Solution est son mot préféré
Bertrand Piccard: «Désobéir ne fait pas gagner la bataille du climat»

L'exposition «Villes de demain» conçue par Solar Impulse vient d'ouvrir ses portes à Paris. L'explorateur suisse Bertrand Piccard en a été la cheville ouvrière. L'occasion de nous convaincre de la justesse de son combat écologique. Interview.
Publié: 20.09.2023 à 16:28 heures
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Dernière mise à jour: 20.09.2023 à 16:35 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Une fois encore, Bertrand Piccard est sur le front, aux avant-postes de la lutte contre le réchauffement climatique. Avec, toujours, sa cible favorite en ligne de mire: notre vie quotidienne, celle des individus et des entreprises.

Comment nous transformer en entrepreneurs et citoyens écologiques et responsables? A Paris, la fondation Solar Impulse qu’il préside a conçu l’exposition «Ville de demain: une exploration en 1000 + solutions» à la Cité des sciences. Elle s’est ouverte mercredi 20 septembre. Au service d’une idée. Changer de vie, c’est possible. Sans s’opposer pour autant à tout ce qui existe.

Votre mot préféré, c’est «solution»?
Bertrand Piccard: Oui, et pour cause, c’est le seul mot qui peut tous nous réunir. La protection de l’environnement clive beaucoup la société. C’est un fait. On se retrouve face à face, avec d’un côté des écologistes convaincus que leurs propositions ne peuvent pas être refusées, et de l’autre des entrepreneurs toujours persuadés, malgré les évidences contraires, que l’écologie est un obstacle à la croissance économique et à la création d’emplois. D’un côté, l’écologie sacrificielle. De l’autre, le vieux monde de la prospérité aveugle. Comment échapper à ce duel mortifère? En parlant de solutions concrètes et en démontrant qu’elles fonctionnent. L’écologie n’est pas synonyme de sacrifices. Elle peut être fédératrice, économiquement rentable, bonne pour les emplois. On ne décarbonera pas nos économies et nos modes de vie si l’on fait peur aux gens. Ce qu’il faut, c’est moderniser, lutter contre le gaspillage et l’inefficience.

L'exposition de la fondation Solar Impulse consacrée à la ville de demain a ouvert ses portes ce mercredi 20 septembre à Paris, à la Cité des sciences. Bertrand Piccard en est l'un des principaux concepteurs.
Photo: Richard Werly
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Facile à dire, tant les résistances sont grandes. Les partisans de la désobéissance civile, eux, estiment qu’il faut s’interposer par la force et rendre la lutte pour le climat obligatoire. Coûte que coûte...
Je les comprends! Tous ces activistes s’impatientent devant des mesures insuffisantes et des politiques toujours aussi laxistes, donc dangereuses pour les prochaines générations. Ils n’en peuvent plus des systèmes administratifs qui bloquent tout. Mais qu’est-ce qui est le plus utile? Se coller les mains et les fesses sur le bitume ou aller convaincre les investisseurs, les patrons, mais aussi les syndicats? Si on veut embarquer le monde économique, on ne doit pas le braquer et le brutaliser. Désobéir ne fait pas gagner la bataille du climat. On gagne avec des solutions. Plus on est anxiogène, plus on déprime les populations et les élites. L’objectif de notre exposition à Paris sur la ville de demain est inverse. On veut montrer aux visiteurs que beaucoup de choses peuvent changer. A condition de le vouloir et d’adopter les bonnes technologies, car elles existent. La ville de demain, c’est aujourd’hui!

Parlez-nous de cette ville? Franchement, quand on se promène à Paris, on n’a pas l’impression d’arpenter une ville écologique. Sauf pour la prolifération des pistes cyclables et l’incroyable quantité de travaux en cours en raison de l’accueil des Jeux Olympiques d’été 2024…
La ville de demain c’est quoi? Une ville où l’on recyclera le plus possible et gaspillera le moins possible. Cela concerne l’eau, l’énergie, le secteur du bâtiment et de la construction, la gestion des déchets… Tout cela peut être modernisé et devra l’être. Les gisements d’emplois sont incroyables. Nous n’avons pas assez de jeunes formés pour ces métiers. Il faudra installer des quantités énormes de pompes à chaleur ou de chargeurs électriques. Les villes regroupent 80% de la population mondiale et émettent 80% des émissions de CO2. Or une ville plus propre, c’est une ville moins chère. Les factures d’électricité y seront à terme divisées par cinq grâce aux systèmes de régulation automatiques de température et de lumière. Cinq fois moins de dépenses! Voilà l’objectif qui doit tous nous motiver.


On fait quoi avec le nucléaire? L’atome, c’est dangereux, non?
Le nucléaire a une part importante à jouer, car c’est une énergie passablement décarbonée dont nous avons besoin. Il est aberrant de construire ou de prolonger des centrales à charbon tandis qu’on démantèle des centrales nucléaires. Mon avis est que le parc de centrales existant doit être maintenu et modernisé. Construire maintenant des centrales qui entreront en service dans quinze ans est en revanche un pari très risqué. A cet horizon, si l’on prend d’ici là les bonnes décisions, les énergies renouvelables seront trois fois moins chères que l’atome. La combinaison des panneaux solaires, des éoliennes, du biogaz, des turbines hydroélectriques et de la géothermie permettront de remplacer le nucléaire. 99% de la masse de la planète fait plus de cent degrés. On peut prendre l’énergie sous nos pieds!

Et l’hydrogène, vous votez pour?
Oui, si l’hydrogène est fabriqué à partir d’énergies décarbonées puis utilisé à bon escient. J’y crois pour les industries lourdes telles que la production d’acier ou d’engrais, ou pour les transports lourds en bateaux, camions et avions. L’hydrogène est performant lorsqu’on utilise de grosses batteries. Pour les véhicules légers, c’est une autre histoire. Il y a trop de pertes.

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