Cap sur le Pacifique
La Nouvelle-Calédonie est en feu, et Macron prend tous les risques

Le président français a subitement décidé de se rendre en Nouvelle-Calédonie, où la guerre civile menace. Une mission périlleuse à 17'000 kilomètres de Paris.
Publié: 21.05.2024 à 17:02 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il a décidé de prendre tous les risques. Emmanuel Macron est, depuis le début des émeutes en Nouvelle-Calédonie, accusé d’avoir ignoré les avertissements sur le risque d’une guerre civile dans ce lointain territoire du Pacifique. Pire: le président français s’est même attiré les reproches de tous les experts en proposant, alors que les émeutes battaient encore leur plein, une visio-conférence aux protagonistes du conflit entre indépendantistes et loyalistes. Comme si la paix pouvait revenir, sur ces îles situées à 17'000 kilomètres de Paris, en quelques clics et une poignée de mots…

Place, donc, à l’implication directe. Puisque la guerre civile menace, c’est le chef de l’État (et des armées) en personne qui se déplace. L’Airbus «Air Force One» de la République décollera de Paris dans la nuit, puis volera 24 heures durant vers le lointain Océan Pacifique, avant d’atterrir sur l’aéroport commercial de la Tontouta, pour l’heure toujours fermé aux avions commerciaux.

Une opération commando, décidée comme telle. Au palais de l’Élysée, personne ou presque n’était au courant. C’est en une phrase, prononcée au début du Conseil des ministres ce mardi 21 mai, qu’Emmanuel Macron s’est transformé en pacificateur. Objectif annoncé: l’installation d’une «mission de dialogue» chargée de renouer tout ce qui a été cassé, ou bousculé, durant ses sept années de présidence.

Le président français parviendra-t-il à ramener le calme et le dialogue en Nouvelle-Calédonie, que les indépendantistes nomment Kanaky?
Photo: DUKAS
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Macron, président lyrique

En juillet 2023, soit il y a presque un an, le président Français croyait avoir pourtant trouvé la bonne méthode lors de son dernier déplacement officiel à Nouméa. Lyrique à souhait, il avait salué la paix comme un acquis: «Dans un monde où ressurgissent les rivalités, la brutalité, le cynisme froid des volontés de puissance, où la liberté est sans cesse menacée; le processus, initié il y a 35 ans, est une fierté pour nous tous, un exemple pour le monde, un exemple français, un exemple calédonien. Et cette fierté, c’est celle du chemin que vous avez construit et que les générations ici et là ont bâti: celui de la paix. Il y a 35 ans, rien n’était écrit […] C’est un trésor, ce qui a été fait. Et devant tous les jeunes qui sont là, devant moi et tous les jeunes qui nous écoutent, et peut-être plus encore pour ceux qui ne sont pas là; je veux le dire: ce trésor est inestimable.» Sauf que tout a déraillé lorsque le projet de réforme constitutionnelle destiné à élargir le corps électoral calédonien a été lancé.

Un trésor inestimable?

La Nouvelle-Calédonie qu’Emmanuel Macron va retrouver dès mercredi soir, heure locale (Nouméa est en avance de neuf heures sur Paris) ne ressemble en rien au rêve qu’il avait évoqué dans son discours. Dans la capitale et la province sud où sont concentrées les populations européennes et étrangères (wallisiens, asiatiques), la peur prévaut partout.

Des milices patrouillent la nuit. Le calme n’est revenu que grâce au déploiement massif des forces de police et de l’armée. Des coups de feu trouent la nuit. Des barrages bloquent le trafic routier. Des usines, des entrepôts, des grands magasins ont été brûlés. Le patronat local parle déjà de plus d’un milliard de dégâts. Un «trésor inestimable»? C’est surtout un grand gâchis que le Chef de l’État français va retrouver. Avec, face à face, deux communautés fracturées et débordées par leurs extrêmes, notamment par une jeunesse kanake des quartiers populaires prise en otage par des gangs persuadés que seule la force fera partir les blancs.

Prendre tous les risques, ce sera d’abord parler. Dire les mots qui fâchent. Accepter de reconnaître que les trois référendums organisés (novembre 2018, octobre 2020, décembre 2021) n’ont rien réglé. Certes, tous les trois se sont soldés par la victoire du «Non» à la question: «Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante?»

Certes, la dernière consultation, boycottée par les indépendantistes à la sortie de la pandémie de Covid, s’est soldée par un refus de l’autodétermination par 96% des électeurs. Et alors? Les 120'000 Kanaks (sur 270'000 habitants) ont acquis la conviction que le processus démocratique à l’occidentale est une impasse. Jamais le «oui» à l’indépendance ne sortira des urnes. Ce qui revient, pour tous ceux qui veulent décoloniser ce territoire, à admettre que leur cause devra passer par d’autres voies.

Colonie, colonial…

Colonie. Colonial. Décolonisation. Ces mots, Emmanuel Macron les prononcera-t-il? Comment faire pour que la confiance revienne à tous les niveaux? Confiance entre les Européens de plus en plus radicalisés à droite et les Kanaks, qui contrôlent l’assemblée territoriale et deux provinces sur trois, mais sont englués dans leurs rivalités tribales et personnelles.

Confiance entre les leaders kanaks et une partie de leur jeunesse tentée par la force. Confiance entre le gouvernement et cette population autochtone calédonienne que des puissances étrangères comme l’Azerbaïdjan ne se privent pas d’infiltrer et de corrompre, pour se venger des ingérences françaises dans leurs affaires (le dossier de l’Arménie pour Bakou)…

Emmanuel Macron démontre encore une fois qu’il ne croit qu’en lui-même pour régler les crises. Y compris celles d’un territoire où tout s’entremêle: l’histoire coloniale, l’origine de la présence française dans ces îles transformées jadis en pénitencier, la crise du nickel, principale richesse calédonienne, la différence d’approche des relations humaines, le rapport au temps qui n’a rien à voir avec celui en vigueur à Paris.

Jupiter et les Kanaks

Voilà «Jupiter», le président tout-puissant, revenu sur le devant de la scène. Sauf que le «Dieu des dieux» romains n’a jamais été une divinité pour les Kanaks et leurs Églises protestantes aussi puissantes que désireuses de faire respecter l’identité de ce peuple premier, face à la règle démocratique du «Un homme, une voix».

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