La fin d'un mythe du cinéma
Alain Delon, une agonie familiale qui passe par la Suisse

Le magazine «Le Point» détaille, dans une série d'articles, les déchirements de la famille de l'acteur. Alain Delon a perdu son clan, et les questions de succession, entre France et Suisse, jouent un rôle déterminant.
Publié: 02.02.2024 à 21:03 heures
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Dernière mise à jour: 03.02.2024 à 23:53 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ce chiffre-là est sans doute le plus triste de son immense carrière cinématographique. Alain Delon, 88 ans, a toute sa vie professionnelle scruté les records d’affluence lors de la sortie de ses films. Il a aussi, comme producteur, lié son sort aux recettes de longs métrages dont il était l’acteur vedette, souvent un flic vieillissant et intransigeant.

Mais il y a un seul chiffre qui explique aujourd’hui les déchirements de ses enfants et l’explosion de son clan à coups d’interview médiatiques: celui de sa fortune. Alain Delon n’est pas qu’un mythe sur grand écran. Il est aussi le détenteur d’un patrimoine estimé, selon les médias, entre 50 et 250 millions d’euros. C’est évidemment cette fortune, divisée entre la France et la Suisse, son pays d’adoption depuis les années 80, qui transforme ses trois enfants en personnages de tragédie.

Suisse depuis 24 ans

Alain Delon est aussi Suisse. Depuis 1999, le héros du «Guépard» est citoyen helvétique, dans le canton de Genève. Il y a prêté serment, le 13 mars 2000, dans la salle du Grand-Conseil. Mais l’on ne transforme pas comme ça un mythe français en un «monsieur tout le monde», surtout s’il perd ses moyens et que son entourage familial se déchire.

L'acteur français mythique, âgé de 88 ans, vit retranché dans sa propriété de Douchy, dans le Loiret au sud de Paris.
Photo: AFP
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«L’affaire Delon» titre cette semaine le magazine français Le Point. L’hebdomadaire consacre plusieurs pages au témoignage de celle par qui le scandale est en partie arrivé, car elle a brisé la loi du silence du clan, dont les rivalités étaient jusque-là contenues dans l’espace clos de sa propriété de Douchy-Montcorbon (Loiret) au sud de Paris.

Hiromi Rollin, assistante ou compagne?

Celle qui a fait basculer les derniers jours d’un octogénaire affaibli, victime en 2019 d’un AVC doublé d’une hémorragie cérébrale, se nomme Hiromi Rollin, 66 ans, de nationalité japonaise. Depuis le début des années 2000, cette ancienne costumière était l’indispensable assistante de vie d’Alain Delon. Elle affirme dans «Le Point», avoir été sa compagne. Jusqu’à ce jour fatal du 5 juillet 2023.

Hiromi Rollin raconte qu’Alain Delon était revenu avec elle de Suisse, quelques jours plus tôt. Elle affirme que le troisième enfant de l’acteur, Alain-Fabien, l'a volontairement éloignée de la propriété pour qu’elle aille récupérer le chien Loubo. La suite? Hiromi Rollin ne reverra plus jamais Alain Delon. Ses enfants ne lui permettront jamais de remettre les pieds dans la propriété de Douchy.

Les racines de l’explosion

Entre 50 et 250 millions d’euros. De ce patrimoine, les trois enfants, Anthony (59 ans), Anouchka (33 ans) et Alain-Fabien (29 ans), de deux mères différentes, ne parlent jamais. Or, selon «Le Point», qui a consulté plusieurs conseillers fiscaux, là se trouvent les racines de l’explosion du clan familial. Anouchka, sa fille, a longtemps été la «préférée» d’Alain Delon. Il lui a promis, comme le permet la loi française, de lui transmettre 50% de sa fortune, soit le quart qui lui est réservé, plus un autre quart. A l’inverse, les deux garçons ne percevront chacun que 25% des biens paternels.

Hiromi Rollin, dans ce contexte, est une intruse qui coûterait cher si elle était reconnue comme la compagne officielle d’Alain Delon, ce qu’elle cherche à faire, malheureusement pour elle, en l’absence de tout document. Autre problème de taille: Anouchka Delon, seule à résider en Suisse, verra son addition fiscale exploser si son père devait décéder en France.

Pourquoi? Parce qu’il sera alors taxé comme un résident français défunt sur tous ses biens, y compris sur son patrimoine suisse. On vous résume: à Genève, les droits de succession (et de donation) entre conjoints ou partenaires enregistrés et entre parents en ligne directe (descendants et ascendants, mais pas leurs conjoints) ont été abrogés le 1er juin 2004. Abrogés, même si certaines taxes demeurent néanmoins à acquitter après un décès. En France, le taux pour les catégories les plus aisées de la population peut grimper jusqu’à 45%. De quoi transformer une fratrie en champ de bataille…

Otage de son mythe

Le plus triste est évidemment qu’Alain Delon, dans tout ça, est devenu l’otage de son mythe, de sa fortune, de sa réputation. Il a d’ailleurs depuis quelques jours été placé sous sauvegarde judiciaire, c’est-à-dire sous la protection d’un juge français pour tout ce qui a rapport à ses soins et à sa succession.

Cet acteur qui ne cachait pas ses opinions de droite et sa détestation du fisc tricolore se trouve donc aux mains de l’État et de son administration. Autant dire qu’il ne retournera sans doute jamais vivant en Suisse. Adieu, la succession peu coûteuse sur les bords du Léman pour son héritière.

Et maintenant? L’agonie familiale peut-elle cesser? L’article du «Point» en doute fortement. «Le crépuscule dans lequel vit Delon semble tout droit sorti de sa filmographie», assène l’écrivain et académicien français Marc Lambron. Et de compléter, en forme de jugement (presque) dernier: «Un drame de l’héritage? Un parricide symbolique? L’hiver d’un guépard effaré? L’affaire Delon cumule bien des dimensions de tragédie […] A l’automne d’un patriarche du Celluloïd errant dans les labyrinthes de son ego a succédé un Watergate d’antichambre, avec bandes enregistrées, compagne évincée, répudiation d’avocat, part réservataire et quotité disponible, noms d’oiseaux échangés. Comme on le dit d’un cerf aux abois, Delon serait sur ses fins».

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