Ventes en chute libre
Pourquoi les femmes ne portent-elles plus de talons hauts?

En baisse constante depuis une décennie, les ventes de talons hauts se sont effondrées durant la pandémie de Covid-19 au profit de modèles plus confortables. Mais les stilettos n’ont pas dit leur dernier mot!
Publié: 24.04.2023 à 06:08 heures
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Dernière mise à jour: 24.04.2023 à 06:09 heures
Julien Crevoisier

«Jamais on avait vu autant de sneakers, même dans des lieux qui leur étaient longtemps restés inaccessibles, à commencer par les milieux bancaires.» L’évolution des pratiques en matière de chaussures, analysée par Sébastien Aeschbach, directeur des magasins de chaussures Aeschbach, se confirme dans les chiffres mondiaux.

Entre 2014 et 2019, les ventes de baskets ont augmenté de 54% selon Statista, pendant que les ventes de talons ne cessaient de perdre du terrain, au rythme de -3 à -5% par an.

Le coup de grâce du Covid

En 2020, la pandémie de Covid-19 et ses confinements imposant le télétravail à des dizaines de millions de personnes actives dans le secteur tertiaire, accentue l’effondrement de ventes d’escarpins, pourtant déjà à la peine.

C'est une tendance qui s'est confirmée durant la pandémie de Covid-19: les femmes ont de plus en plus renoncé à porter des chaussures à talons hauts au quotidien.
Photo: Shutterstock
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«On observait déjà un recul des ventes avant 2020 mais la pandémie leur a donné le coup de grâce, confirme Sébastien Aeschbach. Nos ventes de chaussures à talons ont chuté de près de 90%.» Les réouvertures temporaires de l’été 2020 avaient permis à ce segment de souffler un peu, avec le retour des événements culturels et de la vie nocturne. «Cela n’avait toutefois pas suffi à revigorer suffisamment les ventes, et les fermetures automnales ont définitivement scellé leur sort pour l’année.»

La fin des restrictions sanitaires en 2022 n’augurait – de prime abord – pas un retour en force des talons: la pandémie avait bouleversé les habitudes et les normes, surtout dans l’espace professionnel, et la fin des tenues formelles en avait été l’une des expressions les plus marquantes. Dans une étude du cabinet IWG menée l’année précédente, près de 59% des personnes sondées estimaient même que l’époque des codes vestimentaires formels était révolue, et 39% que les tenues informelles ou «casual» seraient de plus en plus acceptées sur le lieu de travail.

«La période 2010-2020 a d’ailleurs été marquée par les tailles oversize, qui sont bien connues pour donner une allure décontractée, dit Sokhna Cissé, styliste et rédactrice spécialisée dans la mode au magazine 'Femina'. On a même assisté à la percée de l’assortiment robe-sneakers, qui aurait été presque inimaginable une décennie plus tôt.»

Les années 2000 à l’honneur

Toutefois, les tendances en ce début d’année 2023 laissent plutôt présager la fin de l’hégémonie de la tenue décontractée. «Outre le travail en présentiel, les gens ont aussi retrouvé les bars, les restaurants, les cinémas et les boîtes de nuit. Autant d’espaces pour lesquels beaucoup se mettent volontiers sur leur trente-et-un», poursuit Sokhna Cissé.

Les collections présentées par les grandes marques renouent donc avec une forme d’élégance et de coquetterie, après deux ans de crise sanitaire. Finis les tailles oversize et les «dad shoes»: les magazines et les Fashion weeks ont signé cette année le retour des styles typiques des années 2000.

«On observe un penchant pour les vêtements près du corps, transparents et féminins, à l’image de la mode qui prédominait il y a 20 ans», explique la styliste. Mais la société semble encore s’inscrire en décalage: «Dans la rue, on constate encore l’omniprésence des sneakers et des chaussures plates.»

Reste que les études de marché prennent le pari que les marques réussiront à réimposer le talon dans un avenir proche: selon l’agence londonienne Technavio, les ventes au niveau mondial devraient progresser de 1,88% par an en moyenne jusqu’en 2027. Si ce scénario se confirme, la croissance du marché sur cette même période atteindrait 2,39 milliards de dollars. De leur côté, les sneakers ne sont pas en reste: leur marché devrait croître de 7,5% par an sur la même période.

Du côté des commerçants, on voit poindre ce retournement de tendance: «Les chaussures à talons représentaient près de 30% des assortiments avant la pandémie, indique Sébastien Aeschbach. À fin 2022, cette part avait chuté à 10% et nous nous sommes soudain retrouvés à court! En fait, nous étions presque en retard sur la demande.»

Un accessoire à réinventer?

Malgré tout, les escarpins sont encore souvent pointés du doigt pour l’inconfort qu’ils infligent, et ce, jusque dans les hautes sphères du show business. En 2018 à Cannes, l’actrice américaine Kristen Stewart avait retiré ses souliers sur le tapis rouge pour montrer son agacement face au dress code du célèbre festival de cinéma.

En outre, la légère augmentation des ventes ne signifie pas pour autant le retour au monde d’avant. «La pandémie a certes joué un rôle clé, mais les revendications des consommatrices étaient déjà présentes bien avant, souligne Sokhna Cissé. L’élan féministe qui traverse nos sociétés a certainement encouragé de nombreuses femmes à se démarquer et à opter pour des chaussures plus confortables.»

Pour Sébastien Aeschbach, il ne fait certes plus beaucoup de doute que la mode du formel est en phase d’expansion, mais les comportements évoluent malgré tout. «On peut imaginer que pour des raisons pratiques, certaines fassent le déplacement au travail en sneakers avec leur paire d’escarpins dans le sac.»

La génération des millenials (et la génération Z) remplaçant peu à peu leurs aînés dans le monde professionnel, les codes vestimentaires formels, sans pour autant disparaître complètement, pourraient bien évoluer vers plus de souplesse et d’inventivité. «Il est vrai qu’aujourd’hui, on est moins dans le diktat que dans l’inspiration», conclut la styliste Sokhna Cissé.

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