Le 14 Juillet en France
Dealers et émeutiers contre flics et cagnotte: une prochaine explosion?

Le 14 juillet, c'est la Fête nationale française. Une journée de feux d'artifice redoutée dans les banlieues sorties assommées des récentes émeutes. Alors que les trafiquants et les policiers se retrouvent face à face. Et en colère.
Publié: 06.07.2023 à 16:24 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

1,6 million d’euros recueillis en ligne pour venir en aide au motard qui a tiré et tué le jeune Nahel au petit matin, le 27 juin à Nanterre. Et derrière cette somme, des internautes français excédés, ralliés autour de ce policier par un politicien d’extrême-droite familier des médias, ancien haut fonctionnaire au Ministère de la Défense et ex-porte-parole du candidat Eric Zemmour à l’élection présidentielle de 2022.

La «cagnotte» de solidarité accumulée en quelques jours est, en France, la preuve que les policiers peuvent compter sur l’appui d’une bonne partie de la population. Fermée mercredi 5 juillet, elle a entraîné le dépôt d’une plainte de la mère de Nahel, le jeune garçon de 17 ans mort d’un tir au thorax, pour «escroquerie en bande organisée» et «recel de cette infraction». Le policier incriminé est aujourd’hui incarcéré, sous le coup d’une mise en examen pour «homicide volontaire».

Silence et inquiétude

De l’autre côté, le silence et l’inquiétude. Dans les banlieues qui se sont embrasées, personne ne croit qu’un calme durable va revenir par la seule grâce d’une rencontre à l’Élysée, mardi, entre Emmanuel Macron et 250 maires de villes touchées par les émeutes. L’annonce d’une possible «loi d’urgence» pour la reconstruction des centaines de bâtiments publics détruits n’a pas dissipé l’angoisse des élus, parfois visés personnellement. Et pour cause: le 14 Juillet approche. La Fête nationale est toujours l’occasion de feux d’artifice, et de tirs des fameux mortiers utilisés contre la police ces derniers jours.

Le montant des dommages causés par les émeutes de ces derniers jours en France devrait dépasser le milliard d'euros.
Photo: imago/Reichwein
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Preuve que des réserves inflammables existent dans les quartiers: près de 1,5 tonne de mortiers ont été saisis depuis une semaine en région parisienne, selon le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Ces mortiers sont commandés en ligne, souvent à des sociétés basées dans l’est de l’Europe. Ils sont livrés à domicile. Trente pièces par carton, à 8 euros pièce. Selon le quotidien «Le Monde», «les Crackling Chrysanthemum ('chrysanthèmes crépitants') de la firme polonaise Tropic sont capables de propulser huit projectiles d’un calibre variant de 20 à 29 millimètres, selon les modèles, pendant une durée de trente secondes». Ambiance…

Retrouvez Richard Werly dans «Courrier International»:

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Au milieu de ce face-à-face entre des policiers accusés de racisme, mais soutenus par une France silencieuse et demandeuse d’un retour à l’ordre ferme? Les trafiquants de stupéfiants considérés comme les «caïds» des quartiers. «Les gamins, ils écoutent qui? Les dealers, Monsieur le président», s’est entendu dire Emmanuel Macron en début de semaine, lors de sa visite dans un commissariat parisien.

Version légale donnée par les policiers, selon «Le Parisien»: «En onze ans d’exercice, on n’a jamais vu autant de tirs de mortiers. Les deux premiers soirs, ils ont été utilisés pour nous tuer, c’est sûr. (...) Les gamins, on les attrape, puis le lendemain, on les retrouve dans la rue, c’est qu’il y a un problème. (...) On a multiplié les textes de loi. Maintenant, il faut qu’ils soient appliqués.»

Version moins légale, et plus réaliste: «Les gamins écoutent les dealers, Monsieur le président. C’est eux qui commencent à leur demander de se calmer depuis deux jours, parce que tout ce bazar, c’est en train de donner du tort à leur business. Ça fait une semaine que le trafic de stups ne tourne pas.»

La peur du 14 juillet

Pourquoi cette peur du 14 juillet, jour traditionnel du défilé militaire sur les Champs-Élysées, à Paris, que présidera Emmanuel Macron en présence du Premier ministre indien, Narendra Modi? «Parce que beaucoup de villes ne vont pas renoncer au feu d’artifice, explique Yazid Kherfi, un éducateur, animateur de l’association Médiation nomade. Ceux qui veulent repasser à l’acte pourraient en profiter.»

Sauf si les dealers s’interposent: «Le paradoxe absolu, c’est que les flics soutenus savent qu’ils ont besoin des trafiquants pour tenir les quartiers. Les Français donnent de l’argent dans une cagnotte pour soutenir ce motard accusé de meurtre, mais ce sont les 'caïds' qui peuvent empêcher les bavures en ordonnant aux gosses de se tenir tranquilles», reconnaît l’animateur, en regrettant l’abandon des programmes de prévention et la désertion publique du champ de la médiation.

Les trafiquants à la rescousse de l’État

Le journaliste Frédéric Ploquin, spécialiste de la pègre, est de cet avis. Le 14 juillet 2023 est tenu en joue par les narcos: «Si les trafiquants de drogue mettent fin aux émeutes, ils rendent service à l’État, ce qui les place dans une situation pour le moins assez singulière», affirme-t-il à «Lyon Capitale».

Explication: «En gros, les trafiquants des stupéfiants sont des gens pragmatiques, ce sont des commerçants, certes illégaux, mais des commerçants quand même. Et comme les commerçants, ils n’aiment pas voir leurs vitrines se faire casser. Or, c’est ce qui se passe depuis plusieurs jours: les points de deal sont au pied des immeubles, dans les quartiers, d’où partent et s’agitent les émeutiers. Pour eux, c’est une perte de chiffre d’affaires. Et quand on connaît les chiffres de certains points de deal à la journée, les pertes peuvent rapidement devenir énormes.»

Un accord souterrain?

De là à imaginer, comme certains, un accord informel et souterrain entre la police et le milieu avant la fête ô combien symbolique du 14 Juillet, pour calmer le jeu. «L’extrême-droite qui récolte de l’argent pour la police de façon très discutable pense que les flics tiennent les quartiers et peuvent en reprendre le contrôle durable. Or, c’est faux», juge un élu.

D’autant que pour les trafiquants, ces émeutes ont eu un autre avantage, selon Frédéric Ploquin, auteur de «Les narcos français brisent l’omerta» (Ed. Albin Michel): «Les caïds ont besoin des jeunes qui n’ont pas peur de la police, capables de se défendre et de violence, car le trafic est une activité dans laquelle il faut maîtriser la violence. Donc, à partir du moment où ces jeunes sont aguerris à la violence, ils deviennent une main-d’œuvre potentielle et malléable.»

Les émeutes françaises, terrain de formation pour futures recrues des «narcos» face à des policiers de plus en plus impuissants?

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