Selon le patron de Nestlé
«Il faut manger moins de viande pour réduire notre empreinte écologique»

Dans une interview accordée à Blick, le CEO Mark Schneider explique la stratégie de Nestlé pour atteindre zéro émission nette d'ici 2050. Il évoque également les défis liés à la guerre en Ukraine et à l'inflation du prix des denrées alimentaires.
Publié: 03.06.2022 à 17:44 heures
Christian Dorer

Lundi, le CEO de Nestlé, Mark Schneider, a visité une ferme pittoresque à Flaach (ZH). Il y a rencontré deux des centaines de milliers de fournisseurs de Nestlé à travers le monde. L’entreprise compte jouer un rôle décisif pour que la production alimentaire mondiale devienne plus respectueuse de l’environnement. Mark Schneider a voulu se faire une idée en se rendant sur le terrain. C’est dans les champs de la campagne zurichoise que le chef de Nestlé a proposé de s’entretenir avec Blick.

Monsieur Schneider, vous visitez ici une ferme dans le Weinland zurichois. Qu’avez-vous appris des agriculteurs?

Mark Schneider: J’ai discuté avec les paysans, avec IP-Suisse (ndlr: un organisme de certification pour les produits agricoles) et avec nos partenaires Coop et l’ETH des moyens d’atteindre la neutralité climatique dans le domaine de l’agriculture. Ce que j’ai appris: il faut des solutions individuelles, en fonction du lieu et de ce qui est cultivé.

Le géant de l'agroalimentaire s'est fixé pour objectif d'atteindre zéro émission nette d'ici 2050.
Photo: keystone-sda.ch
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Récemment, vous vous êtes montré plus émotionnel que d’habitude en ce qui concerne la protection du climat. Vous avez déclaré que l’action immédiate était plus importante que de faire des grands plans.

Le changement climatique est le grand problème de notre époque. Nos descendants nous jugeront sur le fait que nous en ayons fait assez ou non pour surmonter ce problème.

L’humanité en fait-elle assez?

Non, elle s’est écartée du chemin pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris pour 2050. Il s’agit maintenant de revenir sur cette voie.

En tant que patron de Nestlé, vous avez beaucoup d’influence. Que faites-vous?

Nous voulons montrer l’exemple. Nestlé émet déjà moins de gaz à effet de serre chaque année, malgré notre forte croissance.

Vous avez 150’000 fournisseurs dans le monde entier. Dans ces conditions, il est impossible de tous les contrôler.

Nous employons des centaines d’agroéconomistes dans le monde entier, qui fournissent une assistance technique sur place et contribuent au respect des directives. Avec plusieurs centaines de milliers d’agriculteurs, cela prendra des décennies. C’est pourquoi notre plan climatique est axé sur l’année 2050: Nestlé veut atteindre zéro émission nette à cette date. Les premiers efforts qui ont d’ores et déjà conduit à une réduction se sont produits chez nous: dans la production, la logistique et l’administration. Année après année, les efforts et contributions de nos fournisseurs seront de plus en plus importants pour nous permettre d’atteindre nos objectifs.

Nestlé mise beaucoup sur une alimentation saine, et est leader dans le domaine des substituts de viande à base de protéines végétales. Voulez-vous priver les gens de steak et de chocolat?

Pas du tout. Moi aussi, j’aime beaucoup les deux. En Occident, il y a toutefois une surconsommation de protéines animales. Une consommation de viande modérée et une alimentation diverse contribuent à améliorer la santé publique et réduisent notre empreinte écologique.

Que faut-il mettre dans les assiettes?

Une plus grande diversité. Moins de viande chez nous – et plus de viande dans les pays où les gens souffrent encore de carences en protéines. C’est pourquoi il est important pour moi de ne pas dénigrer unilatéralement l’industrie de la viande ou du lait.

À qui vous adressez-vous avec des produits qui ressemblent à des burgers et en ont le goût, mais qui sont composés de protéines de légumes?

Aux consommateurs qui souhaitent remplacer une ou deux fois par semaine la viande qu’ils aiment tant par un produit à base de plantes. Donc pas des végétariens ou des végétaliens – il existe déjà de nombreuses alternatives pour eux. Il s’agit maintenant de s’adresser aux consommateurs qui, pour des raisons de protection des animaux, de santé ou de respect de l’environnement, recherchent une alternative ayant le même goût que la viande.

Le monde souffre de pénuries d’approvisionnement. L’entreprise Nestlé est-elle touchée?

Nous aussi, nous observons avec inquiétude les grandes difficultés d’approvisionnement. Sur de nombreux marchés comme les États-Unis ou l’Angleterre, nous constatons une pénurie de main-d’œuvre, car de nombreux collaborateurs se sont réorientés après la crise de Covid. Ainsi, il n’a parfois même plus été possible de maintenir des lignes de production. Et maintenant, avec la guerre en Ukraine, la situation s’est encore considérablement aggravée.

Qu’est-ce qui est le plus difficile à obtenir?

L’Ukraine est un fournisseur mondial important de blé et de différentes huiles. Nous ne sommes pas très dépendants du blé, mais très dépendants des huiles végétales. Nous essayons de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement ou des formules alternatives. Nous espérons que la guerre prendra fin le plus rapidement possible, car ce n’est qu’alors que les activités agricoles pourront reprendre normalement.

Dans quelle mesure les prix augmentent-ils?

Malheureusement, les prix des denrées alimentaires ont considérablement augmenté l’année dernière. Les coûts des exploitations agricoles ont également augmenté, ils ont été répercutés sur nous, et de nous aux détaillants et aux consommateurs. Une baisse n’est pas en vue, mais je pars aujourd’hui du principe que les prix se stabiliseront tout de même en 2023.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a dû vous appeler personnellement pour vous pousser à réduire votre engagement en Russie. Pourquoi avez-vous hésité?

Pour les produits de luxe, nous avons réagi très rapidement, nous avons par exemple immédiatement fermé toutes les boutiques Nespresso. Le désaccord porte sur nos produits essentiels, et là, nous tenons au droit fondamental à l’alimentation et au fait que la population doit continuer à être approvisionnée. Les guerres ne devraient pas se faire sur le dos des personnes les plus défavorisées de la population.

Et est-ce que vous continuez à produire en Ukraine?

Nous sommes l’une des rares entreprises occidentales à continuer à produire en Ukraine. Avant le début de la guerre, nous avions trois usines là-bas. L’une d’entre elles se trouve dans une zone de guerre et ne pouvait plus être exploitée. Deux d’entre elles continuent de fonctionner, avec des mesures de sécurité strictes et grâce aux efforts de nos collaborateurs sur place, auxquels je tire mon chapeau.

Comment une usine peut-elle fonctionner en pleine guerre?

Nous avons installé des abris dans les caves des usines. Le nombre de personnes autorisé à travailler dans la production est limité à celui qui peut accéder à un abri en même temps. La logistique est également très difficile: nous avons fait entrer plusieurs centaines de tonnes de nourriture dans le pays, avec des risques considérables pour la sécurité.

Le siège de votre groupe se trouve sur les bords du lac Léman. Dans quelle mesure l’attitude de plus en plus critique de la population envers l’économie, et notamment vis-à-vis des multinationales, vous inquiète-t-elle?

La Suisse est un excellent environnement pour les multinationales, et nous y sommes attachés. Ce n’est pas un hasard si la Suisse possède la plus forte concentration de multinationales sur le continent européen. Même s’il existe une tendance plutôt critique à l’égard de l’économie, la situation reste toujours extraordinairement positive – surtout en comparaison avec d’autres pays. Nous croyons en la sagesse du peuple suisse.

(Adaptation par Quentin Durig)

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