Poutine, 80 ans après Staline
A Stalingrad, les Russes ont-ils sauvé l'Europe?

L'Europe telle que nous la connaissons aujourd'hui a-t-elle été rendue possible par la victoire russe à Stalingrad, achevée le 2 février 1943 par la reddition nazie? 500'000 morts et 600'000 blessés du côté russe: pour Poutine, 80 ans après, le symbole est très fort.
Publié: 02.02.2023 à 12:11 heures
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Dernière mise à jour: 02.02.2023 à 12:26 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il symbolise cette alliance historique entre l’Europe et la Russie que la guerre en Ukraine a fait voler en éclats depuis bientôt un an. Charles de Gaulle, le chef de la France libre considéré comme le symbole d’une certaine indépendance française et européenne vis-à-vis des États-Unis, s’est rendu deux fois à Stalingrad, sur les lieux de l’une des plus terribles batailles de la Seconde Guerre mondiale, achevée il y a tout juste 80 ans, le 2 février 1943.

1944, de Gaulle à Stalingrad

Une première fois, de Gaulle se rend à Stalingrad en novembre 1944, lors de son voyage en URSS, six mois après le débarquement allié en Normandie. Paris a été libérée en août. De Gaulle a sans cesse dû s’imposer face à ses protecteurs américains et anglais, sans lesquels il n’aurait jamais pu défendre l’honneur de la France face au régime du Maréchal Pétain. Mais de Gaulle se souvient.

De 1942 à 1944, des pilotes français ont chassé les avions nazis du ciel soviétique: ils appartenaient à l’escadrille Normandie-Niémen. Le général retrouve ces aviateurs rompus au combat aux côtés des Soviétiques le 9 décembre 1944 à Moscou, après y avoir rencontré le maître du Kremlin, Joseph Staline. Il fait de cette force aérienne un «compagnon de la libération». Quelques jours plus tôt, le 30 novembre, sa délégation s’est rendue là où l’armée rouge a stoppé Hitler au prix de pertes humaines colossales: sur l’ex-champ de bataille de Stalingrad.

Le président russe a donné pour consigne d'utiliser la commémoration de la victoire de Stalingrad pour justifier l'intervention en Ukraine contre les «nouveaux Nazis». Objectif: convaincre que si l'URSS a gagné en 1943, la Russie peut le répéter.
Photo: keystone-sda.ch

Comment Poutine instrumentalise la mémoire

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L’Europe et Stalingrad – débaptisée après le stalinisme, elle est aujourd’hui Volgograd, où Vladimir Poutine se rend ce 2 février pour le 80e anniversaire de la victoire contre les nazis: ce thème est à nouveau au centre de la seconde visite de Charles de Gaulle en juin 1966. Le président français est alors l’emblème d’un certain non-alignement sur les États-Unis, même s’il a soutenu Washington sans faille lors de la crise des missiles de Cuba face à l’URSS, en 1962. Quelques semaines avant cette deuxième escale sur l’ex-champ de bataille, de Gaulle a pris ses distances avec l’OTAN. Son pays reste dans l’Alliance Atlantique, mais sort du commandement intégré et exige la fermeture des bases américaines. Les Soviétiques lui font un triomphe.

En septembre de la même année, de Gaulle repart à l’assaut de la puissance impériale américaine dans son fameux discours de Phnom Penh (Cambodge). Il parle de la guerre au Vietnam, cette ex-colonie que la France a déserté après sa défaite de mai 1954 à Diên Biên Phu. Il défie Washington: «Si longue et dure que doive être l’épreuve, il est certain aux yeux de la France qu’elle n’aura pas de solution militaire. Dès lors, et à moins que le monde ne roule vers la catastrophe, seul un règlement politique pourrait rétablir la paix.» Faut-il faire une analogie avec la guerre en Ukraine? Certains le pensent, comme son petit-fils Pierre de Gaulle, qui sera ce 2 février 2023 à Volgograd.

L’histoire de Stalingrad par François de Kersaudy

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Les Soviétiques ont-ils sauvé les Européens à Stalingrad, dans cette ville transformée par la guerre en «hachoir à viande», surnom que lui avaient donné les Nazis? Un livre permet en partie de répondre à cette question. Dans «Stalingrad, le tournant de la guerre» (Ed. Perrin), l’historien François Kersaudy montre bien comment les sacrifices russes ont permis d’enrayer la formidable machine de terreur et de destruction nazie, mise par ailleurs en échec au même moment par les Britanniques dans les déserts d’Afrique du Nord. Là aussi, impossible de lire le déroulement de la bataille de Stalingrad sans penser aux combats d’aujourd’hui en Ukraine. Les photos de ce livre, montrant les combattants au milieu des ruines, font penser à celles de Marioupol, de Bakhmout ou de Soledar. Le pilonnage des fameux «orgues de Staline» fait penser aux missiles russes d’aujourd’hui.

De Kersaudy montre, 80 ans plus tard, l’importance de Stalingrad: «Les conditions climatiques, les possibilités d’approvisionnement, les exploits du renseignement, l’influence de la propagande, les ruses du camouflage, l’évolution des armements aériens et terrestres, la détermination des chefs, le poids de la terreur et pour finir l’extraordinaire capacité de résistance des hommes ont façonné ce sanglant abcès de fixation» écrit-il. Comment ne pas penser aux affrontements de 2023?

Comment commémorer cette victoire russe?

Alors, comment commémorer cette victoire russe lorsque l’on est européen? Il y a une semaine, la Russie n’a pas été conviée au 78e anniversaire de la libération du camp de concentration d’Auschwitz dont est sortie rescapée Ginette Kolinka, 98 ans, qui en parle dans son dernier livre «Une vie heureuse» (Ed. Grasset). Beaucoup de survivants l’ont regretté. Cette fois, aucun dirigeant de l’Union européenne ne s’est rendu à Stalingrad, alors qu’un sommet UE-Ukraine a lieu ce jeudi et vendredi à Kiev.

Une phrase de François de Kersaudy sur la bataille de Stalingrad mérite aussi d’être méditée. L’Allemagne Nazie était alors lancée à la conquête de l’immense Russie. Sa barbarie était sans limites. Mais Stalingrad? «Elle reste à bien des égards la reine des batailles» juge l’historien. Mais il note: «C’est une suite de hasards, de rapports de force, d’erreurs de calcul et l’entêtement de deux dictateurs qui l’a provoqué». A méditer. 80 ans plus tard…

A lire:
«Stalingrad, le tournant de la guerre» par François Kersaudy (Ed. Perrin)

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