Le livre à ne pas rater
Nouvelle-Calédonie: l'implacable délitement de la République

Dans son essai «Nouvelle-Calédonie, La tragédie» publié juste avant l'été, le journaliste Patrick Roger raconte, avec force détails, les douloureuses convulsions du territoire du Pacifique. Un dossier emblématique pour le nouveau Premier ministre Michel Barnier.
Publié: 08.09.2024 à 17:09 heures
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Dernière mise à jour: 08.09.2024 à 17:55 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Écrire l’histoire politique d’un territoire lointain, situé à 17'000 kilomètres de Paris, exige soit une connaissance intime des lieux, soit un travail minutieux de reconstitution des faits, à partir des archives et des témoignages des principaux acteurs. Patrick Roger, qui fut longtemps l’une des grandes plumes politiques du Monde, a opté pour la seconde option, après plusieurs années passées à arpenter les territoires d’outre-mer français pour le grand quotidien. Le résultat est «Nouvelle Calédonie: La Tragédie» (Ed. du Cerf) publié en mai dernier, pile au moment de l’éruption de nouvelles émeutes dans ce lointain territoire français du Pacifique.

La puissance de ce livre de 350 pages, enquête historique réussie sur les relations entre le «caillou» et la France, vient de la reconstitution précise des faits. Patrick Roger, longtemps correspondant parlementaire pour Le Monde, a la religion de l’exactitude. Ce qui, sur un tel sujet, est à la fois indispensable et – peut-être – problématique. Peut-on, en effet, s’en tenir aux seuls événements politiques pour comprendre l’implacable délitement de la relation entre la Nouvelle-Calédonie et la France?

Passif colonial

Il y a, dans l’interaction entre la population française installée sur place (des descendants de bagnards aux ex-colons d’Algérie, en passant par les nouveaux immigrants des années 70-80) et les Kanaks (les tribus autochtones, divisées et parfois opposées), bien plus qu’une superposition de rendez-vous réussis ou ratés. Un passif existe, redoutable parce que viscéralement colonial: la France de 2024 doit, dans cette lointaine possession du Pacifique, accepter aussi de faire face à ses démons.

Dans son essai, Patrick Roger raconte l'implacable séparation entre les communautés. Comment y remédier alors que les décisions sont prises à Paris, à 17'000 kilomètres de là?
Photo: Werly richard
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Le livre de Patrick Roger sera, à coup sûr, sur le bureau du nouveau Premier ministre Michel Barnier ces prochaines semaines. Car la Nouvelle-Calédonie résume, en version tropicale et postcoloniale, tout ce que la République doit surmonter comme défis: rétablissement de l’autorité, capacité à faire confiance aux acteurs locaux, rétablissement des services publics, respect de la parole donnée et émancipation des populations trop longtemps discriminées.

Il ne s’agit pas de faire un parallèle entre ce territoire peuplé de 270'000 habitants et la métropole. Il s’agit, en revanche, de restaurer ce qui fonctionna, sous le gouvernement de Michel Rocard (1988-1991) pour nouer les accords de paix de Matignon: parler à tous les acteurs, tenir les engagements pris malgré les épreuves, et surtout ne pas changer en permanence d’attitude, et accepter le temps long. Soit le contraire des exigences médiatiques d’aujourd’hui.

Un livre dense, passionnant

Deux remarques viennent en tête à la lecture de ce livre dense, passionnant, qui permet aussi aux lecteurs qui ne connaissent pas l’histoire de la France d’outre-mer de comprendre comment celle-ci s’est bâtie. La première est que l’économie calédonienne, tributaire du nickel, principale ressource naturelle du territoire, est un nœud qu’il faut impérativement trancher. L’auteur l’explique bien, mais trop vite: l’économie locale est tenue par quelques consortiums familiaux. Elle est verrouillée. Elle engendre une dépendance qui coûte autant à l’État central qu’aux populations locales, prises en otage.

Emeutes et pillages

La seconde remarque porte sur les Kanaks, cette population calédonienne autochtone qui se retrouve désormais confrontée à trois référendums successifs (2018, 2020, 2021) à l’issue desquels le «non» à l’indépendance l’a emporté. Comment gérer cette situation, alors qu’une modification du corps électoral, en intégrant de nouveaux arrivés, est simultanément logique et explosive comme on l’a vu en mai, puisque le projet de loi envisagé a déclenché une vague d’émeutes et de pillages?

Patrick Roger, interlocuteur exigeant attaché à restituer les faits dans leur complexité, devrait actualiser son ouvrage par un volet consacré à ces tribus qui, depuis l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou et Yeweiné Yeweiné, le 4 mai 1989, par un leader kanak d’Ouvéa, manquent cruellement de leaders capables d’incarner l’avenir et de tenir aux jeunes un discours de vérité.

Donne stratégique

Reste la donne stratégique effleurée par l’auteur: le poids régional de la Chine, les tentatives de déstabilisations de la Russie ou de l’Azerbaïdjan, la fragilité du lien avec la métropole. Une chose est certaine: lorsqu’un journaliste politique réussit avec un tel brio à prendre de la distance et à peindre avec autant de précision la toile de fond d’une histoire aussi complexe, il se doit de poursuivre le travail. Car il rend, par là même, un sérieux service à la République.

A lire: «Nouvelle-Calédonie, La tragédie» par Patrick Roger (Ed. du Cerf)

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