Projet de loi adopté
Immigration en France, une révolution, vraiment?

Le gouvernement français affirme que le projet de loi, finalement adopté mardi soir, est une révolution. Vraiment? Dans les faits, ce texte donne plutôt l'impression d'être une addition de compromis. Ce qui ne changera pas la donne.
Publié: 20.12.2023 à 11:21 heures
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Dernière mise à jour: 20.12.2023 à 13:50 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le ministre français de l’Intérieur l’a affirmé tout au long de la soirée de débat parlementaire mardi 19 décembre. Selon Gérald Darmanin, le nouveau projet de loi sur l’immigration, adopté finalement par 349 députés contre 186, va révolutionner la gestion des demandeurs d’asile en France.

Ce texte était, selon lui, indispensable et c’est ce que va répéter Emmanuel Macron ce mercredi à 19h sur le plateau de l’émission C à vous. Vrai? Dans les faits, la réponse est non. Voici quelles sont les raisons d’en douter, au moment où l'Union européenne vient d'adopter son pacte sur «Asile et migrations».

Doute N° 1: Loi pas encore définitive

Le vacarme politique autour de ce projet de loi sur l’immigration ne doit pas faire oublier qu’il risque d’être en partie censuré par le Conseil constitutionnel, à la fois saisi par la gauche et par Emmanuel Macron. Le ministre de l’Intérieur l’a d’ailleurs lui-même avoué. Celui-ci contient, selon Gérald Darmanin, «des mesures manifestement et clairement contraires à la Constitution».

Le projet de loi sur l'immigration a finalement été adopté par 349 députés contre 186 en fin de soirée mardi 19 décembre.
Photo: DUKAS
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Trois dispositions pourraient être retoquées: les quotas pluriannuels de migrants, le rétablissement du délit de séjour irrégulier, et les restrictions apportées au regroupement familial. En clair: une partie des entraves à l’immigration pourraient tomber pour des raisons de procédure. Si c’est le cas, l’extrême-droite repartira à coup sûr à l’assaut avec sa promesse de consulter les Français par référendum sur l’immigration.

Doute N° 2: Contrôle des frontières inchangé

La gestion des flux migratoires ne peut pas être nationale, dans un pays de premier accueil comme la France, au sein de l’espace Schengen de libre circulation. C’est une évidence que le gouvernement français se garde bien de reconnaître. Gérald Darmanin n'a même pas évoqué le pacte «Asile et Migrations» adopté dans la nuit par l'Union européenne. Or le texte de loi français ne change rien en matière de contrôle des frontières. Le rétablissement du délit de séjour irrégulier, s’il n’est pas censuré par le Conseil constitutionnel, n’entraînera pas l’expulsion automatique des étrangers sans papiers. Lesquels sont aujourd’hui entre 700'000 et 900'000 sur le sol français. L’aide médicale d’État, qui permet à toute personne présente en France de se faire soigner gratuitement, demeure pour l’heure inchangée.

L’ADA, l’allocation accordée aux demandeurs d’asile en situation régulière s’ils ne travaillent pas (environ 200 euros mensuels par personne, plus le droit à un logement) n’est pas non plus supprimée. A noter: les mesures répressives contre les passeurs et les «marchands de sommeil», la possibilité de relever les empreintes digitales des étrangers en situation irrégulière sans leur consentement et le contrôle visuel possible des voitures de particuliers en «zone frontière». Mais là aussi, la disproportion est grande entre les annonces et les moyens.

Doute N° 3: Expulsions toujours problématiques

Là aussi, la question de la coordination entre pays membres de l’Union européenne et de l’espace Schengen est primordiale. Or le projet de loi français ne change rien sur ce point crucial, que commence à enfin à traiter le pacte européen «Asile et migration» adopté ce mercredi au parlement de Strasbourg. Certes, le texte de loi français prévoit l’expulsion des étrangers réguliers condamnés pour des crimes ou délits passibles d’au moins dix ans de prison ou cinq ans en cas de récidive (meurtre, viol…).

Certes, les juges pourront désormais plus facilement prononcer une interdiction du territoire français (ITF) et une obligation de quitter le territoire français (OQTF) contre des clandestins menaçant gravement l’ordre public. Sauf que moins de 10% des 65 000 OQTF prononcées en 2022 ont été exécutées. Et que rien ne va changer en termes de recours judiciaires à la disposition des étrangers expulsables.

Doute N° 4: Légalisation des travailleurs pas adaptée

Le volet «légalisation» est le «donnant-donnant» de ce projet de loi supposé réprimer les «méchants» et récompenser les «gentils». Sauf que pour les gentils, rien n’est clair. Les préfets auront, comme aujourd’hui, un pouvoir discrétionnaire de régularisation de travailleurs sans-papiers dans les métiers dits «en tension». Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a cité le chiffre de 10'000 régularisations possibles.

A titre de comparaison, le gouvernement conservateur au pouvoir en Grèce (10 millions d’habitants) vient ces jours-ci de faire voter une loi pour la régularisation immédiate de 30'000 travailleurs sans papiers, qui ont vécu dans le pays depuis au moins trois ans. La nouvelle loi française propose, elle, un titre de séjour d’un an, délivré au cas par cas, à condition d’avoir résidé en France pendant au moins trois ans et exercé une activité salariée durant au moins 12 mois sur les 24 derniers. Et ce, jusqu’à fin 2026. Les étrangers pourront faire une demande de régularisation sans en informer leur employeur. Soit la garantie d’un nouveau «maquis» législatif.

Doute N° 5: Nationalité, regroupement familial: pas de big bang

Mesure symbolique: la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour homicide volontaire contre toute personne dépositaire de l’autorité publique. Et après? Que faire si le pays d’origine de l’individu concerné refuse de le reprendre?

Autre mesure mise en avant: la restriction du regroupement familial. Il faudra une durée de séjour du demandeur portée à 24 mois (contre 18), la nécessité de ressources «stables, régulières et suffisantes» et de disposer d’une assurance maladie, ainsi qu’un âge minimal du conjoint.

On est loin du moratoire proposé un temps par une partie de la droite. Les personnes nées en France de parents étrangers n’auront plus automatiquement la nationalité française. Elles devront en faire la demande entre 16 et 18 ans. Les auteurs de crime ne pourront plus obtenir la nationalité française. Le droit du sol est amendé, pas supprimé.

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