Comment la loi CO₂ s'est transformée en débâcle
Trop chère et au mauvais moment

C'est un choc, et pas seulement pour la ministre de l'Environnement Simonetta Sommaruga: les Suisses n'ont pas voulu de la loi CO₂. Comment en est-on arrivé là?
Publié: 14.06.2021 à 08:31 heures
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Dernière mise à jour: 14.06.2021 à 09:05 heures
Lea Hartmann

Le scénario s'est dessiné dès la première projection dimanche à midi, la certitude est tombée sur le coup de 18 heures: les Suisses ont rejeté dans les urnes, à 51,6%, la fameuse loi CO₂. Seuls cinq cantons l'ont soutenue.

Pour ses défenseurs, c'est un choc. «Je n'ai jamais été aussi déçu depuis le non à l'EEE en 1992», a réagi à chaud le président du parti vert'libéral Jürg Grossen. La co-présidente du PS Mattea Meyer ne cachait pas non plus son amertume à l'heure des interviews.

«Vote de défiance envers Sommaruga»

La claque est particulièrement violente pour la ministre de l'Environnement Simonetta Sommaruga. «C'est un vote de défiance envers elle», a invectivé le président de l'UDC Marco Chiesa lors de la «ronde des éléphants» sur BlickTV. Cette même UDC qui était la seule à combattre pour le non.

Cette loi posait les jalons pour diminuer de moitié les émissions de CO₂ d'ici 2030, ce dont la Suisse s'est engagée lors des accords de Paris. Un objectif qui paraît loin d'être atteignable: selon l'Office fédéral de l'environnement, nous ne pourrons sans cette loi que réduire d'au maximum 23% les gaz à effets de serre.

Ambiance de fête à l'UDC : le conseiller national Christian Imark, le conseiller national Albert Rösti (de gauche à droite) et d'autres opposants à la loi sur le CO2 trinquent.
Photo: Keystone
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Mauvais timing

Dans les facteurs explicatifs de cet échec, il y en a surtout un: le timing de la votation. Les deux initiatives «phytosanitaires», sur les pesticides et sur l'eau potable, ont extrêmement mobilisé dans les campagnes et ont ainsi eu un effet sur la participation. Celle-ci s'est élevée à 60%, un chiffre très élevé qui a même culminé à 80% dans certains villages.

Cela a nuit à la loi climatique, puisque de nombreux électeurs des campagnes ont glissé un triple non dans l'urne. Aussi par défiance vis-à-vis des citadins, qui avaient réussi à torpiller l'année dernière la loi sur la chasse avec une meilleure mobilisation que les campagnards.

L'Union suisse des paysans a beau avoir donné comme mot d'ordre le oui à la loi CO₂, elle ne l'a fait qu'à fin avril, alors que la campagne était déjà bien engagée. Et dans le contexte très émotionnel des initiatives agricoles, c'est presque passé inaperçu. Avec un immense fossé ville-campagne à la clé, ce 13 juin.

Simonetta Sommaruga s'est défendue dimanche soir: il n'y avait aucune autre date pour cette votation. Tout juste le Conseil fédéral aurait-il pu placer le scrutin sur les pesticides en mars déjà.

«Le camp du oui a sous-estimé les coûts»

À tout cela s'ajoute encore le fait que les partisans de la loi CO₂ ne se sont pas vraiment engagés corps et âme dans la campagne, se contentant de slogans abstraits. Dans le même temps, l'UDC a fait mouche, sachant exactement quel levier actionner: le porte-monnaie.

«Le camp du oui a totalement sous-estimé l'effet des coûts sur le citoyen», a analysé le politologue Claude Longchamp dimanche à BlickTV. En pleine pandémie, les citoyens sont plus prudents vis-à-vis de l'avenir et de leurs finances.

La loi étant un compromis, personne ne s'est engagé à 100%. Et le Parlement a «surchargé» la loi CO₂, comme l'a relevé Simonetta Sommaruga dimanche soir. «Plus le projet est gros et multiplie les domaines, plus il y a d'opposants potentiels», selon Claude Longchamp.

Taxe sur les billets d'avions, taxe sur le CO₂, bâtiments plus écologiques, fond climatique: chacune des mesures aurait pu atteindre une majorité si elle avait été traitée de manière individuelle. L'addition était un peu trop salée pour la population.

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