En chute face à l'euro et au dollar
Pourquoi le franc suisse est-il si faible?

Un franc en baisse avantage les exportateurs, mais nuit aux touristes et aux frontaliers. Son taux de change reste tributaire de la zone euro et des Etats-Unis. Mais il pourrait bien se renforcer dès juin. Explications.
Publié: 28.05.2024 à 11:07 heures
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Dernière mise à jour: 18.06.2024 à 10:59 heures
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Myret ZakiJournaliste spécialisée économie

Fin 2023, le franc suisse culminait à son record de tous les temps face à l’euro, et à son plus haut niveau en 15 ans face au dollar. Le monde économique s’inquiétait de cette appréciation, que même la Banque nationale suisse (BNS) n’avait pas réussi à maîtriser. Or depuis ce début d’année, c’est l’inverse qui se produit: le franc suisse a perdu 6,5% face à l’euro, pour retrouver son niveau d’il y a 12 mois, à 1,01 €. Il a perdu 8,3% face au dollar, à 1,09 $, son niveau d’il y a 8 mois. Et il perd également 8% face à la livre sterling, se retrouvant à son niveau d’il y a 2 ans.

Que s’est-il passé?

Une explication: l’inflation plus faible

La raison de cet affaiblissement du franc? La clé, c’est l’inflation: celle-ci a faibli en Suisse plus vite que dans la zone euro et aux Etats-Unis. Tandis qu’elle a reculé en Suisse à 1,4% en avril, en glissement annuel, elle reste à 2,4% dans la zone euro et au Royaume-Uni, et à 3,4% aux Etats-Unis. 

Cela a offert à la BNS l’opportunité d’affaiblir le franc: en effet, quand l’inflation baisse, les taux d’intérêt peuvent eux aussi être abaissés au même niveau, celui qui permet de compenser l’érosion de l’épargne. Donc si l’inflation tombe à 1,4%, les taux d’intérêt devraient se situer au même niveau. Et c’est ce qu’a fait la BNS. Sans perdre une minute pour affaiblir le franc suisse, elle a agi en mars, avant toutes les autres banques centrales, en baissant son taux d’intérêt de 1,75% à 1,5%. 

La clé de l'affaiblissement du franc est l’inflation: celle-ci a faibli en Suisse plus vite que dans la zone euro et aux Etats-Unis.
Photo: KEYSTONE

Pendant ce temps, les taux de la BCE sont encore à 4,5%, et ceux de la Fed américaine sont à 5,5%. C’est ce différentiel de taux entre le franc suisse, l’euro et le dollar qui explique la perte de valeur du franc face à ces devises: la monnaie helvétique étant moins rémunérée que les autres, elle se déprécie par rapport à ces dernières, qui sont plus recherchées par les investisseurs car leur rendement (taux d’intérêt) sur les dépôts est supérieur. Ainsi, le différentiel de taux d’intérêt est le facteur le plus déterminant pour les taux de change.

Conséquences pour la population?

Hypothèques moins chères

Un franc plus faible, avec des taux d’intérêt en baisse, c’est une bonne nouvelle pour les futurs propriétaires de maisons, car le coût du crédit s’annonce bon marché: les taux hypothécaires resteront bas en Suisse. Actuellement situés entre 1,65% et 2,3% pour l’hypothèque à 10 ans, ils devraient se maintenir, voire légèrement se détendre d’ici 2025.

Frontaliers et vacanciers désavantagés

En revanche, un franc plus faible n’est pas une bonne nouvelle pour les personnes qui gagnent leur vie dans cette monnaie. D’une part, les frontaliers, dont le salaire est en francs suisses et les dépenses courantes sont en euros, ont perdu le pouvoir d’achat gagné l’an dernier. D’autre part, pour les résidents suisses, faire ses courses de l’autre côté de la frontière, ou commander en ligne en euros, dollars et sterling est devenu moins avantageux qu’en 2023.

Non seulement le franc achète moins de biens et de services dans ces monnaies, mais le renchérissement des prix sur le Vieux Continent, outre-Manche et outre-Atlantique est 2 à 3 fois plus élevé qu’en Suisse, comme indiqué plus haut. Cette situation promet aussi des vacances d’été plus chères en Europe et aux Etats-Unis, que ce soit pour les billets de train, d’avion, les chambres d’hôtels ou les restaurants. De même, avec un franc déprécié, le moment n’est pas le mieux choisi pour l’achat de résidences secondaires en France ou en Espagne.

L’heure n’est pas non plus aux réjouissances pour les retraités qui touchent leur AVS et IIème pilier en francs suisses, et résident dans des régions d’Europe, car leur rente se déprécie par rapport à la valeur qu’elle avait gagné entre 2021 et 2023. Sur le long terme, toutefois, ils restent largement gagnants.

Concernant les destinations qui restent avantageuses, le Japon devient moins cher, car le franc suisse a gagné 10% cette année contre la monnaie du Pays du Soleil Levant. Le Brésil, la Tunisie ou la Thaïlande restent intéressantes, avec un franc resté stable face au real, au dinar ou au baht. Mais c’est en Egypte que les touristes suisses feront les meilleures affaires, en raison de la dévaluation spectaculaire de la livre égyptienne: il y a 1 an, le franc achetait 34 livres ; aujourd’hui, il en achète 52. 

Certes, l’inflation atteint 35% au pays des pharaons, et les touristes verront que le renchérissement compense en partie la dévaluation, surtout dans le circuit touristique et les centres commerciaux de luxe ; mais ils constateront que la consommation et la restauration locales, les logements (hors palaces) et l’essence se paient trois fois rien.

Conséquences pour la Suisse: les exportateurs respirent

L’affaiblissement du franc offre une bouffée d’air frais aux exportateurs suisses, même si à ces niveaux, le franc reste élevé en comparaison historique: sur le graphique ci-dessous, on voit que l’euro vaut deux fois moins, face au franc, qu’en 1984. La grande tendance, c’est celle d’un franc toujours plus fort. En l’espace de 40 ans, la monnaie unique est passée de 0,54 à 1,01 pour 1 franc.

Taux de change du franc suisse en euros

L’année 2023 et le début d’année 2024 ont été difficiles pour l’industrie de l’exportation suisse, qui a subi à la fois la cherté du franc, qui rend ses produits moins compétitifs à l’étranger, et la récession industrielle en Europe. Après ces 6 derniers mois, l’effet de la détente du franc devrait se traduire par une amélioration des résultats des exportateurs, même si la reprise de la demande dans la zone euro tarde à se manifester. Il reste que rien ne permet de penser que le franc va poursuivre sa baisse face aux grandes monnaies.

Cette situation va-t-elle durer?

Ce sont à nouveau les facteurs « inflation » et « taux » qui vont s’avérer déterminants. Et ils ne plaident pas pour une poursuite de la faiblesse du franc ces prochains mois, si l’on en croit les experts. Les économistes prévoient que la BNS va baisser encore les taux d’intérêt suisses en juin et septembre, les ramenant à 1%, niveau où l’inflation helvétique devrait également se situer. Mais il est aussi prévu qu’en juin la Banque centrale européenne (BCE) inverse sa politique de hausse des taux et engage les hostilités avec une baisse de ses taux d’intérêt.

Même si les taux de la BCE mettront un long moment avant de rejoindre les taux suisses, c’est la réduction du différentiel qui pourrait avoir l’effet de « booster » le franc suisse: le consensus des économistes voit le franc se renforcer légèrement à nouveau cette fin d’année. Face au dollar, il mettra plus de temps à se renforcer, probablement 8 à 10 mois, mais la tendance à venir sera haussière, interrompant une parenthèse d’affaiblissement qui aura eu le mérite de réjouir brièvement les exportateurs.

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