Crainte d'un deuxième Tchernobyl
Les Russes utilisent une centrale nucléaire ukrainienne comme bouclier

L'Ukraine abrite la plus grande centrale nucléaire d'Europe à Zaporijjia. Or les militaires russes occuperaient le site et l'utiliseraient comme bouclier et place d'armes. Une situation qui fait craindre un accident nucléaire de l'ampleur de Tchernobyl.
Publié: 07.07.2022 à 08:23 heures
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Dernière mise à jour: 07.07.2022 à 10:19 heures
Daniel Kestenholz

Les dirigeants russes menacent l’Occident de possibles attaques à l’aide d’armes nucléaires. Ces dernières ne constituent pas la seule source de menace nucléaire actuellement. La dixième plus grande centrale nucléaire du monde, située sur la ligne de front entre les troupes russes et ukrainiennes, est actuellement utilisée comme forteresse militaire par l’armée russe qui l’a minée. L’endroit regorgerait également d’armes.

Un missile mal placé, une explosion incontrôlée, et c’est un nouvel accident nucléaire majeur qui pourrait toucher l’Europe, l’Asie et le Proche-Orient.

L’ONU est inquiète

L’Agence internationale de l’énergie atomique de l’ONU (AIEA) a publié mardi un communiqué sur la situation à Zaporijjia. La ville située sur le Dniepr accueille la plus grande centrale nucléaire d’Ukraine depuis Tchernobyl. Elle fournit depuis peu de l’électricité à l’Europe.

Les troupes russes ont pris le contrôle de la plus grande centrale nucléaire d'Europe dès la deuxième semaine de la guerre.
Photo: KEYSTONE
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Les militaires russes s’étaient emparés de la centrale nucléaire dès le huitième jour de l’invasion lancée en Ukraine fin février. Puisqu’ils ne peuvent pas en assurer eux-mêmes le fonctionnement, ils forcent les Ukrainiens sur place à continuer de travailler.

Dans le dernier communiqué de l’AIEA, le directeur de cet organisme de l’ONU, Rafael Grossi, rappelle le stress et les conditions de travail difficiles auxquels sont exposés les travailleurs ukrainiens de la centrale. Des éléments qui peuvent compromettre le bon fonctionnement du site nucléaire, et font planer le risque d’accident.

«Une crise de sécurité qui dure depuis des mois»

Les caméras de surveillance et les installations de contrôle, sources d’informations pour l’AIEA, sont parfois désactivées par les Russes, rapporte encore le communiqué. Le «Wall Street Journal», de son côté, assure que les installations nucléaires ont été minées et équipées d’armes lourdes.

Les plus de 500 soldats russes stationnés près de la centrale nucléaire auraient récemment installé des batteries d’artillerie lourde autour des installations. Des mines antipersonnel auraient été placées autour du lac de retenue dont l’eau refroidit les six réacteurs.

«L’armée russe transforme la plus grande centrale nucléaire d’Europe en une base militaire avec vue sur un front actif, écrivent les journalistes du quotidien américain. Les Russes aggravent ainsi une crise de sécurité qui dure depuis des mois pour l’immense installation et ses milliers d’employés.»

Un bouclier militaire pour l’armée russe

L’armée ukrainienne tient les villes situées sur la rive opposée du Dniepr, à environ cinq kilomètres de la ligne de front, située non loin de la centrale. Les réacteurs nucléaires constituent une protection de choix pour les Russes. Difficile pour les Ukrainiens d’attaquer ces installations sans risquer une explosion.

D’après un fonctionnaire européen à proximité des lieux, les forces armées de Moscou utilisent la centrale de Zaporijjia comme «une base pour leur artillerie. Ils savent que l’Ukraine ne répliquera pas à leurs attaques depuis la centrale.»

Crainte d’un deuxième Tchernobyl

Les employés de Zaporijjia et leurs familles craignent que la militarisation croissante de la centrale ne conduise à un nouvel accident. Et ce, à seulement 500 kilomètres de Tchernobyl, théâtre de la pire catastrophe nucléaire de l’histoire. Les occupants «ne comprennent pas ce qui pourrait se passer là-bas à cause de leurs actions», comme l’explique la femme d’un employé local de la centrale.

Bien que cette dernière soit désormais aux mains des Russes, elle est toujours exploitée par l’autorité nucléaire ukrainienne Energoatom. Selon Rosatom, l’autorité nucléaire russe, ses propres hommes sont sur place «pour fournir à l’exploitant une assistance technique, de conseil, de communication et autre si nécessaire».

Cette semaine, les Russes ont menacé de vider les bassins de refroidissement pour mettre la main sur des armes que des résistants ukrainiens auraient cachées sous l’eau. Or vider ces bassins et compromettre le refroidissement de la centrale représente un grand danger. Son fonctionnement dépend d’un flux apport constant d’eau filtrée pour refroidir les réacteurs et les barres de combustible.

Les Russes ont-ils volé de l’uranium enrichi?

D’après les sources à disposition, près de 11’000 employés ukrainiens seraient également tenus de faire des heures supplémentaires pour assurer le fonctionnement de la centrale de Zaporijjia. Les Russes auraient, par ailleurs, kidnappé une quarantaine des travailleurs ukrainiens du site pour demander une rançon.

«S’il vous plaît, aidez-moi», écrit l’un des kidnappés sur l’application de communication Viber. Il montre des photos de son visage et de sa jambe droite gravement blessés. Son œil droit est injecté de sang. Les Russes ne seraient prêts à le libérer que si 50’000 hryvnia, soit 1630 francs, sont versés dans les trois jours. «Ce genre de cas n’est pas du tout isolé, assure un ouvrier qui a récemment fui vers l’Ukraine non occupée. Personne ne veut être le prochain.»

Pendant ce temps, l’AIEA craint pour l’exploitation de la centrale. Depuis des mois, l’autorité nucléaire de l’ONU tente sans succès d’inspecter les installations. Son directeur, Rafael Grossi, aimerait s’assurer qu’aucun uranium ou plutonium enrichi n’a disparu de la centrale nucléaire. Il pourrait, même si cela est extrêmement difficile sur le plan technique, enrichir le matériel nucléaire à un niveau beaucoup plus élevé, de qualité militaire. «C’est ce qui nous empêche de dormir en ce moment», avait concédé le directeur de l’AIEA en mai, lors d’un déplacement en Suisse.

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