La réforme des retraites va allumer la mèche
En 2023, les colères françaises ne sont pas inéluctables

Ses grandes lignes seront annoncées le 10 janvier. Confirmée par Emmanuel Macron, la réforme des retraites promet de relancer les colères sociales dans le pays. Mais au même moment, tourner la page des colères reste possible. À quatre conditions.
Publié: 04.01.2023 à 06:49 heures
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Dernière mise à jour: 04.01.2023 à 08:59 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Faisons un rêve: une France enfin apaisée en 2023. Une France où, malgré une cocotte-minute sociale toujours prête à exploser, le compromis l’emporte enfin. Une France où les mots «travail» et «engagement», scandés par Emmanuel Macron dans ses vœux du 31 décembre 2022, ne sont plus accueillis comme des provocations de la part d’un président réélu que ses opposants accusent d’être trop jeune, trop volontariste, trop arrogant, trop «hors-sol».

Oui, faisons un rêve: celui d’une France où le parti du réalisme triomphe (un peu) des idéologies, des postures et des blocages. Possible? Avouons d’emblée que, vu de Suisse, une telle révolution française est difficile à imaginer. Et pourtant, quatre conditions sont susceptibles de transformer 2023 en une année réussie pour notre grand voisin et ses 67 millions d’habitants. Les voici.

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Agir sur la confiance

Les Français ont besoin de symboles pour croire que leur pays n’est pas condamné au déclin, ce que pensent 62% d’entre eux. Or le gouvernement reste, pour le moment, à court d’exemples capables de leur redonner le moral. Le fait que le taux d’inflation ait été contenu autour de 6 à 7% en 2022 (contre 11% au Royaume-Uni et environ 3% en Suisse) n’est pas du tout perçu comme une réussite par une bonne partie de la population, qui voit malgré tout les prix augmenter. Idem pour le «bouclier énergétique» qui a permis de limiter la hausse du prix de l’électricité pour les ménages, mais pas pour les entreprises ni les commerçants. Lesquels tirent aujourd’hui le signal d’alarme. Les boulangers sont en colère. Des entreprises aux marques populaires comme William Saurin (conserves) ou Duralex (verrerie) viennent d’annoncer la fermeture de plusieurs usines et la mise au chômage à temps partiel de centaines de salariés.

Dans ses voeux aux Français le 31 décembre 2022, Emmanuel Macron l'a répété: «Devra-t-on travailler plus longtemps en 2023 ? Là aussi, comme je m’y suis engagé devant vous, cette année sera en effet celle d’une réforme des retraites qui vise à assurer l’équilibre de notre système pour les années et décennies à venir»
Photo: DUKAS

C’est donc sur la confiance qu’il faut agir. Comment? Deux éléments au moins sont positifs en ces premiers jours de l’année. Le premier est la remise en marche progressive du parc nucléaire (52 réacteurs au total, dont la moitié à l’arrêt pour maintenance) qui, selon Emmanuel Macron dans ses vœux, doit permettre de faire redescendre le prix de l’électricité au niveau de son coût de production. Le deuxième facteur positif est le niveau du chômage historiquement bas, autour de 7,4% en 2022, ce qui prouve la vitalité du marché du travail. Bien sûr, cela ne va pas suffire. Il faut d’autres annonces. La qualité de la communication gouvernementale et présidentielle va, dans les semaines à venir, être un facteur décisif.

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Gagner la bataille des retraites

Emmanuel Macron et sa Première ministre, Élisabeth Borne, veulent aller vite. Annonce publique du projet de réforme des régimes de retraite le 10 janvier. Présentation au Conseil des ministres le 23 janvier. Débat au Parlement à partir du début février. Vote définitif par les députés avant la fin du premier trimestre et entrée en vigueur à la fin de l’été.

Trop rapide? À voir. Certes, 54% des Français, selon les sondages, ne veulent pas de cette réforme. L’élément qui les met le plus en colère est l’âge de départ à la retraite. Il est actuellement de 62 ans et deux Français sur trois ne veulent pas entendre parler de son relèvement à 64 ou 65 ans. Reste une possibilité de sortie par le haut, malgré ce calendrier imposé: un «donnant-donnant» clair. Les Français doivent au moins avoir le sentiment que tout le monde fera le même degré d’effort. Le pire serait une réforme complexe, illisible, jugée illégitime. Pédagogie. Force de conviction. Promesse de ne pas passer en force au Parlement avec le fameux article 49.3. Faire de l’année 2023 celle de la réforme «possible» en France est un enjeu majeur.

Retrouvez Richard Werly sur TV5 Monde le 1er janvier:

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Écouter les Français, y compris sur l’immigration

Vous vous souvenez des «Gilets jaunes»? Bien sûr que oui. Durant l’hiver 2018-2019, ces centaines de milliers de manifestants, pour la plupart provinciaux, ont bien failli renverser la table. Ils rejetaient l’augmentation des prix du carburant et la diabolisation de la voiture. Ils dénonçaient la désertification de la «France périphérique». Ils demandaient un travail correctement rémunéré. Ils réclamaient plus de démocratie directe aussi, à travers cette revendication d’un RIC, le référendum d’initiative citoyenne. Depuis, le mouvement s’est éteint et il est peu probable qu’il redémarre, malgré le mot d’ordre lancé pour manifester ce samedi 7 janvier. Le 8 septembre 2022, Emmanuel Macron a lancé le Conseil national de la Refondation pour identifier des pistes de réformes structurelles. Faut-il aller plus loin? Consulter davantage les Français et leur montrer, concrètement, qu’ils sont entendus? La réponse est oui.

Un dossier sera décisif en 2023: celui de l’immigration. C’est habituel. Rien de nouveau, malheureusement. Ce sujet empoisonne sans cesse la vie politique, et pas seulement en France. C’est le cas dans tous les pays européens. Présenté le 6 décembre 2022 au Parlement, le nouveau projet de loi Asile et immigration qui vise, selon le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, «à mieux intégrer et à mieux expulser» doit donc aussi servir d’opération-vérité.

Tant qu’une partie des Français continueront de penser que l’on cache les réalités migratoires, la droite extrême progressera. C’est d’ailleurs pour cela que Marine Le Pen et le Rassemblement national, fort de 89 députés à l’Assemblée, sont jusque-là restés discrets en début de législature. Ils savent que le temps joue pour eux. Sur l’immigration aussi, le gouvernement doit davantage écouter les Français. Pas pour donner raison aux extrêmes, mais pour être crédible et mieux convaincre.

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Engranger des succès diplomatiques

La politique étrangère ne compte pas dans le débat social. Elle ne permet pas d’apaiser les colères. Sauf qu’en 2023, tout sera différent. Le 24 février, le premier anniversaire de l’agression russe contre l’Ukraine sera une bien triste date. Or les Français aiment savoir que leur pays est influent. François Mitterrand avait, dans les années 1980, parfaitement réussi à installer l’Europe comme projet politique, pour mieux faire oublier son virage de l’austérité, après les promesses sociales de mai 1981.

Emmanuel Macron pourra mieux répondre aux colères françaises si ses propositions sont entendues et suivies au sein de l’Union Européenne, confirmant ainsi sa stature de leader écouté. Il en va de la confiance du pays en lui-même, dans cette épreuve à l’est du continent.

2023 sera une année de turbulences à tous les niveaux, en particulier sur le plan international. Or la force d’Emmanuel Macron est, jusque-là, d’apparaître au moins comme un président compétent, qui représente correctement la France dans le monde. Problème: son premier quinquennat s’est achevé par des échecs préoccupants, comme le rejet de la France au Sahel.

Il faut que, sur le terrain de la puissance et de la défense, le pays marque des points cette année. Plus la France apparaîtra respectée à l’étranger, surtout par les grandes puissances, plus les Français la respecteront aussi. L’effet miroir, en 2023, année de tensions internationales garanties, ne doit pas être sous-estimé.

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