Macron à Strasbourg ce 9 mai
Pourquoi l'Europe a raison d'avoir peur de Poutine

Le président français s'est adressé ce lundi 9 mai au Parlement européen de Strasbourg avant de s'envoler pour Berlin afin d'y rencontrer le chancelier Olaf Scholz. Le même jour que le défilé militaire de la victoire à Moscou.
Publié: 09.05.2022 à 07:00 heures
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Dernière mise à jour: 09.05.2022 à 17:51 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

«S’il s’agit de faire contrition, je le fais. Oui j’ai été fasciné par le Poutine de décembre 1999, qui a redressé la Russie dépecée, oui je trouve inqualifiable, historiquement honteuse et humainement hideuse, la violence du Poutine de 2022, et oui je n’ai pas su voir que le Poutine de 2010 mènerait à ce qu’on voit: pillages, crimes, destructions, vandalisme.»

Sylvain Tesson, le grand retournement

Ces paroles ne sont évidemment pas celles qu’Emmanuel Macron prononcera ce lundi 9 mai à Strasbourg, lors de son premier discours européen, après son investiture pour un second mandat samedi à l’Elysée. Ces paroles sont celles de l’écrivain Sylvain Tesson dans la dernière édition de l’hebdomadaire «Le Point». Et il faut les lire attentivement.

L’auteur de «La Panthère des neiges» (Gallimard) reste un admirateur invétéré de l’âme slave et du monde Russe. «Dans les forêts de Sibérie», le récit de son séjour au bord du lac Baïkal publié en 2011, l’avait installé parmi les auteurs fétiches des slavophiles de tous bords. Or voilà que Tesson a choisi de parler. Clairement. Sans fard. Sans préoccupation diplomatique. En auteur. Avec son cœur.

Emmanuel Macron devant la tombe du Soldat inconnu, le 8 mai.
Photo: AFP

«Le slavophile que je suis (et reste) est malheureux»

Et que dit-il? «Le slavophile que je suis (et reste) est malheureux. Poutine dans les années 2000 a été un archétype jungien. Une figure utile pour la pensée facile. Il incarnait pour les antimodernes (dont je suis) la résistance au progrès cyber-mercantilo-globalo-déconstructeur. […] Alors oui, une certaine frange occidentale a voulu, trop complaisamment, le considérer pour ce qu’il incarnait symboliquement. Et nous sommes (moi le premier) passés paresseusement sur les exactions pour ne retenir que les argumentations. Je fais mon printemps de Prague, comme l’ont fait certains communistes en quittant le parti en 1968 et comme ne l’ont pas fait certains maoïstes qui continuent de rêver au grand timonier le soir, en tripotant leur boulier.»

Duel à distance entre Moscou et Strasbourg

Voilà l’arrière-plan du duel que se sont livrés à distance, ce lundi 9 mai, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine, par discours et défilé militaire moscovite interposé. Et ce constat implacable dressé par l’amoureux de la Russie et de son peuple qu’est Sylvain Tesson, tous les Européens attachés à la démocratie et à la liberté sur ce continent ravagé par les guerres doivent le méditer.

Le président Français a de nouveau parlé, face aux eurodéputés, en défenseur d’une «indépendance stratégique» bien difficile à obtenir pour l’Union européenne dans cet étau fatal qu’est l’affrontement Russie-États-Unis via l’Ukraine. Il s'est bien sûr distancé de la rhétorique guerrière, en affirmant: « Nous aurons demain une paix à bâtir, ne l'oublions jamais. Nous aurons à le faire avec autour de la table l'Ukraine et la Russie (...) Mais cela ne se fera ni dans la négation, ni dans l'exclusion de l'un l'autre, ni même dans l'humiliation». Juste. Sauf que l’Europe qui fête ce 9 mai sa «journée» annuelle, en commémoration du discours fondateur de Robert Schumann le 9 mai 1950, a raison d’avoir peur de Poutine.

Ne mêlons pas ici stratégie et constat. La stratégie, pour sauver ce qui peut l’être de l’Ukraine, de faire reculer la Russie — ou entamer des négociations avec elle — et la considérer demain de nouveau comme un partenaire, est l’affaire des Etats, de leurs intérêts immédiats et de leur capacité militaire, économique, énergétique. La stratégie impose de tenir compte de la réalité des forces sur le terrain. La bonne stratégie, surtout, est celle qui ramènera le plus vite la paix et évitera la pire des escalades. Dont acte.

Le constat, en revanche, est moral. Et il doit nous servir de repère dans nos interactions futures avec le maître du Kremlin. La Russie du 9 mai 2022, acculée par la guerre d’annexion déclenchée le 24 février par Vladimir Poutine, est bel et bien une menace pour la conception que nous avons, dans l’Europe d’aujourd’hui, de la démocratie et de la liberté.

Le drame de l’Union européenne

Le drame est que l’Union européenne, tout comme la Suisse alignée sur ses sanctions, est aujourd’hui otage de ce conflit, incapable jusque-là de prendre ses distances vis-à-vis des États-Unis, bien au contraire. C’est d’ailleurs toute l’ironie de ce 9 mai 2022. D’un côté, à Strasbourg, Emmanuel Macron (dont le pays assume jusqu’à la fin juin la présidence tournante de l’UE) a évoqué dans son discours la Conférence sur l’avenir de l’Europe, vaste consultation citoyenne menée depuis deux ans. Une cinquantaine de propositions et 300 mesures sont sur la table des 27 pays membres, dont l’abrogation de la règle de l’unanimité qui paralyse souvent l’Union, et une possible révision des Traités. D’un côté donc, l’avenir, avec ses contours flous pour que perdure ce qu'Emmanuel Macron a rappelé être «une association citoyenne pour un projet de paix, de stabilité, pour penser avec nos différences, nos langues exprimées». Et de l’autre, en Ukraine, le retour du «tragique dans l’histoire» et les ruines du port de Marioupol, semblables à celles des villes européennes aplaties par les bombardements de la seconde guerre mondiale, conclue par la victoire sur le nazisme que les Russes célèbrent aujourd’hui.

Il est possible qu’après sa visite à Berlin ce 9 mai au soir, pour y rencontrer le chancelier Olaf Scholz, le président français tout juste réélu se rende à Kiev. L'éventuelle visite, ensemble, des deux dirigeants, serait très symbolique. Mais elle ne doit pas faire illusion. Aujourd’hui, guerre à ses portes et dépendance énergétique obligent, l’Europe a peur. À juste titre.

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