Le «Wellentänzer»
Ce vigneron fait vieillir son vin dans une bouée sur le lac de Zurich

Il se passe des choses étranges sur le lac de Zurich. Le vigneron Robert Irsslinger, qui possèdent quatre hectares de vignes à Wangen (SZ) et Uznach (SG), fait vieillir son vin de manière originale.
Publié: 05.03.2023 à 18:21 heures
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Isabelle Thürlemann-Brigger

Reconnaissons qu’il faut une bonne dose de courage et un grain de folie pour envoyer une cargaison de 1000 litres de vin sur un lac! Mais s’il en est un qui réunit ces qualités, c’est bien Robert Irsslinger. Ce vigneron aime se lancer des défis et ne craint pas de sortir des sentiers battus.

«Dans la vie, on n’a rien sans rien, quand on veut quelque chose, il faut se battre pour y arriver», confie-t-il à Blick. Avec un tel état d’esprit, on est moins surpris d’apprendre qu’il a loué un domaine pour exaucer son rêve d’indépendance alors qu’il avait seulement la vingtaine.

La sensation du vin flottant

Homme d’action, Robert Irsslinger n’est pas du genre à tergiverser. Quand Fabian Sloboda, son collègue vigneron autrichien, lui a proposé de participer au projet «Wellentänzer» («bercé par les flots» en français), il n'a donc pas hésité. Les deux comparses mènent ce projet en partenariat depuis 2019, sur le lac de Zurich et sur le lac de Neusiedl en Autriche.

Robert Irsslinger ne laisse rien au hasard.
Photo: Sandra Marusic
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L’expérience consiste à verser la moitié d’un lot de vin blanc vinifié dans une bouée à double paroi. Une fois flottant sur l’eau du lac, il y reste pendant plusieurs semaines. L’autre moitié constitue le «vin jumeau». Il reste au domaine pour y être vieilli comme n’importe quel autre vin blanc.

Grâce au séjour dans l’eau, le vin est ballotté en permanence par les vagues durant la première phase de sa maturation et reste en contact avec les lies. On assiste alors à la formation de saveurs supplémentaires, de protéines et d’acide carbonique qui procurent une texture onctueuse au palais et des notes fraîches et pétillantes.

Suspens à son comble

Le risque lié à cette entreprise paraissant calculé, ce père de trois enfants a décidé de se lancer dans l’aventure. Le soutien qu’il a reçu de sa femme Chantal, de ses parents et de ses beaux-parents a facilité les choses. Sur cette exploitation familiale, tout le monde met la main à la pâte et participe à la réussite de l'expérience. Robert peut également compter sur l’aide de certains volontaires pour surveiller la bouée. «Il reste toujours une part d’incertitude. Une fois, je suis allé ramer sur le lac pour voir si tout allait bien», s’amuse-t-il.

L’expérience a été suivie de bout en bout par les scientifiques du Centre de viticulture de Wädenswil (ZH) et les échantillons sont soumis à analyse. «Je voulais démontrer que le vin subissait un réel changement et qu’il n’était pas seulement stocké sur le lac», explique-t-il.

Des vins plaisants issus du travail manuel

Le «Wellentänzer» est élaboré à partir du johanniter, un cépage prometteur. «Je veux aider à faire connaître les variétés qui résistent aux champignons. Elles se prêtent à une gestion naturelle et correspondent à mes valeurs de vigneron», détaillent Robert Irsslinger. Dans les vignes, il travaille le plus possible à la main. Hors de question de confier la taille et la récolte à une machine.

Son activité dans les chais témoigne du soin et de la sensibilité qu’il apporte à la matière première. «Je veux exprimer les arômes typiques du cépage.» C’est la raison pour laquelle il n’utilise pas de levures industrielles, mais la levure du lac de Zurich. Elle est obtenue à partir d’une souche originale de la région et préserve le caractère authentique du cépage, selon lui. Son approche originale se manifeste également dans les vins à fermentation spontanée, comme l’Orange wine issu du souvignier gris ou le scheurebe en barrique.

C’est déjà la quatrième cuvée de «Wellentänzer» qui clapotait cet hiver au large du port de Rapperswil (SG), entre cygnes et canards. Après dégustation, le «Wellentänzer 2020» paraît rond, souple et velouté. Il révèle des nuances de brioche et de gelée de coing. Son jumeau resté sur la terre ferme arbore un bouquet de pomme verte, de citron et de citron vert. En bouche, il se montre résolument plus minéral. Ces deux vins sont aussi différents que peuvent l’être deux frères ou sœurs.

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