Commentaire de Richard Werly
On ne remettra pas les Français au boulot par la seule contrainte

Dimanche, Gabriel Attal a confirmé la réforme prochaine de l'assurance-chômage. Les demandeurs d'emploi seront moins indemnisés. Une mesure destinée, selon le gouvernement, «à valoriser encore plus le travail». Notre journaliste Richard Werly questionne son efficacité.
Publié: 27.05.2024 à 16:18 heures
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Dernière mise à jour: 27.05.2024 à 16:23 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Pas la peine de prendre des gants: vue de Suisse, la réforme de l’assurance-chômage présentée ce dimanche 26 mai par le Premier ministre français Gabriel Attal n’a rien de choquant. Soyons encore plus directs: le système français d’indemnisation des demandeurs d’emploi, avec une durée d’allocations réduite à 15 mois, restera de toute façon bien plus généreux que les dispositifs helvétiques en vigueur.

Alors stop! Désolé chers voisins, mais la potion sociale que beaucoup présentent comme amère ne l’est pas tant que ça si vous regardez un peu ce qui se passe dans le reste de l'Europe, et si vous prenez en compte la dégradation des finances publiques de la France. Pour rappel, et ce n'est qu’un exemple, le système français de rupture conventionnelle – instauré depuis 2008 sous la présidence Sarkozy – permet chaque année à environ 450'000 salariés de démissionner de leur entreprise en touchant une indemnité de départ payée par l'État, puis en ayant droit aux allocations-chômage. Un summum de filet social pour les employés du secteur privé qui ont des problèmes avec leur employeur. Et vice-versa, puisque la facture de la transaction est acquittée par la puissance publique…

Gare aux caricatures

Répéter cette évidence ne doit pas pour autant nourrir les caricatures. Non, président Macron, les Français ne sont pas devenus fainéants. Non, cher Gabriel Attal, cette réduction (par décret, donc sans débat parlementaire) des indemnisations ne va pas d’un coup de baguette magique redonner du tonus à la valeur travail!

«Renverser le capitalisme»: le mot d'ordre continue de séduire, en France, les syndicats les plus radicaux.
Photo: DUKAS
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Pourquoi? Parce que l’ardeur à produire ne dépend pas du niveau de l’assurance sociale. Elle découle aussi du bien-être sur le lieu de travail, de la considération donnée à la carrière, des possibilités de passer d’un emploi à l’autre au lieu d’être enkysté dans une filière, du bon fonctionnement de l’ascenseur social et, surtout, du niveau des rémunérations, bien plus faibles qu'en Suisse. Pourtant, le niveau de vie dans les grandes métropoles n'est pas si éloigné de celui de Genève ou Lausanne.

Les 170'000 frontaliers français peuvent en parler en connaissance de cause. Une fois arrivés en Suisse, personne ne met en cause leur productivité et leurs performances. Alors, comment ces présumés paresseux (chez eux) se transforment-ils en employés volontaires (en Helvétie). Regardez leur fiche de paie, écoutez-les parler de leurs employeurs et de leurs conditions de travail et vous tirerez vous-même les conclusions.

Moyens diminués

Le fait que la France a de moins en moins les moyens d’assumer son Etat-providence parmi les plus généreux du continent européen, dans un pays où le taux des prélèvements obligatoires atteint 44% du produit intérieur brut (PIB) est une évidence. Mais où sont les demandes adressées par le gouvernement aux patrons? Où sont les contreparties demandées aux entreprises que l'Etat a soutenues à bout de bras pendant des décennies? Où est la réflexion sur une évolution négociée, et non contrainte, du modèle social français à l’horizon 2040?

Emmanuel Macron est, à tort, convaincu que seul le passage en force (sur la réforme des retraites définitivement adoptée en mars 2023, et maintenant sur l’assurance-chômage) peut fonctionner dans un pays peuplé de «Gaulois réfractaires». C’est à la fois triste, dommageable et inquiétant.

La France sociale a fondamentalement besoin d’un projet. Lequel passe sans doute par un désengagement financier de l'Etat et une relance des négociations entre patronat et syndicats. Les décrets et les coups de trique ne font qu’alimenter, au sein d’une partie de la population, les colères, les doutes, et la funeste tentation du «travailler moins pour ne pas être exploité».

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