Roselyne Bachelot à Genève
«La démocratie directe à la suisse, ce n’est pas ma came!»

L'ancienne ministre française de la Culture se trouve à Genève ce lundi 13 février. Elle s'exprimera sur son dernier livre «682 jours». En avant-première, elle a accepté de répondre aux questions de Blick sur la France. Et sur la Suisse.
Publié: 13.02.2023 à 08:27 heures
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Dernière mise à jour: 13.02.2023 à 10:59 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Roselyne Bachelot débarque en Suisse. Elle s'exprimera ce soir à Genève, et a accepté de se confier en avant-première à Blick. Au menu? La présentation de «682 jours» (Ed. Plon), son livre choc sur ses deux années passées au ministère français de la Culture entre juillet 2020 et mai 2022. Mais comment ne pas en profiter pour l’interroger sur l’état du pays, ébranlé par le projet de réforme des retraites qui a encore poussé près de deux millions de manifestants dans les rues ce samedi 11 février?

Attention, l’ancienne ministre parle cash. Mais si vous ne comprenez pas la France et les Français, cet entretien est pour vous.

Je préfère vous prévenir, Roselyne. Même à Genève, on comprend de moins en moins la France. À nouveau, les Français sont en colère. Cette fois, il s’agit des retraites. Mais pourquoi ne voient-ils pas la nécessité de réformes dictées par les contraintes démographiques et économiques?

Cela vous étonne? Alors, c’est que vous n’avez pas compris comment fonctionne la France que vous observez pourtant depuis plusieurs années. Depuis la Révolution de 1789, notre pays a toujours été traversé par des vagues de violence que nos voisins européens ne connaissent pas dans les mêmes proportions. Je ne suis malheureusement pas surprise, pour ma part, de ce qui se passe. Ce n’est pas un hasard si l’on joue en ce moment à la Comédie Française, à Paris, «La mort de Danton». D’un côté, les Robespierristes qui poussent la logique révolutionnaire jusqu’au pire. De l’autre, Danton qui essaie de stopper la terreur.

Y voyez-vous un parallèle avec les événements actuels?
Bien sûr! Cet affrontement existe encore. On aurait pu penser, je le reconnais, que les Français réaliseraient un jour qu’ils vivent dans un pays extraordinaire du point de vue de son filet social et de la protection qui en découle. Or, ce n'est pas le cas. Pire. Ce bouclier social engendre au contraire des comportements toujours plus jusqu’au-boutistes.

Sommes-nous donc obligés d'attendre que le pays soit de nouveau bloqué?
Que voulez-vous faire puisqu’une partie de la population, taraudée par son aspiration à l’égalité, ne regarde pas les réalités en face? Que faire dans un pays où une grande partie des manifestants sont employés ou retraités de la fonction publique, ce qui veut dire qu’ils jouissent d’un statut bien plus favorable que la moyenne des actifs? Un petit rappel pour les Suisses qui ne comprennent pas la France: les fonctionnaires ou anciens fonctionnaires qui manifestent ont une retraite qui a été calculée sur leurs six derniers mois de salaire, c’est-à-dire sur leur plus haut niveau de rémunération au cours de leur carrière. Pour tous les autres, dans le privé, le calcul s’effectue sur les 25 dernières années! À partir de là, que dire? La situation serait presque cocasse… Si elle n’était pas aussi incroyable et tragique.

Vous êtes une championne de la «punchline» sur les plateaux TV. Une vraie Tatie flingueuse! Vous saviez, comme député puis comme ministre, taper dur sur vos adversaires politiques. Vous aimez les bons mots et les débats, même houleux. Ce qui se passe en ce moment à l’Assemblée Nationale, c’est dans vos cordes ou c’est inacceptable?
La violence verbale est fille de la politique. C’est comme ça. Et pas seulement en France. Regardez ce qui se passe au Royaume-Uni, à la Chambre des communes. Mais là, je crois qu’on approche en France de l’inacceptable. Les écarts les plus regrettables, les plus condamnables, viennent en fait d’un seul groupe politique: la France insoumise (gauche radicale). Même leurs alliés ne se reconnaissent pas dans leur surenchère. La morale de l’histoire? Pour moi, elle est très simple. Le trotskisme, matrice de la France Insoumise, est incompatible avec la démocratie parlementaire. Il est temps, pour leurs électeurs, de le comprendre et d’en tirer les conséquences.

Y a-t-il, en France, une malédiction de la réforme des retraites?
Oui, ce n’est pas faux. A chaque fois, c’est le psychodrame. Je siégeais comme député à l’Assemblée lors de la réforme Balladur de 1993. J’y étais encore lors de la réforme Juppé de 1995. J’étais ministre dans le gouvernement Fillon lors de la réforme de 2010. Manifs, blocage parlementaire, hurlements syndicaux… La malédiction dont vous parlez s’est toujours confirmée, sauf en 1982 lorsque François Mitterrand a ramené l’âge légal de départ de 65 ans à 60 ans! Mais attention: ne vous arrêtez pas au brouhaha et aux blocages. Dans les faits, à l'exception de celle de Juppé, ces réformes sont passées. Elles ont été impopulaires, mais elles sont entrées en vigueur. Elles font aujourd’hui partie du patrimoine législatif. Il faut donc prendre un peu de recul.

Cette «malédiction» exige d’autant plus de doigté politique. Votre ancienne collègue Elisabeth Borne est-elle à la hauteur comme Première ministre? Allez Roselyne, dites-nous ce que vous pensez…
J’ai tout dit dans mon livre à son propos. Elisabeth Borne est une femme très à cheval sur ses prérogatives, mais très consciente de l’état inflammable de la société et très à l’écoute. Et à mon avis, personne n’aurait fait mieux à son poste. Défendre la réforme des retraites, c’est manier de la nitroglycérine. Ça peut exploser à tout moment, donc mieux vaut ne rien concéder une fois que vous avez bien calibré votre projet de loi. Je suis assez d’accord avec l’ancien président Sarkozy. Il ne faut pas lâcher, sinon, vous risquez de voir votre texte s’effilocher. Le pire, c’est de reculer et de donner l’impression à vos troupes que vous les désavouez. Elisabeth a déjà fait des concessions à hauteur de dix milliards d’euros. Vous voulez vraiment mon avis? Cette réforme est une peau de lapin. Elle n’est de toute façon pas à la hauteur des enjeux démographiques.

Ne croyez-vous pas que les Français sont simplement devenus flemmards? Pas envie de bosser jusqu’à 64 ans. Pas envie de cotiser pendant 43 ans. Bref, que l’État paye et basta…
Si c’est le cas, alors c’est grave. Mais je ne le crois pas. Je pense que, d’un côté, le rapport au travail fait partie du paquet révolutionnaire français. Il faut s’en «libérer», ce qui est ridicule. De l’autre, je crois qu’il y a aujourd’hui une grave responsabilité du côté de la gauche. Celle-ci a longtemps porté la valeur travail. Et elle a tort de l’avoir abandonné, aujourd’hui, au profit du soi-disant «droit à la paresse». Je vais vous paraître terriblement vieux jeu, mais je crois que le travail est une valeur d’émancipation. C’est par le travail que nos modes de vies ont changé. Alors ras-le-bol de ceux qui nous proposent la sobriété à tous les étages! Qui va faire le tri entre ce que nous pourrons continuer à faire et ce que nous ne pourrons plus faire? Je suis toujours surprise que les jeunes, dans les manifestations pour le climat, ne commencent pas par jeter à la poubelle leurs téléphones portables qui nous polluent façon XXL!

L'ancienne ministre française de la culture ne croit pas à la perte d'attachement à la valeur travail.
Photo: AFP
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Roselyne, un peu de lucidité: vu de Suisse, le problème est assez simple. On ne donne pas la parole aux Français. On ne les consulte pas. La solution, c’est le référendum. Les politiques doivent consulter le peuple. Oui ou non?
Non, car ce n’est pas aussi simple que ça! Je crois à l’introduction d’un peu de Suisse dans la vie politique française, mais pas au niveau du référendum. Je crois qu’il faut revoir la décentralisation, s’inspirer de votre modèle, déléguer le maximum de tâches au niveau régional. Mais la démocratie directe à la Suisse, ce n’est pas ma came. Pas du tout! Il y a des questionnements complexes qui ne peuvent pas être résolus par un référendum et la retraite en fait partie. Je crois au référendum lorsqu’il permet des solutions, pas lorsqu’il nous conduit à une impasse. Si le peuple dit: «On veut partir à 60 ans à la retraite, vous faites quoi?» N’oubliez pas la contradiction de base: d’un côté, les Français réclament d’être consultés. De l’autre, ils voudraient un homme fort à la tête du pays. Comment voulez-vous gouverner?

Roselyne Bachelot sera présente ce soir à Genève pour un dîner débat autour de «682 jours» (Ed. Plon) organisé par l’association Convergences.

Elle répondra aux questions de Richard Werly à partir de 19h30 au restaurant du parc des Eaux-Vives. Contact: colette.cellerin@hotmail.com

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