partagé une soupe au lait dans un chaudron placé sur la ligne de démarcation entre les deux armées, en trempant des morceaux de pain dedans. Cette soupe symboliserait le sens du compromis des Confédérés. De là à dire qu’elle serait l’ancêtre de la fondue, il n’y a qu’un pas… que les historiens refusent toutefois de franchir. D’ailleurs, il n’y a pas de fromage dans la soupe de Kappel. Mais la légende persiste.

Un plat de riches urbains

Selon les historiens, la plus ancienne recette de fondue qu’on ait retrouvée date de 1699. Et au risque d’en décevoir certains, elle ne provient pas de la patrie du gruyère ou du vacherin, mais de Zurich. Elle s’intitule «Comment cuire du fromage dans du vin». Si elle ne porte pas le nom de fondue, la préparation ressemble beaucoup à la recette actuelle et se mange également en y trempant du pain.

Mais pourquoi diable Zurich? Parce que le fromage se consommait là où il était vendu, ou non là où il était produit, explique Paul Imhof, dans son livre «Le Patrimoine culinaire suisse»: «Les paysans produisaient le fromage pour transformer le lait en argent, et c’étaient les bourgeois des villes qui possédaient cet argent.»

Eh oui, on a tendance à l’oublier: à l’époque, le fromage, qu’il soit fondu ou non, était un mets destiné aux riches. Les paysans qui le fabriquaient se contentaient du sérac, fabriqué à partir du petit-lait issu de la production du fromage.

Une fondue qui n’en est pas une

Le mot «fondue» apparaît pour la première fois en 1742 dans un livre de cuisine… française. Il s’agit d’une recette de «fondue au fromage aux truffes fraîches». Des truffes? Décidément, on reste parmi les riches.

Le plus surprenant, c’est que cette recette n’a pas grand-chose à voir avec celle que nous connaissons. Le fromage est d’abord fondu dans du vin avec du beurre et assaisonné de truffes, de ciboules et d’épices. Mais ensuite, il est additionné de blancs d’œufs fouettés, de jaunes d’œufs et – accrochez-vous bien – de jus d’orange! J’imagine que cette recette serait disqualifiée d’entrée au Mondial de Tartegnin.

De vulgaires œufs brouillés?

La recette de fondue à base d’œufs et de fromage aura la vie dure. Dans sa «Physiologie du Goût» (1825), le célèbre gastronome français Brillat-Savarin raconte avoir dégusté une fondue bien arrosée chez un notable de Moudon. Pour lui, pas de doute, «la fondue est originaire de Suisse». Ouf, si Brillat-Savarin en personne l’affirme… En revanche, selon lui, «ce n’est autre chose que des œufs brouillés au fromage». On n’en sort pas.

N'empêche, aujourd’hui encore, certains ont l’habitude de casser un œuf dans le caquelon pour terminer la fondue. S’agirait-il d’une coutume héritée de cette ancienne recette?

Quand le marketing s’en mêle

En fait, la fondue au fromage telle que nous la connaissons de nos jours est une tradition relativement tardive. Il faut attendre le milieu du XXe siècle pour qu’elle se popularise dans toute la Suisse. Une chose est sûre, elle n’est pas liée à la vie des alpages et des armaillis, comme on voudrait bien nous le faire croire. Cet imaginaire-là, c’est plutôt au marketing qu’on le doit.

L’Union suisse du commerce du lait a été créée en 1914 dans le but d’assurer le ravitaillement de la population pendant la Première Guerre mondiale. Par la suite, cette organisation s’est surtout employée à promouvoir la consommation et à dynamiser les exportations en popularisant des plats à base de fromage.

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C’est elle qui a élevé la fondue au rang de plat national. Elle lance notamment une campagne publicitaire en inventant le slogan suisse allemand FIGUGEGL (acronyme de «Fondue isch guet und git e gueti Luune»), qui sera traduit en français par «La fondue crée la bonne humeur». Un véritable carton.

La fondue militaire

L’armée contribue aussi beaucoup à populariser la fondue. Le plat est intégré aux recettes de cuisine militaire dans les années 1950, là aussi sous l’impulsion de l’Union laitière. Elle livre à l’armée caquelons, réchauds et fourchettes, ainsi que des instructions simples pour préparer la fondue pour 50, 100 ou 500 personnes. Pas bête: à ce compte-là, il y a de quoi écouler de la marchandise…

Du marketing, mais pas que

Finalement, la fondue ne doit-elle sa popularité qu’au marketing ? En vérité, peu importe. Car c’est un plat qui séduit par sa convivialité. Elle symbolise le partage et la simplicité. Elle permet de recevoir ses amis ou sa famille «à la bonne franquette», ou de sortir manger ensemble en toute décontraction. Elle se prête aussi bien aux fêtes qu’aux repas improvisés. Elle rassemble.

La fondue permet aussi de faire vivre de nombreux fromagers et restaurateurs, qui misent aujourd’hui avant tout sur la qualité. Si elle continue à servir de débouché, sous forme de mélanges prêts à l’emploi à de grands groupes fromagers, elle valorise également le travail d’artisans d’exception, qui ne cessent de perfectionner leurs matières premières.

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Enfin, elle a ce formidable avantage de laisser à chacun une part de créativité, que ce soit en choisissant son propre fromage, en réalisant son propre mélange ou en y ajoutant son ingrédient secret. Une petite touche personnelle qui fait que chaque fondue est unique. Finalement, l’Union laitière ne croyait pas si bien dire: «La fondue crée la bonne humeur»!

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