Choc des cultures
Pourquoi Emmanuel Macron n'a pas compris le danger nommé Poutine

Dans «Macron-Poutine, les liaisons dangereuses», la journaliste Isabelle Lasserre dresse le portrait d'un aveuglement français. Possible. Mais si la recherche de la paix était parfois à ce prix?
Publié: 23.04.2023 à 15:03 heures
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Dernière mise à jour: 24.04.2023 à 15:36 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

J’ai refermé «Macron-Poutine, les liaisons dangereuses» (Ed. De l’Observatoire) sans avoir la réponse à la seule question qui compte face à une guerre en Ukraine menaçante pour l’Europe. Emmanuel Macron a-t-il été naïf face à Vladimir Poutine? A-t-il été mal conseillé? Ou a-t-il payé le prix de son courage obstiné, face à un dictateur résolu à démolir l’Union européenne dont il exècre les valeurs de très longue date?

L’essai d’Isabelle Lasserre apporte des réponses aux deux premières interrogations. Dans cet ouvrage très documenté, dont les sources sont pour l’essentiel françaises, la correspondante diplomatique du «Figaro» accrédite la thèse d’une naïveté alimentée par l’histoire et le narratif «classique»: à savoir que la France aime les Empires, et que Paris s’est, au fond, toujours laissé berner par Moscou.

Soit. Ces deux thèses trouvent des réponses étayées. Emmanuel Macron est un jeune président. Il croit à son charme et à sa capacité de conviction. Il est obsédé par l’idée de maintenir une puissance française «d’équilibres», même si son pays n’en a plus les moyens, ni même peut-être l’envie.

Isabelle Lasserre est correspondante internationale pour le quotidien français «Le Figaro». Elle connait bien la Russie où elle fut basée.
Photo: Richard Werly
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On sait aussi que Macron n’a de cesse, depuis sa première élection en 2017, de se différencier de son prédécesseur François Hollande, dont l’ouvrage réhabilite l’action. Ce dernier était présumé «mou». Son successeur et ancien collaborateur veut laisser dans l’histoire une autre trace. Comment ne pas succomber, dès lors, à la folle ambition d’être le seul à pouvoir ramener l’ancien officier du KGB Poutine à la raison de la paix et du respect de l’intégrité territoriale de ses voisins qu’il considère comme des vassaux?

Maitrise parfaite du dossier «Macron»

Je me suis néanmoins interrogé au fil des pages. Isabelle Lasserre maîtrise parfaitement son dossier «Macron». Elle connaît l’homme, qui l’a reçue pour ce livre. Elle fréquente ses conseillers diplomatiques. Elle sait qui est autour du téléphone lorsque le locataire de l’Élysée s’efforce de convaincre son homologue russe.

Mais elle oublie, ce faisant, la troisième option: et si Macron, au fond, avait été le plus courageux de tous? Le seul à se mettre en danger, politiquement, pour essayer de sauver la paix. Le seul à admettre, sans l’avouer, que l’Ukraine n’aura pas d’autre choix que de négocier. «Les réalistes n’étaient en fait que de faux réalistes, écrit l’auteure. C’était le cas bien avant la guerre, ceux qui revendiquent la modération face à Poutine se disaient réalistes. Et depuis le 24 février 2022, ils renvoient dos à dos l’Ukraine et la Russie…»

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Macron déteste le «réalisme»

J’aime bien ce mot «réalisme» car il correspond pile, au fond, à ce que Macron cherche désespérément à ne pas être depuis qu’il est à l’Élysée. Ce président ne veut pas accepter les Français comme ils sont: arc-boutés sur un système social en cours de faillite. Il ne veut pas accepter ses partenaires Européens comme ils sont: terrifiés à l’idée de déplaire à Washington. Il ne veut pas accepter l’évidence, à savoir que les partis politiques sont indispensables en démocratie.

Voilà peut-être pourquoi Macron et Poutine ne peuvent pas se comprendre, et pourquoi leurs liaisons ont été si dangereuses. Le président français croit qu’il peut changer les choses. Le président russe ne pense qu’à renoncer aux changements de la modernité, depuis l’écroulement de l’ex-URSS. Entre les deux, je l’avoue, je préfère encore la posture de Macron.

Isabelle Lasserre est une fine analyste. Elle, qui a couvert les guerres des Balkans, sait comme elle l’écrit qu’une partie du malaise est né là, accru ensuite en Irak puis en Libye: «L’erreur de l’occident fut d’avoir sous-estimé la rancœur et la colère du Kremlin», redit-elle à juste titre. Dont acte.

Il faut lire son essai, non comme une analyse politico-diplomatique, mais comme une psychanalyse de deux hommes incapables de se comprendre parce qu’ils n’appartiendront jamais à la même planète. Poutine est un reptile. Pour lui, Macron vole trop haut. Il s’égare. Il suffit de l’obliger à atterrir. Macron est un animal qui court. Il s’épuise en enjambées. Il ne croit qu’au mouvement.

Au final? Un dialogue impossible. Car pour Poutine, héritier de l’immobile Union Soviétique, le courage de l’action est un danger. L’assaillant Macron, aussi audacieux soit-il, ne percera jamais la muraille d’une telle forteresse.

À lire: «Macron-Poutine, les liaisons dangereuses», par Isabelle Lasserre (Ed. Observatoire)

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