Inflation, espérance de vie…
Quel avenir pour les caisses de retraite et les assurés?

Si les experts se veulent très rassurants sur la solidité du 2ème pilier, il est évident que les conditions de la prévoyance se détériorent pour cause d’inflation, d’allongement de l’espérance de vie et de faible contribution de la bourse au capital retraite.
Publié: 24.04.2023 à 22:00 heures
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Dernière mise à jour: 25.04.2023 à 09:31 heures
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Myret ZakiJournaliste spécialisée économie

Entre inflation, allongement de l'espérance de vie et conditions économiques exceptionnelles, nombreux sont les trentenaires ou quadras qui s'inquiètent pour leur future retraite. Et si on observe certains changements, comme la fonte du taux de conversion ou les rendements boursiers, on peut effectivement craindre pour l'avenir.

Fonte du taux de conversion

Les taux de conversion du capital vieillesse en rentes n'ont cessé de baisser ces dernières années, passant de 7,2% à 6,8%. A présent, le Parlement souhaite l’abaisser à 6%, et un référendum de la gauche est déjà prévu. Et c'est sans compter les baisses encore plus fortes des taux de conversion sur la part surobligatoire (salaires de plus de 84’600 francs.) qui n'est pas protégée par la loi. Sur cette part, certaines caisses en Suisse appliquent aujourd’hui des taux inférieurs à 4,5%.

30% de baisse des rentes

Albert Gallegos, responsable du conseil patrimonial et prévoyance à la BCGE, avait estimé récemment qu’en 30 ans, les rentes des retraités ont baissé d’environ 30%, à cotisation égale. Et le taux de conversion n’est pas le seul facteur de détérioration. Il y a aussi la rémunération des avoirs par les rendements boursiers qui entre en ligne de compte.

Si les experts se veulent très rassurants sur la solidité du 2ème pilier, il est évident que les conditions de la prévoyance se détériorent pour cause d’inflation, d’allongement de l’espérance de vie et de faible contribution de la bourse au capital retraite.
Photo: Keystone

La bourse contribue nettement moins qu’auparavant au capital retraite: «On estime que ces 10 dernières années, la contribution des placements boursiers au capital du 2ème pilier s’est réduite, passant de 50% à 33% du capital retraite», estime Olivier Ferrari, CEO de Coninco et spécialiste en prévoyance. Ce qui fait porter plus de poids aux cotisations (employeurs et employés) pour compenser l’allongement de l’espérance de vie. «Les cotisations doivent intégrer le fait que l’espérance de vie a augmenté», souligne le CEO de Coninco.

Faiblesse des rendements

S’il faut cotiser davantage, c’est en raison de la décennie de taux d’intérêts négatifs, qui résultent d’un choix politique délibéré de la Banque nationale suisse, visant à affaiblir le franc suisse. La politique des taux négatifs a fait que les obligations n’ont quasiment plus rien rapporté aux caisses de pension, alors qu’elles sont un placement majeur des institutions de prévoyance, étant considérées comme un placement sans risque. Autre facteur clé de la faible rémunération des avoirs: une bonne partie des rendements boursiers des caisses sert aussi à renflouer les réserves pour l’allongement de l’espérance de vie.

Voulant défendre les rendements réels des caisses, les experts en prévoyance relèvent que l’inflation a été très faible ces dernières années, permettant de dégager un rendement net tout à fait correct. Or même si l’inflation officielle était basse, la réalité était autre. En effet, l’indice d’inflation officiel n’intègre pas l’explosion des primes d’assurance maladie, qui représente l’inflation des coûts de santé des retraités et qui pèse indirectement sur le budget des actifs.

Pas de faillites retentissantes

«Une précision importante: alors que le rachat de Credit Suisse par UBS a constitué un électrochoc pour la population suisse, en près de 40 ans, on n’a pas assisté à des faillites retentissantes ou à des sauvetages de dernière minute de caisses de pension, à charge des
collectivités publiques», souligne Graziano Lusenti, fondateur de Lusenti Partners et expert en prévoyance.

Certes, à plusieurs reprises (et plus particulièrement en Suisse romande) il a fallu combler à coup de milliards les déficits de caisses de pensions de plusieurs cantons ou communes; mais ces interventions étaient occasionnées par les déséquilibres structurels des plans, en raison de prestations trop généreuses et/ou de financements (par cotisations) insuffisants – très rarement par l’incurie des organes dirigeants (les conseils de fondation), des actes pénalement répréhensibles ou l’incompétence des gestionnaires des placements ou d’autres malversations.

Dans le secteur privé, les dérapages ayant occasionné des pertes sont rarissimes et dans tous les cas ces dernières ont été «épongées» par le Fonds fédéral de garantie. Rétrospectivement, c’est un résultat très remarquable et fort encourageant si l’on considère qu’à l’heure actuelle, la fortune totale des caisses de pensions en Suisse s’élève à près CHF 1100 milliards et qu’elle est gérée par 1500 institutions.

Caisses vides? À exclure

Des caisses vides? Un scénario des plus improbables, selon Pascal Frei, associé chez PPCMetrics, spécialiste de la prévoyance. «Les caisses ne seront jamais vides dans le système actuel», assure l’expert. «Le système du 2ème pilier contient des solidarités, mais ce qui est épargné par chaque assuré et son employeur lui est crédité sur un compte propre et garanti. À ce titre, la caisse de pension reste la meilleure solution pour les trentenaires en 2023», va-t-il jusqu’à dire.

Soit, mais ni le taux de conversion, ni le taux minimal de rémunération des avoirs n’est garanti. Au sujet de la rémunération des avoirs, Pascal Frei note que si l’on prend un recul historique, on constatera que «l’intérêt moyen crédité a été supérieur à l’inflation et à l’objectif légal». Quant à la baisse du taux de conversion, il estime normal qu’il continue de baisser tant que l’espérance de vie continue à s’accroître (et que les rendements boursiers attendus restent constants), et que, dans le même temps, les taux de cotisation à la prévoyance professionnelle n’augmentent pas.

Graziano Lusenti reconnaît cependant qu’il existe des risques réels susceptibles de ronger les fondements du système et de le déséquilibrer. Il s’agit en particulier de prendre en compte les évolutions de la démographie (âge moyen de la retraite, du décès, de l’entrée dans le marché du travail, nombre d’enfants, etc.), de la macro-économie (croissance économique, inflation, etc.), des marchés financiers (taux d’intérêts, rendement des différents types de placements, etc.) ou même de la société (taux de divorce, départs à l’étranger, etc.)

Préférer le capital à la rente

L’expert de Lusenti Partners n’y va pas par quatre chemins: pour lui, dans l’idéal, il faudrait allonger l’âge de la retraite et baisser «fortement» le taux de conversion, «pour prendre en compte l’espérance de vie plus longue des assurés». Il salue à ce titre le projet en cours au Parlement. «Un taux de conversion trop élevé engendre des pertes systématiques pour les caisses», dit-il. Les caisses veulent clairement décourager les rentes, et encourager les retraits uniques sous forme de capital. C’est peut-être aussi la meilleure solution pour les retraités: retirer leur capital sans subir un taux de conversion qui risque, à l’avenir, de devenir prohibitif.

En conclusion, Graziano Lusenti estime que «si les employeurs, les salariés, mais aussi les politiques et les électeurs dans leur ensemble sont capables d’ajuster le système de retraites aux mutations en cours, on peut prévoir un avenir radieux pour les caisses de pension et leurs assurés durant les prochaines décennies.» Reste à savoir quels ajustements sont souhaitables et comment mettre tout le monde d’accord, les intérêts des assurés étant clairement distincts de ceux des gestionnaires de caisses et des actuaires. Une question qu’il reste à régler au plan politique.

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