«El Loco» sème la panique
Javier Milei, un président «fou» pour une Argentine devenue folle

Avec 55,6% des voix, le candidat populiste Javier Milei, sorti de nulle part, est sorti vainqueur dimanche de l'élection présidentielle en Argentine. Son surnom? «El Loco»: le fou. Dans un pays lui aussi de plus en plus fou...
Publié: 20.11.2023 à 15:37 heures
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Dernière mise à jour: 21.11.2023 à 16:22 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

«El Loco» va prendre ses quartiers à la «Casa Rosada». Traduction: «Le fou» est désormais le locataire du palais présidentiel argentin, au cœur de Buenos Aires. Javier Milei, 53 ans, n’est évidemment pas un malade mental. Mais la façon dont cet économiste, surtout connu pour ses opinions polémiques et tonitruantes, assénées sur les plateaux de télévision vient de se faire élire à la tête d’un des plus grands pays d’Amérique latine, confirme le vent de folie qui souffle sur la politique mondiale en général, et sur l’Argentine en particulier.

Près de 56% des suffrages, ce dimanche, pour celui que ses adversaires présentent comme un candidat «d’extrême-droite», alors que l’étiquette «ultralibéral» et «antiétatiste» conviendrait mieux pour celui qui adore poser en photo avec une tronconneuse, symbole des coupes budgétaires et des privatisations qu'il a juré de faire. 45% pour son adversaire, le ministre sortant de l’Economie Pedro Massa, du parti péroniste fondé après la guerre par le président populiste Juan Peron. Une gifle.

Un ouragan électoral sur un continent tout juste remis de la tourmente brésilienne des années Jair Bolsonaro (2019-2023). Une tempête diplomatique et économique annoncée vue la volonté de Javier Milei de «dollariser» l’économie de son pays, 28e puissance économique mondiale, tout juste admise dans le forum des BRICS, géant agricole, et terrain d’affrontement géopolitique entre les États-Unis et la Chine. Laquelle a signé en juin 2023 avec l’Argentine un accord pour coopérer plus étroitement dans le cadre de son programme d’infrastructures «Ceinture et route».

Javier Milei a voté dimanche midi, exprimant sa satisfaction pour le travail réalisé par son parti malgré la campagne de peur.
Photo: IMAGO/Latin America News Agency
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«El Loco, vraiment?»

«El Loco», vraiment? Javier Milei est surtout le reflet d’une population argentine déboussolée, car ensevelie sous des décennies de gestion catastrophique. En cause? Le même fléau, jamais éliminé et jamais surmonté: l’endettement public faramineux et l’inflation. Durant l’été, le pays n’a pu rembourser une tranche de prêts au Fonds Monétaire international que grâce à deux emprunts contractés auprès de la Chine (1,7 milliard de dollars) et du Qatar (800 millions).

La hausse des prix, en 2022, a avoisiné les 115%. La monnaie nationale, le peso, mérite de plus en plus l’appellation de «monnaie de singe», puisqu’elle a perdu, entre juin 2000 et mai 2023, 99,62% de sa valeur face à l’euro.

Descente aux enfers

Comment s’étonner, alors, qu’une majorité d’électeurs ne croient plus aux promesses du Parti péroniste et adhère à l’idée que tout payer en dollars américains serait bien mieux? «Les gens vivent depuis des années une descente aux enfers. Ce n’est pas étonnant de les voir gober les promesses de Milei», juge, à Paris, Luisa Coradini, correspondante du quotidien «La Nacion», invitée ce samedi de 28 minutes sur Arte.

Javier Milei a surtout compris comment surfer sur le désespoir de ses 45 millions de compatriotes. Premier acte: son CV. Cet économiste n’a pas toujours été considéré comme un «loco». Sur le site web des rencontres latino-américaines du Forum Économique Mondial de Davos, l’intéressé a même encore sa biographie: «Licence en économie, Universidad de Belgrano, Argentine. Deux maîtrises en économie, Universidad Torcuato Di Tella et CEDES/IDES. Anciennement: économiste en chef, Estudio Broda et Máxima AFJP. Economiste principal, HSBC, Argentine; conseiller du gouvernement argentin, CIRDI. Actuellement, économiste en chef, Corporación America. Conseiller B-20/G-20 et membre du groupe de politique économique, CCI/G-20.»

Depuis 2012, il dirige la division des études économiques de la Fundación Acordar, un groupe de réflexion d’envergure nationale. Depuis plus de 20 ans, il est professeur universitaire de macroéconomie, d’économie de la croissance, de microéconomie et de mathématiques pour économistes. Il a écrit plus de 50 articles académiques.

Contre «la caste»

Un CV d’extrême-droite? Non. C’est contre la puissance publique et la «caste», à savoir l’élite politique argentine, que Javier Milei, célibataire qui vit avec cinq chiens, mène bataille depuis qu’il écume les plateaux TV. Son credo? Dollariser l’économie argentine, ce qui reviendrait à céder ni plus ni moins la souveraineté économique du pays à la Federal Reserve Bank des États-Unis, en échange de la stabilité. Washington, bien sûr, n’a donné aucun accord.

Son autre credo? Se libérer des cartels qui ligote ce pays aux immenses ressources naturelles. Il s’est taillé pour cela un personnage, celui du général ANCAP (l’acronyme d’anarcho-capitaliste), sur le modèle de la République libre du «liberland» en République tchèque. Drôle? Oui. Réaliste? Absolument pas. D’extrême-droite? Pas vraiment, mais opposé au droit à l’avortement et ouvertement réactionnaire, ce qui lui permet de rallier les classes populaires et l’aile droite de l’Église catholique, en lutte ouverte contre le pape (argentin) François.

Influence des médias télévisés sur le débat public, victoire de l’outrance et de l’insulte, dont Javier Milei a fait abondamment usage durant sa campagne: l’Argentine, troisième économie d’Amérique latine, se retrouve prisonnière des mensonges accumulés depuis des décennies par ses dirigeants. «El Loco»: un président fou pour un pays devenu (presque) fou.

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