À cause du oui à AVS 21
Je travaillerai donc 23’040 heures de plus qu'un homme

Ce dimanche, le peuple a voté oui à la réforme AVS 21, à 50,57%. Les femmes travailleront ainsi un an de plus pour prendre leur retraite, comme les hommes, à 65 ans. Notre journaliste Daniella Gorbunova a tenté de calculer au centième près ce qu'elle allait y perdre.
Publié: 25.09.2022 à 17:30 heures
|
Dernière mise à jour: 26.09.2022 à 20:59 heures
Blick_Daniella_Gorbunova.png
Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Erratum: Dans la première version du commentaire, publiée le dimanche des votations, une erreur de calcul m’a conduit au faux résultat de 12’968 heures de travail de différence, travail rémunéré et non rémunéré compris, entre hommes et femmes en une vie. Tout en appuyant sur le fait que ces calculs ne sont que des estimations, servant avant tout à appuyer le propos, je les explicite davantage dans la présente version par souci de transparence. Et j’adresse mes excuses à notre lectorat.

J'étais dans le cortège, par conviction et à titre privé, mais je n'ai pas scandé «Tout le monde déteste la police» avec les plus radicales, le 14 juin 2022 à la Grève féministe de Lausanne. Promis, juré, craché dans ma bière Prix Garantie. Parce que je ne déteste pas (forcément et indistinctement) la police. Ce que je déteste, en revanche, c'est faire des maths.

Or, en ce dimanche 25 septembre, j'ai dû sortir ma calculatrice. Pour mesurer l'impact qu'aura le oui à AVS 21, une loi sur laquelle je n'ai pas pu m'exprimer – étrangère avec un permis, à l'image de quelque 763’900 autres femmes, que je suis – sur le reste de ma vie professionnelle, et sur le reste de ma vie tout court.

Le conseiller fédéral socialiste Alain Berset avait défendu la réforme AVS21.
Photo: keystone-sda.ch

Les femmes triment, selon les chiffres de la Confédération, 9,6 heures de plus par semaine que les hommes, si l’on additionne les estimées 42 heures de travail hebdomadaires de toutes et tous ceux qui sont à 100% aux 19,1 heures de travail non rémunéré pour les hommes, et aux 28,7 (!) heures de travail non rémunéré pour les femmes, et qu’on fait la différence. Cela fait 460,8 heures de plus par année pour nous, si l’on estime que nous travaillons toutes et tous durant 48 semaines.

Résultat de vos votes: en prenant ma retraite à 65 ans, je travaillerai, au total et très exactement, 23’040 heures de plus qu’un homme au cours de ma vie (pour lesquelles je gagnerai environ 20% de moins, accessoirement), si je décide d’avoir une famille, et que je travaille durant 50 ans (durée de référence de la vie active selon l’OFS.)

Cela fait 960 jours. Autrement dit, 32 mois.

Et c’est une estimation optimiste: ces chiffres ne prennent pas en compte le travail non rémunéré avant 15 ans et après 65 ans, ni pendant les 4 semaines de «vacances» réglementaires, durant lesquelles, souvent, il ne s’arrête en réalité pas.

Car oui, désolée, on vous l’a assez crié dans les oreilles depuis 2019 (ou pas, apparemment): le travail non rémunéré, c’est du travail. Pour toutes. Magistrates, chimistes, ouvrières et… policières comprises.

Je n’irai pas à Venise

Vous savez ce que vous avez le temps de faire, en 9,6 heures? Moi, je sais que je peux, au moins, pondre un article de longueur et de difficulté moyenne, ou deux plus petits. Ou me rendre de Lausanne à Venise en bus. Ou encore écouter «Le meilleur des mondes» de Huxley version livre audio en entier.

Et en 32 mois? Je pourrais retourner sur les bancs de l’université pour faire un complément d’études à temps partiel, ou un même peut-être un Bachelor. Concevoir et accoucher de trois enfants, «ou faire le tour de l’Amérique du nord… et du sud, par exemple», lance ma colocataire depuis l’autre bout de l’appartement.

Le prix de l’égalité de façade

Maintenant que les scrutins sont dépouillés, c'est autant de choses que je peux – si l’on en croit les mathématiques – potentiellement virer de ma bucket list, faute de temps. Et d’argent, si l’on en croit l’écart salarial. Et de disponibilité, si je deviens mère et que le dossier du congé parental continue de stagner, à Berne.

Et cela, selon les partis de droite, qui ont porté cette réforme, au nom de l’égalité de traitement? Il faut «moderniser la prévoyance vieillesse», «harmoniser» l’âge de la retraite, nous a-t-on martelé. Vous savez ce qui n’est ni très harmonieux, ni très moderne? La répartition des salaires et de la charge domestique entre les genres. Les maigres deux semaines de congé paternité. Et, finalement, vous savez ce que tout le monde déteste bien plus que la police? L’injustice déguisée en nécessité.


Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la