Journalisme et justice
Pourquoi Darius Rochebin a eu raison d'interviewer Benjamin Netanyahu

Le journaliste suisse est attaqué pour avoir interviewé Benjamin Netanyahu sur la chaine française LCI. C'est un mauvais procès. Le premier ministre israélien, malgré ses responsabilités dans les crimes commis à Gaza, reste le dirigeant élu d'un pays démocratique.
Publié: 01.06.2024 à 15:25 heures
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Dernière mise à jour: 25.06.2024 à 11:29 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Certaines accusations laissent pantois. Pire: elles exaspèrent. Ainsi donc, notre confrère Darius Rochebin, bien connu des téléspectateurs suisses, aurait commis une faute journalistique impardonnable avec cette interview de Benyamin Netanyahu! Et ce, parce que ce dernier est aujourd’hui l’objet, comme son ministre de la Défense et trois dirigeants du Hamas, d’une demande de mandat d’arrêt pour «crimes de guerre» et «crimes contre l’humanité» par le procureur de la Cour Pénale internationale.

Ce raisonnement, qui vaut au journaliste et à sa chaîne française LCI (où l’auteur de ces lignes est régulièrement invité) d’être l’objet d’une vigoureuse campagne de protestation sur les réseaux sociaux, est à la fois erroné, caricatural et dangereux.

Raisonnement erroné

Raisonnement erroné, parce qu’il s’appuie sur une extrapolation juridique et non sur des faits. Oui, Benjamin Netanyahu sera peut-être l’objet d’un mandat d’arrêt dans les semaines à venir par la CPI, si les juges de Cour estiment justifiée la demande du procureur Karim Khan. Mais aujourd’hui, ce mandat n’est ni effectif, ni délivré. Et même s’il l’était, le premier ministre israélien ne serait pas d’emblée présumé coupable, mais innocent. Seul un procès équitable et en bonne et due forme permettra ensuite de répondre à cette question.

Darius Rochebin a interviewé Benyamin Netanyahou le 29 mai sur la chaîne française LCI.
Photo: DUKAS
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Raisonnement caricatural, parce que le journalisme n’est pas, et ne sera jamais, le bras de la justice. Il peut en être la voix ou l'instrument. Il peut «porter la plume dans la plaie», pour reprendre la fameuse formule d’Albert Londres. Mais hormis pour les éditoriaux ou les commentaires, juger n’est pas notre métier. Benjamin Netanyahu, à ce jour, demeure le chef de gouvernement d’un pays démocratique, dont l’actuelle coalition majoritaire dominée par l’extrême droite est issue d’une élection libre.

Presse israélienne diverse

La presse israélienne est diverse. Les médias anti-Netanyahu ne ménagent pas leurs attaques. Toute comparaison avec des dirigeants totalitaires est à proscrire. Oui, l’ombre de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité pèse sur l’assaut israélien à Gaza, déclenché en riposte à l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023, et dont le bilan humain est effarant, avec prés de quarante mille morts palestiniens. Oui, ces crimes, s’ils sont établis, justifieront des enquêtes approfondies, des inculpations, puis d’éventuels procès et de possibles condamnations. Non, Israël et son armée ne doivent pas bénéficier d’une quelconque impunité. Mais en interviewant Benjamin Netanyahu, Darius Rochebin a d’abord rempli son devoir de journaliste qui consiste à nous informer. La preuve d’ailleurs: les propos de «Bibi» ont été ensuite largement repris et commentés. Tant par ses soutiens que par ses adversaires.

Raisonnement dangereux enfin. L’idée selon laquelle l’acte d’informer devrait cesser à la première demande de mandat d’arrêt, même pour des crimes atroces, n’est ni tenable, ni acceptable. Une guerre ne se déroule jamais comme le croient ceux qui l’observent et la commentent loin des combats. Un conflit, surtout lorsqu’il est provoqué par un acte terroriste massif et indéniable, se déroule toujours dans une tragique opacité que seuls les historiens parviennent ensuite à démêler.

Des éléments pour comprendre

L’anniversaire prochain, le 6 juin, du 80e anniversaire du débarquement allié en Normandie, est l’occasion de multiples conférences et expositions qui démontrent combien, à l’époque, des crimes de masse furent parfois aussi commis par les «libérateurs», alors que leur combat était incontestablement juste. Les journalistes ont d’abord, dans le contexte des conflits, le devoir d’apporter le maximum d’éléments pour comprendre et avoir une idée la plus juste possible des souffrances. Leur regard, toujours subjectif, a l'obligation d’être panoramique. Soit en allant sur le terrain. Soit en interrogeant tous ceux qui donnent les ordres.

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«Une démocratie digne de ce nom a des devoirs. Ne pas les respecter est un des crimes, incontestable et documenté»
Richard Werly, journaliste Blick
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Interroger Benjamin Netanyahu est donc tout, sauf une faute. Le gouvernement israélien, en revanche commet lui, une faute impardonnable en refusant l’accès libre aux journalistes dans la bande de Gaza, que son armée pulvérise un peu plus chaque jour. Les preuves existent, en plus, des tirs ciblés de Tsahal contre des journalistes palestiniens, ce qui a conduit Reporter sans frontières à déposer trois plaintes auprès de la CPI. La dernière détaille huit nouveaux cas de reporters tués, entre le 20 décembre 2023 et le 20 mai 2024.

Soyons très clairs: le fait que son ennemi, le Hamas, soit un mouvement palestinien totalitaire et terroriste ne change rien à l’affaire. Une démocratie digne de ce nom a des devoirs. Ne pas les respecter est un des crimes, incontestable et documenté, commis par Benjamin Netanyahu.

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