Plusieurs entreprises lausannoises en lice
Confier ses économies à un robot, une bonne idée?

La recette a séduit de nombreux investisseurs, aussi bien des particuliers que des professionnels. En Suisse, certains s’en servent même pour faire fructifier les fonds de pension.
Publié: 09.04.2024 à 19:37 heures
Julien Crevoisier

«Robo-advisor» («robot conseiller»): derrière ce terme un peu barbare se cachent des logiciels algorithmiques conçus pour gérer un capital investi, à la manière d’un conseiller financier. Au sein des institutions financières qui proposent ce service, tout le monde vous le dira: contrairement aux humains, ces machines très sophistiquées ne prennent pas de décision sous le coup de l’émotion, ils se trompent donc moins.

Plutôt que de laisser ses sous à des investisseurs en chair et en os, certes bien formés, mais néanmoins en proie à l’erreur, certains préfèrent ainsi laisser faire des programmes informatiques débarrassés des biais cognitifs. Ces solutions offrent en outre des frais de gestion plus modestes, et la possibilité de placer des sommes plus petites (certains acceptent des capitaux de départ de seulement 500 francs).

«Le meilleur atout des robo-advisors est sans doute leur accessibilité. Dans la mesure où ils participent à démocratiser l’accès à l’investissement et à la gestion de patrimoine, leur arrivée sur le marché est plutôt positive, estime Sarah Genequand Miche, gestionnaire de fortune chez Lyra Wealth à Genève. Toutefois, le risque d’erreur de gestion est souvent sous-estimé. Le robot en lui-même aura beau avoir tendance à adopter une gestion des risques prudente, si l’investisseur profane lui ordonne de vendre ou d’acheter de façon précipitée, le robot s’exécutera sans rechigner, là où un conseiller financier peut prodiguer de meilleurs conseils.»

L'arrivée sur le marché des robo-advisors est plutôt positive, estime Sarah Genequand Miche, gestionnaire de fortune chez Lyra Wealth à Genève.
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Clevercircles, True Wealth, Inyova, Raiffeisen Rio, Swissquote: on dénombre près d’une quinzaine de robo-advisors en Suisse, dont certains ont été mis en place par des banques déjà établies de longue date. Une façon pour elle de diversifier leurs activités et cibler une nouvelle clientèle? «Il est tout à fait probable que les banques se servent de cette nouvelle manne à des fins marketing. En raison de leur frais de gestion et de leurs sommes d’entrée réduits, les robo-advisors ne permettent a priori pas de générer un chiffre d’affaires satisfaisant, sauf à gérer un volume très important», relève Sarah Genequand Miche.

Une gestion hybride

Pourtant, ces machines commencent aussi à séduire les acteurs traditionnels. Certains semblent y voir bien plus qu’un simple outil marketing ou une façon d’attirer les jeunes avec une application ludique et conviviale. À Genève, Pleion, plus de trois milliards de francs d’actifs sous gestion, a fusionné en 2023 avec Finstoy, un gestionnaire indépendant qui utilise depuis plusieurs années le robo-advisor développé par Swissquote.

Mais ici les processus algorithmiques sont accompagnés par des intervenants humains, dans l’objectif de tirer le meilleur des deux approches. Finstoy participe aujourd’hui à l’élaboration d’une version améliorée de la machine, en partenariat avec Swissquote.

«Le robot permet non seulement de réduire le risque d’une prise de décision irrationnelle en temps de crise, mais aussi d’étendre nos activités rapidement sans lésiner sur la qualité des prestations, indique Nicolas Dénervaud, cofondateur de Finstoy et désormais membre de la direction de Pleion. La capacité analytique de la machine permet d’élaborer un nombre important de stratégies sur différents portefeuilles très rapidement.»

L’entreprise née à Lausanne ne prétend pas proposer une offre low-cost sans conseils professionnels. «Le recours à la gestion automatisée nous permet au contraire d’offrir une prestation hautement diversifiée et personnalisée en fonction des besoins et priorités du client. Nous faisons du sur-mesure, si bien qu’aucun client ne possède le même portefeuille.» Une offre qui ne s’adresse qu’à des capitaux élevés (250'000 francs minimum), mais le robot a tout de même permis d’abaisser un peu la barre: «Auparavant, il n’était pas envisageable d’offrir le même niveau de diversification avec une mise de départ de moins d’un million de francs.»

«La plupart des Suisses pourraient devenir millionnaires»

Mais entre l’investissement low-cost et la gestion de fortune sur mesure, certains acteurs comptent bien mettre à profit les capacités robotiques au service du plus grand nombre. À Lausanne, l’entreprise d’ingénierie financière Fundo a élaboré Cortex, une machine ultra-sophistiquée capable de réaliser près d’un million de milliards de calculs par seconde. Là encore, c’est l’absence de prise de décision émotionnelle qui est mise en avant.

Cette fois, il s’agit d’éviter non pas les erreurs découlant d’une convoitise trop risquée, mais bien de supprimer les biais qui conduisent plus tard au regret. «Près de la moitié du potentiel de croissance des avoirs des caisses de pension en Suisse est inexploité, explique Jacques Grivel, directeur de Fundo. Selon nos calculs, si l’on parvenait à semer et cultiver ce champ laissé en jachère, la plupart des Suisses pourraient devenir des millionnaires qui s’ignorent.» Les caisses chargées de gérer les deuxièmes piliers des salariés seraient inhibées par la peur de l’erreur, qui pousse le plus souvent à s’abstenir de prendre une décision qui pourrait être regrettée. «Or, rien ne dit que l’abstention ne soit pas la pire des solutions.»

Cortex se débrouille en effet plutôt bien. Depuis son lancement, le robot a constamment dépassé les performances moyennes des acteurs financiers, avec des sur-performances de 2% à 3% chaque année entre 2020 et 2023 «Sur une période de 40 ans, c’est deux fois plus de rentes à la clé» relève Jacques Grivel. Pour le directeur de Fundo, ingénieur EPFL de formation, la recette du succès réside dans une gestion à long-terme qui ne nécessite que peu d’interventions. «C’est plutôt ennuyeux, fait-il remarquer, les investisseurs cherchant l’adrénaline du boursicotage risquent d’être déçus. La machine ne changera pas de stratégie, à moins qu’un élément véritablement nouveau apparaisse dans son radar. Là où l’innovation est très efficace, c’est qu’elle distingue mieux que quiconque quelles sont les informations réellement pertinentes de celles dont il ne faut pas tenir compte.»

Machine ou humain, qui fait mieux?

Pour Nicolas Dénervaud, cofondateur de Finstoy et membre de la direction de Pleion, la question de la compétition entre ordinateur et humain reste difficile à trancher. «Le robo-advisor n’est pas une solution miracle. Ses résultats dépendront largement des allocations d’actifs.» En d’autres termes, la performance dépend du type de biens ou de titres sur lesquels l’argent est placé et dans quelles proportions. «Sur un portefeuille composé à 100% d’actions, un mécanisme qui suppose une certaine prise de risque, les retours sur investissements des placements réalisés par le robot parviennent presque systématiquement à battre le marché.» Ce sont toujours cependant les humains qui échafaudent la stratégie et définissent les objectifs, et cette étape n’est pas encore prête à être automatisée pour ce type de service haut de gamme. «Beaucoup de nos clients se montrent encore assez méfiants à l’idée de confier de telles sommes à un ordinateur sans supervision.»

Un constat partagé par Jacques Grivel: «Pour l’instant, l’automatisation suscite encore quelques réticences.» Malgré de bons résultats, le volume des fonds gérés par son robot Cortex se chiffre à environ 500 millions de francs, soit une partie infime de l’ensemble des avoirs des caisses de pension, qui avoisinent les 1200 milliards. Pourtant, l’ingénieur lausannois n’exclut pas que la machine remplace à terme l’humain dans la gestion de fortune: «À l’évidence, la machine parvient à des résultats au moins aussi satisfaisants que ces homologues de chair et d’os, ne souffre pas d’illusion de contrôle, ni de biais cognitifs, ni d’humeur ou de peur excessives, coûte moins cher et ne tombe jamais malade».

En collaboration avec Large Network

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