Le livre à ne pas rater
Comment la France a été trahie par ses présidents depuis 1981

Franz-Olivier Giesbert l'assène sans pitié dans «Tragédie Française», le troisième tome de ses mémoires de journaliste politique. Depuis 1981, la trahison systématique règne à l'Élysée.
Publié: 10.12.2023 à 11:32 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ce livre de mémoires qui se lit comme un roman ne devrait pas s’intituler «Tragédie Française» (Ed. Gallimard). Franz-Olivier Giesbert, 74 ans, aurait mieux fait de le titrer «Trahisons françaises». Car depuis 1981, date à laquelle commence ce récit qui nous conduit jusqu’à 2017 et à l’élection d’Emmanuel Macron, tout n’aura été que fausses promesses, ou engagements non tenus, de la part des chefs d’État français qui se sont succédé au palais de l’Élysée.

Oui, trahison, parce qu’il ne s’agit pas seulement de mensonges, ce carburant politique indispensable. C’est la France que ses présidents élus au suffrage universel ont fini par trahir. En refusant d’affronter ceux qu’ils étaient supposés servir, mais qui leur ont toujours fait peur: ces (sacrés) Français.

Les lecteurs de Blick qui ont (peut-être) suivi mes conseils en se procurant «La belle époque», son précédent livre de mémoire, feraient bien de se rendre à nouveau en librairie pour se procurer «Tragédie Française», ou bien le commander en ligne. La fluidité du style, les portraits écrits au stylo transformé en dague, la méchanceté à tous les étages et la sympathie générale qui se dégage de cet ouvrage, tant pour l’auteur que pour les protagonistes, en font un morceau choisi de la vie politique française contemporaine. 

Mais surtout, ne le lisez pas pour espérer que la France se porterait bien mieux si les Français élisaient un autre type de président. Giesbert est à la fois avocat, procureur et juge. Il est le procès de la République. Et son jugement est sans appel: ces présidents qu’il a connus, côtoyés, câlinés et (parfois) chahutés ne sont que le reflet d’un pays qui se ment à lui-même parce que telle est, depuis la sortie de la prospérité des années 60-70, la condition de sa supposée grandeur.

Dans le troisième tome de ses mémoires, le journaliste Franz-Olivier Giesbert brosse le portrait de trahisons présidentielles à répétition.
Photo: Richard Werly
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Mise en scène romanesque

Tous les locataires de l’Élysée portraiturés par Franz-Olivier Giesbert ne se ressemblent pas. Il y a d’abord Mitterrand, le roi de l’esquive, de la dissimulation et de la mise en scène romanesque de ses manipulations à répétition qui scandèrent sa vie tout entière dévouée à la conquête du pouvoir politique. 

Voici ensuite Jacques Chirac, dont l’authenticité personnelle ne parvint jamais à dominer l’incapacité à s’intéresser à ces deux sujets majeurs de la vie d’un pays que sont l’économie et la jeunesse. Les autres? Nicolas Sarkozy, coléreux et sans autre panache que celui de son culot, n’a guère intéressé Giesbert. François Hollande, plus chroniqueur qu’acteur de son propre mandat, a privé l’essayiste du plaisir de lui construire une statue, pour mieux la démolir ensuite. Macron? Nous verrons bientôt. Mais un fil relie tous ces présidents de la République: leurs renoncements. 

Le conservateur Mitterrand avait, avant même d’être élu, renoncé à changer la vie. L’amoureux du monde qu’était Chirac ne croyait plus à la France gaulliste dont il prétendait porter l’ambition. Le teigneux Sarkozy ne voulait que régler ses comptes. Le vulnérable François Hollande a oublié qu’il faut continuer de tuer sans pitié ses adversaires une fois parvenu au sommet de l'État.

Giesbert s’auto-critique

L’auteur, évidemment, se réserve dans son propre livre la meilleure des places. Il s’auto-critique pour mieux se faire pardonner. Ses flatteries, sa propre capacité à trahir, son goût effréné de la confidence, sa conviction que le charme l’emportera toujours sur la vérité et sur la compétence, tout cela devient, sous sa plume, des qualités de chroniqueur. 

Franz-Olivier Giesbert, comme tout bon chasseur, a aussi ses cibles. Sa détestation du grand bourgeois Balladur (Premier ministre entre 1993 et 1995, puis candidat battu par Chirac à la présidentielle) n’a d’égal que son mépris pour Bérégovoy, l’ancien contremaitre devenu chef du gouvernement (dont le suicide, le 1er mai 1993, continue d’alimenter les théories du complot). 

Impossible, pour nous, de dire s’il a raison sur ces deux hommes. Sur eux, chaque mot fait mal. Et si Giesbert, le bourgeois de Normandie, américain par son père, ne supportait pas l’Oriental dans l’Arménien d’origine Balladur, et le carriériste prolétaire incapable de comprendre ce qu’est une entreprise dans Bérégovoy?

Deux hommes sortent grandis

Deux hommes sortent grandis de ce livre. Deux hommes qui ne furent jamais présidents. Le premier est l’ancien Premier ministre socialiste Pierre Mauroy (1928-2013), présenté comme l’éternel sincère. Et Michel Rocard, l’autre chef du gouvernement socialiste, tué politiquement par Mitterrand, que Giesbert évite. 

Logique. Rocard était l’anti-Giesbert. Il espérait gouverner pour agir quand le journaliste n’a toujours adoré que l’écume du pouvoir. Rocard ne semait guère de petites phrases. Rocard était l’idole du «Nouvel Observateur», ce journal social-démocrate que Giesbert décida de trahir (il s’en explique) pour partir au «Figaro», temple de la droite.

On aimerait détester Franz-Olivier Giesbert. Il le mérite amplement. Puis le lecteur qui – heureusement – sommeille dans le critique, tourne les pages du livre en se disant que le talent n’est jamais négociable. Chapeau!

«Tragédie Française» raconte une France trahie que les mots sont supposés calmer et endormir. Grave erreur. Car pendant ce temps-là, depuis 1981, ses maux, les vrais, n’ont fait que s’aggraver.

A lire: «Tragédie française» par Franz-Olivier Giesbert (Ed. Gallimard)

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