Projet de loi fin mai
«Aider à mourir» en France, ça voudra dire quoi ?

Emmanuel Macron en a fait une affaire personnelle. C'est par une longue interview publiée dans deux quotidiens que le président français a confirmé lundi 11 mars un projet de loi consacré à «l'aide à mourir». Mais beaucoup flou demeure.
Publié: 12.03.2024 à 11:19 heures
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Dernière mise à jour: 12.03.2024 à 14:45 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Mission pas encore accomplie. Mais la première étape est bouclée. Depuis la tenue, de novembre 2022 à avril 2023, de la Convention citoyenne sur la fin de vie composée de 185 citoyens tirés au sort, Emmanuel Macron et le gouvernement français étaient sous pression pour présenter un projet de loi sur cette question de plus en plus présente dans le débat public, compte tenu du vieillissement de la population.

Le président est donc passé à l’acte. Il a détaillé, dans un entretien conjoint publié par les quotidiens «Libération» et «La Croix», les contours du futur projet de loi sur «l’aide à mourir» qui sera présenté à l’Assemblée nationale le 27 mai. Problème toutefois: à peine révélé, le contenu de ce texte est déjà dénoncé comme opaque, ou inadapté aux situations traversées par de nombreux malades, qui devront continuer de traverser les frontières s’ils veulent en finir. La Suisse, où l’assistance au suicide est légale depuis des décennies, se retrouve souvent citée et comparée à la France. Alors, cela voudra dire quoi, cette «aide à mourir» à la française?

L’aide à mourir, un vocabulaire flou

Le futur projet de loi français ambitionne d’instaurer une «aide à mourir» sous «conditions strictes». Les patients qui pourront en bénéficier devront être majeurs, et être atteints de pathologies incurables avec un niveau de souffrances tel que les soins palliatifs ne sont plus appropriés. Il ne s’agit donc pas, en l’état du texte, d’ouvrir le droit au suicide assisté comme on le connaît en Suisse ou en Belgique.

Emmanuel Macron a présenté son projet de loi dans un entretien publié par deux journaux: «Libération» et le quotidien catholique «La Croix».
Photo: Corbis via Getty Images
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Le choix du vocabulaire est d’ailleurs révélateur. Pas question d’utiliser le mot «euthanasie» non plus. Le Parlement pourra bien sûr procéder à des changements lorsqu’il débattra du texte. La convention citoyenne sur la fin de vie avait, elle, été beaucoup plus claire dans son rapport final. La majorité de ses membres avaient défendu la nécessité de mettre en place à la fois le suicide assisté et l’euthanasie, dans la mesure où l’un et l’autre ne répondent pas à l’ensemble des situations rencontrées.

L’aide à mourir, une demande récurrente

La convention sur la fin de vie, composée de 185 Français tirés au sort, a planché pendant des mois sur cette question qui avait déjà fait l’objet de plusieurs rapports, dont un remis en décembre 2012 à l’ancien président François Hollande. Celui-ci avait alors lancé un débat national sur l’euthanasie et une réforme sur les soins palliatifs, jugés insuffisants. Problème: très peu de choses ont bougé depuis et la loi en vigueur, qui porte le nom de l’ancien ministre Jean Léonetti (maire d’Antibes, droite) se contente de prévenir l’acharnement thérapeutique, en autorisant la sédation profonde, sans permettre de déclencher un geste médical pour provoquer la mort.

Dès 2012, soit il y a douze ans, le prédécesseur d’Emmanuel Macron avait promis, dans son programme présidentiel, de changer la loi pour que «toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable […] puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité». Nous en sommes là aujourd’hui. Selon les sondages, de 86 à 94% des personnes interrogées réclament le droit de mourir dans la dignité

L’aide à mourir, pour qui?

C’est la question principale. Première limite posée par Emmanuel Macron: le patient devra être «capable d’un discernement plein et entier», ce qui écarte du futur dispositif les malades souffrant d’Alzheimer ou de troubles psychiques, pris en compte dans la législation belge. Autre limite: la loi ne prévoit pas d’établir une liste des pathologies donnant accès à l’aide active à mourir. Il n’est pas question non plus de définir la notion de «pronostic vital engagé à court et moyen terme» ne sera pas définie dans la loi.

La question la plus douloureuse se pose pour les malades dont la pathologie est sans espoir de guérison, mais dont l’état physique permet de prolonger longtemps l’agonie. On pense à la maladie de Charcot. Plusieurs associations représentatives de ces malades ont d’ailleurs déjà exprimé leur déception.

L’aide à mourir, pas un acte individuel

Les patients devront être entourés et le personnel médical de l’établissement hospitalier devra être d’accord. Il n’y aura pas d’obligation d’aider à mourir. A partir du moment où la demande sera posée, un délai minimum de deux jours d’attente devra être respecté. Puis, la réponse devra intervenir dans un délai maximum de 15 jours.

En cas de réponse favorable, la prescription sera valable trois mois, durant lesquels le patient pourra se rétracter à tout moment. L’administration de la substance sera réalisée par la personne requérante elle-même lorsqu’elle sera en mesure de le faire, et si ses capacités physiques ne sont pas suffisantes, par une personne volontaire qu’elle désigne, ou le médecin ou l’infirmier qui l’accompagne.

L’aide à mourir, débat très politique

Le calendrier proposé par Emmanuel Macron a son importance. Lorsque l’Assemblée nationale commencera l’examen du futur projet de loi, le 27 mai, la campagne pour les élections européennes du 9 juin touchera à sa fin. Quel impact sur les intentions de vote, notamment pour le Rassemblement national qui distance aujourd’hui le camp présidentiel?

On peut s’interroger puisque Marine Le Pen reste opposée à l’euthanasie et au suicide assisté. La candidate du RN avait explicité sa position lors de sa campagne présidentielle de 2022. «C’est la barrière à ne pas franchir», avait-elle argumenté, fidèle à la position de toute une partie de la droite hostile à l’euthanasie. L’intéressée défend plus de moyens pour les soins palliatifs et estime que «la vraie question à se poser, avant la fin de vie, c’est la fin des souffrances à la fin de la vie».

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