La capitale brûle-t-elle?
Tout ce que vous devez savoir sur l'explosion des banlieues en France

A quoi ressemblent Paris et la France au lendemain d'une troisième nuit d'émeutes dans plusieurs villes de banlieue? Essayons, vu de Suisse, de rétablir quelques vérités.
Publié: 30.06.2023 à 13:19 heures
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Dernière mise à jour: 30.06.2023 à 18:47 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Paris brûle-t-il? La capitale française est-elle prise dans un engrenage de violences urbaines déclenché par la mort du jeune Nahel, 17 ans, tué par un tir policier le 27 juin à Nanterre, (Hauts-de-Seine)? Plusieurs points méritent d’être complétés, actualisés et rectifiés pour bien évaluer cette situation d’urgence. Voici les vérités d’une nouvelle nuit d’émeutes.

Un pays et un gouvernement sous tension

La crise déclenchée par la mort du jeune Nahel a pris une ampleur nationale. De retour du sommet européen de Bruxelles vendredi, Emmanuel Macron a promis «des mesures dans les prochaines heures». Il a ciblé les réseaux sociaux, envisageant d'«organiser le retrait des contenus les plus sensibles» et de demander «l’identité de celles et ceux qui utilisent ces réseaux sociaux pour appeler au désordre ou exacerber la violence».

La question de la proclamation de l’état d’urgence est posée. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a, lui, demandé aux préfets de s’assurer de l’arrêt des services de bus et des tramways à 21h dans tout le pays et d’interdire «la vente et le transport de mortiers, de bidons d’essence, d’acides, de produits inflammables et de produits chimiques». Deux concerts au Stade de France de la chanteuse Mylène Farmer ont été annulés.

Le bilan international de cette séquence est dévastateur. Par la voix de sa porte-parole, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a demandé à la France de «s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre», en ligne avec sa recommandation de décembre 2022. L’ONU avait alors exprimé sa «profonde préoccupation» concernant, notamment, les contrôles de police au faciès dans le pays.

La Première ministre Elisabeth Borne s'est rendu sur les lieux de violentes émeutes à Evry (Essonne) au nord-ouest de Paris.
Photo: AFP
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A Paris, des violences limitées et ciblées

Les images du magasin Nike du Forum des Halles et de l’enseigne Zara – vandalisés en pleine nuit dans le centre de Paris – sont depuis ce vendredi matin diffusées sur les écrans du monde entier. Elles illustrent une réalité que j’ai pu moi-même constater en circulant la nuit dernière dans la capitale, entre deux heures et quatre heures: des groupes de guetteurs bien organisés, téléphones portables en main, informent des escouades de casseurs prêtes à fondre sur des enseignes réputées, à la faveur des mouvements policiers.

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Pas de mouvement de panique généralisé et de destructions d’ampleur en revanche. J’ai traversé Paris et j’ai vu, partout dans le centre de la ville, des Parisiens perdus en pleine nuit, car les bus nocturnes ont dû être interrompus pour éviter le vandalisme. Pas de poubelles brûlées comme lors des manifestations contre la réforme des retraites. Question: ce statu quo va-t-il demeurer ce week-end? La capitale, où tout est déjà prêt pour le défilé militaire du 14 juillet place de la Concorde, peut-elle devenir la cible de raids violents bien plus problématiques si les émeutes se poursuivent?

En banlieue, les marches «de la révolte»

On peut se repasser les films. Film de fiction comme «La haine» avec Mathieu Kassovitz (1995) et son célèbre «Jusqu’ici tout va bien». Reportages d’actualité tournés durant les émeutes de 2005 qui avaient entraîné la déclaration de l’état d’urgence pour ramener le calme. Nous y sommes. Les scènes que j’ai observées à Montreuil, dans la nuit de jeudi à vendredi, sont dignes de ces images-là. En plein centre de cette ville populaire de plus en plus «bobo», le chaos a régné toute la nuit. Des grappes de jeunes cassaient les vitrines devant les policiers postés à une centaine de mètres, sans intervenir. Des véhicules retournés et brûlés bloquaient des rues. La liste des villes touchées est longue. Paris est pris dans une ceinture de violences urbaines, mais Lyon, Marseille, Dijon ou Nantes offrent ces jours-ci le même visage nocturne.

Le profil des jeunes «révoltés» qui veulent «niquer la police» et «venger Nahel»? De vingt à trente ans, en survêtement, réunis par grappes d’une dizaine, en train de communiquer sur leurs portables. Ils cassent à proximité de leurs lieux de résidence et de vie. J’ai même vu, dans la nuit, des lycéens s’en prendre à leur établissement avec des barres de fer. Est-ce que les banlieues sont en feu? Non. Beaucoup de villes n’ont pas bougé. Mais l’incendie est allumé.

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«Venger Nahel», le bras d’honneur à la police et à la justice

La confiance est rompue. Personne, parmi les jeunes émeutiers rencontrés dans la nuit de jeudi à vendredi, ne croit à une police française impartiale et à une justice indépendante, capable de sanctionner le policier meurtrier.

Problème: les faits ne sont toujours pas élucidés. La vidéo de la voiture conduite sans permis par le jeune homme, arrêtée par les motards placés sur le côté, a circulé partout. Mais on ne sait pas ce qui s’est passé à l’intérieur de cette Mercedes jaune, que ce garçon de 17 ans conduisait vers 8h30 du matin. Le policier de 38 ans qui a tiré la balle mortelle dans le thorax a demandé pardon à la famille. Il est incarcéré, sous le coup d’une information judiciaire pour «homicide volontaire». Tout l’accable. Mais la justice est encore loin d’avoir fait son travail.

La jeunesse de banlieue fait, avec ses émeutes, un bras d’honneur aux policiers et aux juges. Les policiers, de leur côté, redoutent d’être lâchés par les autorités et admettent que les nouvelles règles d’utilisation des armes à feu prévues par la loi de 2017 sont problématiques. La presse internationale a unanimement déploré la violence des policiers en France, comme l’avait fait le Conseil de l’Europe. Attention, grand danger!

Retrouvez le débat sur les violences policières sur LCP

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Et maintenant: l’état d’urgence à un an des JO?

On connaît le scénario de 2005: débordé par les émeutes dans les banlieues, le gouvernement avait opté pour la proclamation de l’état d’urgence le 8 novembre 2005, avec instauration d’un couvre-feu. C’est ce que réclame aujourd’hui Eric Ciotti, le patron des Républicains (droite), qui parle aussi d’émeutes raciales. La Première ministre Elisabeth Borne n’a pas exclu le recours à l’état d’urgence après la mort de Nahel. «Toutes les hypothèses» vont être examinées avec le président pour rétablir «l’ordre républicain», a-t-elle commenté lors de sa visite à Evry.

Cette instauration de l’état d’urgence serait un très problématique message adressé à l’opinion internationale et au CIO à un an de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques qui devrait accueillir 500’000 spectateurs le long de la Seine. Selon nos informations, plusieurs chantiers du «Grand Paris», cruciaux pour les JO, ont été affectés par les émeutes. Cela risque de continuer. Avec les conséquences budgétaires et sécuritaires évidentes.

Autre point très douloureux: de très nombreux jeunes émeutiers issus de l’immigration se retrouvent ciblés. L’engrenage politico-raciste est alimenté à plein. Alors, «jusqu’ici tout va bien»?

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