Il est bouclé !
Pourquoi la gauche française croit à son nouveau Front populaire

Ces deux mots résonnent dans l'histoire de la gauche française. Et voilà qu'ils sont de retour. Le «Front Populaire» , confirmé le 13 juin, pour les législatives des 30 juin et 7 juillet redonne espoir à ce camp politique. Justifié?
Publié: 13.06.2024 à 14:02 heures
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Dernière mise à jour: 14.06.2024 à 07:53 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

L’arrangement électoral conclu jeudi 13 juin après quatre jours de négociation va-t-il déboucher sur une véritable union de la gauche, capable de conquérir la majorité à l’Assemblée nationale à l’issue des législatives du 30 juin et 7 juillet en France? Alors que beaucoup pronostiquaient l'échec, et que de vives tensions écartèlent le Parti socialiste, un vent de victoire possible s’est remis à souffler sur la gauche française, dont Emmanuel Macron espérait récolter les fruits de la division.

Le président français a tout misé sur le calendrier. En décidant de dissoudre l’Assemblée nationale, comme la Constitution l’y autorise, le soir même de la défaite de son camp aux élections européennes ce dimanche, son objectif était clair. Il l’a d’ailleurs redit mercredi 12 juin lors de sa conférence de presse: constituer un «bloc central et républicain», capable de résister aux assauts des extrêmes, à droite comme à gauche. Avec, dans cet hypothétique bloc central, une participation des sociaux-démocrates qui, le 9 juin, ont voté pour la liste de Raphaël Glucksmann. 13,8% pour Glucksmann contre 14,6% pour la liste Macroniste de Valérie Hayer: le calcul semblait simple sur le papier, avec un total de 29% proche des 32% du Rassemblement national de Jordan Bardella.

Macron en danger

Or voilà que le Front populaire change tout. Vraiment tout. Accord électoral pour une candidature unique sur l'ensemble des circonscriptions législatives, mais aussi accord sur quelques grandes priorités nationales et internationales,ce programme commun destiné à empêcher l'accès de l'extrême-droite au pouvoir sera confirmé à la mi-journée ce vendredi. S’il parvient à convaincre les électeurs de gauche, ce Front qui réunit la France Insoumise (gauche radicale), le PS, le parti communiste et Les Écologistes, mais aussi le mouvement Place Publique de Raphaël Glucksmann, pourrait obtenir 18% des voix et jusqu’à 190 députés. Cela ne lui donnerait pas la majorité absolue des 289 sièges sur 577. Mais avec ce socle, la gauche redeviendrait le pivot d’une éventuelle alternance pour faire barrage aux nationaux populistes du RN. Le camp Macron, qui se voit encore en vainqueur potentiel de cette élection précipitée, serait obligé de passer sous ses fourches caudines s’il veut éviter de retrouver Jordan Bardella au poste de Premier ministre.

L'expression Front populaire symbolise, dans l'histoire de la gauche française, à la fois l'union et la victoire de 1936.
Photo: DUKAS
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L’histoire en arrière-plan

Le Front populaire a, en plus, l’avantage de l’histoire. C’est sous ce terme que l’alliance de gauche conduite par le socialiste Léon Blum a remporté les législatives d’avril mai 1936, face au péril fasciste déjà bien installé en Espagne (avec Franco et la guerre civile), en Italie (avec Mussolini) et en Allemagne (avec Hitler). L’Union fait alors la force. Le Front Populaire rassemble la Section Française de l’Internationale ouvrière (SFIO, ancêtre du PS), le Parti radical et le Parti communiste, plus des formations plus petites. Il rafle 386 sièges sur 608 au total.

Il reste aujourd’hui dans l’histoire de la République pour ses mesures sociales comme les congés payés de deux semaines par an, et la réduction du temps de travail hebdomadaire à 40 heures. Ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron, lors de sa conférence de presse, a cité Léon Blum en affirmant que celui-ci «se retournerait dans sa tombe» s’il regardait le Front Populaire actuel. Dans l’imaginaire français, ce «front pop» reste très présent.

Les électeurs veulent l’union

Le premier problème, pour Macron, est que les électeurs de gauche veulent l’union. Selon un sondage réalisé avant les européennes du 9 juin, 76% des sympathisants français de gauche auraient préféré une liste unique, ce qui n’avait pas pu être le cas compte tenu des divergences fortes entre les sociaux-démocrates et la gauche radicale, à la fois sur l’Europe (LFI est très anti-allemande et anti-euro) et sur Gaza (les positions de LFI sur le «génocide» en cours dans le territoire palestinien alimentent l’accusation d’antisémitisme reprise par Emmanuel Macron).

Le second problème, encore plus sérieux, est que l’enjeu politique national des législatives peut permettre à cette gauche de se rassembler comme elle l’a fait avec la NUPES (Nouvelle union populaire, écologique et sociale) en juin 2022. Est-ce factice? Peut-être. Est-ce électoral? Bien sûr. Est-ce faisable et souhaitable? Oui, disent la majorité des électeurs et des cadres élus de ces différents partis. Des manifestations anti extrême-droite sont prévues dès ce week-end à l'initiative des syndicats. «C'est nous qui allons faire le niveau de la mobilisation. Nous devons tous y être» a promis la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet.

Celui qui se retrouve prisonnier de cette logique est, paradoxalement, l’un des vainqueurs du 9 juin. Raphaël Glucksmann, activiste venu de la société civile, est aujourd’hui la figure la plus en vue du camp social-démocrate, même s’il n’a jamais été membre du PS. Il avait dit et répété qu’il ne voulait pas d’un accord programmatique avec La France Insoumise de celui que tout le monde redoute: Jean-Luc Mélenchon, l’ancien candidat à la présidentielle (21,95% des voix, éliminé au premier tour). Il s'y serait finalement rallié, même si l'on ne connait pas encore les détails de son accord.

La raison de ce ralliement ? Glucksmann n’est pas un élu national. Et il ne contrôle aucun appareil partisan. Tandis que Jean-Luc Mélenchon, lui, peut se permettre de rester derrière, et d’attendre. Il a promis de ne pas «s’imposer». Il sait, en vétéran de la politique, que le pouvoir se gagne sur le terrain, dans les élections. Il sait aussi que le «Front populaire» est en train de redonner de la fierté aux militants et aux électeurs. Ce qu'a aussi salué l'ancien président socialiste de la République François Hollande: «Pour moi, ce qui est essentiel, c’est que l’union ait pu se faire. J’ai des divergences qu’on connaît, mais il y a un moment, on va au-delà des divergences, on va à l’essentiel » a-t-il affirmé.

Bordellisation de la vie politique

C’est cet «essentiel», cette fierté, qu’il faut prendre en compte. La gauche, face à l’extrême droite, retrouve une raison d’être. Elle retrouve un motif de combat. Elle retrouve une raison de s’unir aussi avec les syndicats. Le Front populaire de 1936 était autant un mouvement politique que social. Or, beaucoup d’observateurs redoutent, si le RN arrive au pouvoir en France, des grèves et des protestations à répétition, par exemple dans les campus.

La France Insoumise, accusée par Emmanuel Macron de «bordelliser la République» peut se réinventer en force combattante contre les nationaux populistes. Avec un argument massue: qui a précipité le risque d’arrivée du RN au sommet de l’État? La «bordellisation» ou la dissolution de l’Assemblée décidée par Emmanuel Macron?

Le Front populaire tiendra-t-il après l'élection ? Permettra-t-il, surtout, d'obtenir une majorité à l'Assemblée ? Sa première victoire est en tout cas d'avoir fait voler en éclats le plan «attrape-tout démocratique» d'Emmanuel Macron. Et pour cause. Le mandat du président français s’achève en 2027. Il ne pourra pas se représenter. L’union nationale offerte par ce Chef de l'État n’est guère inspirante. Mélenchon et les siens ont donc intérêt à mettre de l’eau dans leur vin. Le Front populaire peut permettre leur réhabilitation. Ils ne vont donc pas se priver de jouer cette carte.

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