Marche de la NUPES
Ne pas gouverner, le choix terrible de la gauche française

Ce dimanche à Paris, la marche de la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES) a confirmé le choix de cette coalition de gauche radicale: protester plutôt que gouverner. Et choisir la rue plutôt que le pouvoir.
Publié: 16.10.2022 à 20:20 heures
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Dernière mise à jour: 17.10.2022 à 15:41 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Protester. Manifester. Dénoncer. La gauche française a choisi son camp. Plus question, pour la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES), coalisée derrière Jean-Luc Mélenchon, de briguer l’exercice du pouvoir ou de réfléchir à des compromis, dans ces temps rendus difficiles par la guerre en Ukraine. Les 140 000 personnes (30 000 selon les autorités) du cortège de la «marche écologique et solidaire» dans Paris ce dimanche l'ont confirmé.

L’heure est aux proclamations révolutionnaires, et aux impératifs de toutes sortes: salariaux, climatiques, institutionnels. La social-démocratie, vieille tradition française d’abord incarnée par la SFIO puis par le parti socialiste à partir des années 70, est balayée. L’époque est aux révoltes. La NUPES ne veut pas rater ce train de la colère.

7,7 millions de voix à la présidentielle

Sur le fond, la manœuvre est logique. Arrivé en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle le 10 avril dernier, Jean-Luc Mélenchon a raté son ultime chance d’accéder en finale de la course à l’Elysée, avec 7,7 millions de bulletins dans les urnes, soit 21,9% des voix. Beau pactole électoral pour ce tribun de 71 ans, issu du mouvement trotskiste et du parti socialiste, qui a plusieurs fois laissé entendre qu’il ne se représenterait pas.

L'ancien journaliste François Ruffin, député de «La France Insoumise», est le porte-parole des territoires abandonnés selon lui par la République. Il vient d'y consacrer un livre «Je vous écris du front de la Somme» (Ed. Les liens qui libèrent)
Photo: AFP
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Les législatives qui ont suivi, en juin – il n’était pas candidat à un nouveau mandat de député de Marseille – ont ensuite achevé le travail. Avec 150 élus, la coalition rouge-rose-vert qu’est la NUPES (composé de plusieurs groupes parlementaires) a réussi un beau score, mais raté d’assez loin son pari d’obtenir une majorité de sièges pour envoyer Mélenchon au poste de Premier ministre. Par deux fois, la gauche française réincarnée et revivifiée s’est donc fait renvoyer dans ses buts. Oui pour lui donner la parole. Non pour lui ouvrir grand la porte du pouvoir.

La stratégie contraire du Rassemblement national

Le résultat ne s’est pas fait attendre. Plutôt que de jouer, comme le Rassemblement national de Marine Le Pen (89 députés, un record pour ce parti), la carte de l’opposition calme et résolue à Emmanuel Macron et au gouvernement, la NUPES a choisi d’être la rue, les slogans, les fractures qui font mal et la pression sociale. Objectif: éviter à tout prix qu’au Parlement, des coalitions discrètes se mettent en place, qui pourraient permettre au Gouvernement… de gouverner et de réformer.

Plus la bataille sociale sort de l’Assemblée nationale pour paralyser le pays à coups de grèves, plus le camp présidentiel se retrouve le dos au mur, coincé par sa majorité relative de députés qui l’oblige à trouver des alliés pour faire adopter ses projets de loi, à commencer par le budget 2023 actuellement en débat.

La gauche et les écologistes français, ce faisant, participent à la dramatisation du climat politique et à la délégitimation du président de la République pourtant réélu avec 58,54% des voix. Mélenchon veut une nouvelle bataille maintenant. Dissolution de l’Assemblée, crise institutionnelle… qu’importe: l’essentiel est de bloquer la machine à coups de revendications.

Le piège politique fonctionne

Or voilà que ce piège politique est en train de fonctionner. Emmanuel Macron, déboussolé depuis sa réélection et accaparé par les problèmes internationaux, n’a que la carte de la ténacité de sa Première ministre, Élisabeth Borne, pour résister à cette vague de colère. Coupé du pays, incapable d’expliquer de façon convaincante aux Français la nécessité de réformer maintenant l’assurance-chômage et les systèmes de retraite, bousculé sur le plan européen par la progression des nationaux-populistes en Italie et en Suède, le président français manque d’arguments pour convaincre l’aile modérée de la droite, et quelques élus socialistes non ralliés à la NUPES, de lui apporter leur soutien.

Jean-Luc Mélenchon, en radicalisant à fond le paysage politique, a mis les modérés dans une position intenable, alors que les prix de l’énergie explosent et que les salariés modestes ont de plus en plus de difficultés. Puisque le système en place ne permet pas l’effort social indispensable, et puisque l’Europe tarde à débloquer un nouveau programme massif de solidarité, alors, renversons la table…

Irréalisme et refus de gouverner

Ce choix a une conséquence: il associe la gauche française à l’irréalisme et au refus de gouverner. Il en fait une force avant tout contestataire, tandis que l’extrême-droite s’empresse de se professionnaliser et d’acquérir les compétences qui lui manquent encore terriblement pour apparaître capable de diriger de nouveau la France. Dommage.

Les propositions sociales et écologiques avancées par la NUPES, et la qualité de plusieurs de ses élus, méritent bien mieux que cette tentation révolutionnaire permanente, même si l’état actuel des finances publiques françaises et européennes ne permet guère d’y répondre. La gauche française a perdu le sens des réalités. Ce qui convient fort bien à son chef. Car en matière d’incantations, de promesses et de dénonciations, Jean-Luc Mélenchon est de très loin le meilleur.

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