144 victimes dans l'attentat de Moscou
L'Etat islamique fait payer la Russie pour son rôle en Afrique et ailleurs

La Russie paie cher son rôle et ses multiples interventions en Afrique, en Afghanistan ou encore en Syrie. L'Etat islamique assure que le pays est «une cible évidente pour des raisons historiques et contemporaines».
Publié: 30.03.2024 à 10:06 heures

Le groupe Etat islamique (EI), auteur revendiqué de l'attentat à Moscou, fait payer à la Russie son rôle en Afghanistan, Syrie et Afrique, ainsi que ses liens avec l'Iran. Alors que les services russes restent obnubilés par l'Ukraine. Jeudi, les enquêteurs russes ont de nouveau accusé les auteurs de l'attaque, qui a fait au moins 144 morts, d'être liés à des «nationalistes ukrainiens».

Mais dans l'hebdomadaire officiel de l'EI, Naba, publié vendredi, un article est sorti sur l'attaque. Il conseille à ceux qui sont «immergés dans les théories du complot» de «faire le plein de théories défaitistes» devant ce qui les attend, constate Laurence Bindner, co-fondatrice de JOS Project, plateforme d'analyse de la propagande extrémiste en ligne.

Les sympathisants, parallèlement, «ont protesté souvent avec irritation, parfois avec ironie, sur le fait que soit questionnée la responsabilité du groupe» dans l'attaque, ajoute l'experte à l'AFP. Les services de sécurité russes ont par ailleurs affirmé que trois «ressortissants d'un pays d'Asie centrale» qui prévoyaient un attentat à la bombe dans le sud-ouest de la Russie ont été arrêtés vendredi.

144 personnes ont perdu la vie lors de l'attentat dans la salle de concert dans la banlieue de Moscou.
Photo: AFP

La Russie, «une cible évidente»

Que l'EI ait frappé la Russie ne saurait surprendre: le pays constitue «une cible évidente pour des raisons historiques et contemporaines», souligne Jérôme Drevon, expert du jihad pour l'organisation de résolution des conflits Crisis Group. «L'invasion de l'Afghanistan par l'Union soviétique en 1979 et la décennie d'occupation qui s'en est suivie suscite toujours la fureur chez beaucoup de jihadistes.»

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«Dans la liste de ceux qu'ils détestent le plus, les chiites sont au-dessus des Américains, d'Israël et des régimes dits apostats»
Colin Clarke, directeur de recherche au Soufan Center
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Moscou s'est ensuite engagé aux côtés du régime de Bachar al-Assad dans la guerre civile syrienne face aux groupes jihadistes. Et en Afrique, les mercenaires russes collaborent avec les militaires au pouvoir au Mali contre Al-Qaïda et l'EI.

Depuis plusieurs années enfin, Moscou se rapproche de Téhéran, dont l'islam chiite est une abomination pour l'EI sunnite. «L'EI perçoit la Russie comme l'avant-garde du monde chiite», résume Colin Clarke, directeur de recherche au Soufan Center, à New York. «Dans la liste de ceux qu'ils détestent le plus, les chiites sont au-dessus des Américains, d'Israël et des régimes dits apostats.» Le groupe a revendiqué en janvier l'attentat de Kerman, en Iran, qui a fait 89 morts.

S'ajoute à cela un rapport profondément antagoniste avec les minorités musulmanes de Russie. Deux guerres en Tchétchénie en 1994 et en 2000 et l'intervention russe contre une insurrection islamiste au Daguestan, dans le nord-Caucase, ont laissé des traces.

Schizophrénie de la Russie

Au-delà, Frederik Kagan, chercheur pour l'American Enterprise Institute, décrit «l'approche schizophrène» de Moscou. Le Kremlin promeut un discours de concorde, dans un pays comptant quelque 20 millions de musulmans, tout en tolérant des discriminations massives visant les millions de migrants précaires venus d'Asie centrale et du Caucase.

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«La xénophobie est devenue la norme parmi les 'patriotes', les blogueurs militaires»
Temur Umarov, analyste ouzbek
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L'armée russe a recruté dans les milieux immigrés et défavorisés en Russie pour sa guerre en Ukraine, offrant d'importantes soldes. Son contingent compte aussi des unités issues des républiques musulmanes du pays. Mais le virage de Vladimir Poutine «vers une pseudo-idéologie ultranationaliste, russifiante et chrétienne orthodoxe a renforcé un mouvement anti-migrants», estime Frederik Kagan.

L'analyste ouzbek, Temur Umarov, décrit des tensions ethnico-religieuses croissantes depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022. «La xénophobie est devenue la norme parmi les 'patriotes', les blogueurs militaires.» Tout ceci soutenu par un «appareil de sécurité russe particulièrement anti-migrants» et une législation de plus en plus répressive, relève-t-il dans un article pour l'institut Carnegie endowment for international peace.

«Culte romantique du jihadisme»

L'EI n'a pas formellement attribué l'attaque à l'EI-K, sa filiale afghane, suspect numéro un tant elle puise une grande partie de ses militants dans le Caucase et l'Asie centrale. Mais quelle que soit leur allégeance, les auteurs présumés sont des Tadjiks. Les analystes consultés par l'AFP conviennent que la menace restera vive en Russie, au vu de l'immense vivier d'individus susceptibles de passer à l'action.

L'EI, depuis longtemps, vise les plus jeunes générations, souligne Andrei Serenko, expert russe de l'Afghanistan. Avant la pandémie de Covid-19, «les recruteurs de l'EI tentaient d'endoctriner des collégiens et des lycéens, entre 15 et 16 ans, au Kazakhstan», explique-t-il.

Il décrit «un culte romantique autour des récits jihadistes» et des propositions de formation à distance avant d'aller tuer en Russie. Le projet a échoué, mais l'intention était là.

Images de torture

Obnubilés par l'Ukraine, les services de sécurité russes représentent aujourd'hui une cible jugée faillible, quoiqu'en dise le Kremlin. Ils préviennent nombre d'observateurs qui s'attendent à d'autres attentats.

Là encore, la jihadosphère est un indicateur significatif du risque. Laurence Bindner observe de vives réactions dans cette mouvance à la diffusion d'images de torture des assaillants présumés. «A leurs yeux, la diffusion de ces tortures légitime à posteriori l'attaque du Crocus Hall et constitue un grief supplémentaire pour mobiliser afin de mener de nouvelles attaques.»

(AFP) 

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