Jets de pierre, poubelles brûlées
Ces policiers qui redoutent eux aussi l'engrenage de la violence

Place de la Nation à Paris, ce mardi 28 mars. De 17h à 21h, les unités des forces anti-émeutes ont en permanence été confrontées à des bandes de casseurs. Récit d'un engrenage de violence.
Publié: 28.03.2023 à 22:33 heures
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Dernière mise à jour: 29.03.2023 à 11:33 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Je n'ai pas demandé à être embedded (incorporé) avec une unité de CRS, la police française anti-émeutes. La chaîne d'information BFMTV l'a fait ce mardi 28 mars, et je vois devant moi son équipe s'activer, filmant la commissaire de ce peloton en train de donner des ordres à ses troupes.

Nous sommes boulevard Voltaire à Paris, entre la place de la République et celle de la Nation. Il est un peu plus de 17h. Je reviens d'une intervention devant un collège de banlieue, à Palaiseau, au sud de la capitale française. J'ai décidé de me poser près de la place de la Nation pour observer de plus près le face-à-face entre les policiers et les casseurs.

La veille, lundi 27 mars, j'ai, sur le plateau de la chaîne Public Sénat, évoqué la mauvaise réputation de la police française à l'étranger. Les images des forces de l'ordre en train de taper sur les manifestants sont habituelles en France. À qui la faute? Aux policiers? Aux protestataires? À la terrible loi de l'engrenage?

Près d'un million de Français ont de nouveau marché mardi 28 mars contre la réforme des retraites. L'intersyndicale a réitéré sa demande d'une mise en pause du projet de loi.
Photo: DUKAS
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Des permanences d'élus attaquées

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Le policier à qui je parle refuse d'abord de me répondre. Il est casqué, botté, équipé, protégé des pieds à la tête. En face? Des têtes émergent du nuage provoqué par le tir de gaz lacrymogène.

Ces images ne sont pas du tout spécifiques à la France. Ce type d'affrontement est fréquent en Grèce par exemple, où de récentes manifestations ont eu lieu, après la tragédie du déraillement ferroviaire survenue le 1er mars, causant la mort de 55 personnes. Je parle de la Grèce parce que là-bas aussi, les policiers cognent. Fort.

Retour à Paris. La terrasse du café Le Canon de la Nation est d'ordinaire paisible, remplie de clients. Cette fois, un brasier jouxte presque les tables. J'exagère à peine. À une dizaine de mètres, des jeunes viennent de mettre le feu à des poubelles. On ne comprend pas la situation à Paris ces jours-ci, si l'on n'a pas en tête le problème des poubelles. Partout, des amoncellements d'immondices. Des sacs plastiques remplis de déchets, juchés les uns sur les autres. Des poubelles qu'il suffit de jeter par terre pour qu'elles forment instantanément une barricade nauséabonde, puante et inflammable.

Les CRS que j'ai devant moi ne cherchent même pas à éteindre les flammes qui montent jusqu'à deux mètres. Un feu d'artifice est tiré. Des cailloux volent. On voit les impacts sur les boucliers. Une manifestation aujourd'hui, à Paris, c'est ça. En marge du cortège, et surtout à la fin, les rues appartiennent aux groupes de jeunes casseurs.

Je ne lâche pas du regard le policier que j'ai identifié. Son numéro d'unité est marqué sur son casque à bande bleu. Ces casques, on me l'a dit, sont ceux des unités d'intervention. C'est à eux que l'on demande de «casser» du «Black bloc».

Casser? Oui, c'est bien le mot que j'ai entendu. Pas casser les gens. Pas casser les jambes. Mais casser ces groupes. Les empêcher de se regrouper et surtout de rallier le long cortège des manifestants, avec en tête les représentants des syndicats. Franchement, tout peut arriver.

Les vitrines des magasins ne sont pas recouvertes de planches. Seules les agences bancaires du quartier, informées du trajet de la dixième journée de mobilisation, ont fait monter des palissades à la hâte. Je vois la vitrine d'une épicerie exploser. Je ne sais pas comment cela est arrivé. Je vois mon policier reculer, sur ordre de son chef. Objectif: faire barrage aux casseurs. Éviter qu'ils se noient dans la manif.

Soudain, une dizaine de flics surgissent. Ils ne sont pas à moto. Ils courent vers deux individus, plaqués à terre avant d'avoir pu réagir. Tout autour, des dizaines de vidéastes tournent comme des insectes. Voilà le quotidien de la police parisienne. Se défendre et faire respecter l'ordre dans une nasse.

Les appels de Gérald Darmanin à soutenir les policiers

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J'ai eu raison d'aborder la question des violences policières. Je suis incapable de dire si elles sont, en France, plus endémiques qu'ailleurs. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et le préfet de police de Paris, Laurent Nunez, contestent vigoureusement cette affirmation à chacune de leurs interventions dans les médias. Mais laissez-moi vous dire ce que j'ai vu en deux heures: plusieurs manifestants trainés par les forces de l'ordre, des policiers qui chargent, avec en main des LBD, les fameux lanceurs de balle de défense, non utilisés, mais bien présents sur le terrain.

Voilà ce qui explique les images qui font le tour du monde, et dont les médias russes raffolent. Les policiers français sont assiégés. Ils donnent l'impression de subir, d'attendre avant de riposter. Le face-à-face avec les casseurs est rendu très dangereux par les poubelles, par les palissades de chantier que les protestataires arrachent et transforment en barricades.

Là où j'étais, je n'ai pas entendu un seul slogan contre la réforme des retraites. Ceux qui me parvenaient venaient de bien plus bas sur le boulevard, entonnés par le cortège syndical. J'ai l'impression d'être dans un nid de guêpes. Ces jours-ci, Paris est un essaim venimeux.

La violence est des deux cotés. En face des flics? Des jeunes. Il parait que des Black Bloc sont venus de toute l'Europe, mais j'entends surtout parler français. Le registre est celui de l'insulte, pas de la revendication. Bizarrement, personne ne tente de voler quoi que ce soit dans les magasins éventrés (j'en ai vu deux). Les vitres des abribus ont volé en éclats.

Je lis sur mon portable que des émeutes similaires ont lieu à Lille, à Rennes, à Bordeaux. Quel contraste avec le calme de la banlieue où j'étais quelques heures plus tôt! Tout se passait bien dans ce collège. Les enseignants n'étaient pas en grève. Les élèves me posaient des questions sur le journalisme. J'étais pourtant à moins de trente minutes de scooter de la place de la Nation. C'est ce qu'il faut comprendre: la France n'est pas en feu. Paris n'est pas un volcan. Mais la menace d'embrasement plane.

La chasse aux casseurs

Les unités de CRS ont fait la chasse aux casseurs toute la soirée. Je n'ai pas vu de BRAVM (Brigade de répression de l'action violente motorisée), ces unités mobiles décriées pour leur comportement. Elles sont intervenues plus loin. J'ai vu un policier saigner de la tête. J'ai vu des jeunes sortir des pierres de leurs sacs à dos, et s'enfuir dans les petites rues, vers la place de la Bastille, après avoir renversé vélos et scooters. Tout ça s'est passé loin de la manifestation officielle contre le projet de réforme des retraites, dans les fumées lacrymogènes.

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Dans la manif, à quelques centaines de mètres, les syndicats répétaient leur appel à Emmanuel Macron, pour une pause dans l'application de ce texte législatif. J'ai demandé à un groupe de policiers ce qu'ils pensaient de cette demande et d'une possible pause. Ils ont haussé les épaules, et m'ont montré du doigt une banderole qui flottait dans le ciel au-dessus de la place de la Nation. Son slogan? «Levons le pied avant d'être sur les rotules».

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