En avance dans les sondages
L'opposant turc va-t-il réussir à renverser Erdogan?

L'opposition turque n'a jamais été aussi unie. Leur seul objectif commun: infliger une défaite cuisante à Erdogan lors des élections de mi-mai. Le président réagit avec des théories du complot et des livres de coloriage.
Publié: 08.05.2023 à 07:14 heures
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Dernière mise à jour: 12.05.2023 à 14:42 heures
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Samuel Schumacher

Une star du rock? Cela n'a jamais été l'objectif de Kemal Kiliçdaroglu. Il a gagné ses premiers sous en tant qu'écolier dans les briqueteries d'Anatolie orientale, a passé la majeure partie de sa carrière dans les bureaux de la sécurité sociale turque, et s'est hissé en parallèle à la tête du Parti républicain du peuple (CHP), un parti d'opposition. Peu glamour, certes. Et c'est peut-être justement pour cela qu'il est idéal pour assécher le marécage politique dans lequel la Turquie s'est enlisée après 20 ans sous Recep Tayyip Erdogan.

C'est en tout cas ce que pensent les quelque 500'000 fans qui se pressent en cet après-midi de printemps ensoleillé sur la promenade de la ville côtière turque d'Izmir. Ils applaudissent frénétiquement lorsqu'un petit homme chauve apparaît sur le devant de la scène, quelques notes à la main. Les partisans de Kemal Kiliçdaroglu fêtent leur «oncle», exactement comme une rock star.

Kiliçdaroglu devance nettement Erdogan

«Nous allons le jeter hors de son palais», lance «l'oncle Kemal» au micro. Un million de mains se lèvent, 500'000 gorges poussent des acclamations bruyantes sur la promenade aux drapeaux rouges. Même les mouettes qui tournent habituellement stoïquement au-dessus de la ville s'envolent vers la mer, effrayées.

Dimanche 30 avril, Kemal Kiliçdaroğlu s'est produit avec son épouse Selvi Kiliçdaroglu devant près de 500'000 partisans à Izmir.
Photo: Getty Images
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La campagne électorale turque a quelque chose de menaçant, et pas seulement pour les mouettes. Elle est bruyante, accompagnée d'une musique martiale, célébrée par des foules comme on n'en voit que lors de la Street Parade de Zurich.

Sur les banderoles de Fikret, on peut lire la phrase devenue célèbre de Kemal Kilicdaroglu: «Je suis Kemal, j'arrive».
Photo: Samuel Schumacher

Les élections présidentielles en Turquie n'ont jamais été aussi disputées que cette année. Pour la première fois depuis l'arrivée d'Erdogan au pouvoir en 2003, un candidat de l'opposition a de sérieuses chances d'évincer le dirigeant turc au régime de plus en plus autoritaire. En effet, Kemal Kiliçdaroglu devance Erdogan de plusieurs points dans les sondages.

La raison en est le ralliement surprenant de l'opposition turque divisée. Six partis ont fait bloc derrière Kemal Kiliçdaroglu: un mélange politique hétéroclite allant de l'extrême gauche à l'extrême droite avec pour seul objectif commun de chasser Erdogan et d'abolir le système présidentiel antidémocratique en vigueur depuis 2017.

Les accusations d'Erdogan contre des LGBTQ+

Erdogan réagit avec de plus en plus de haine à cette menace politique. Mais le contrôle presque total des médias turcs (qui ne montrent pas une seule image de la foule en liesse) et l'arrestation de dizaines de milliers de politiciens, de juges et de journalistes d'opposition ne semblent pas suffire cette fois-ci à faire taire ses adversaires.

C'est la raison pour laquelle le ministre de l'Intérieur d'Erdogan a commencé à raconter que l'Occident préparait une tentative de coup d'Etat lors des élections du 14 mai. Erdogan lui-même s'insurge depuis quelques jours contre le fait que l'alliance de Kemal Kiliçdaroglu soit une association LGBTQ+ hostile à la famille. Le président lui-même fait distribuer dans ses stands de campagne des cahiers d'écoliers dans lesquels les enfants peuvent dessiner des drones turcs Bayraktar, des mosquées nouvellement construites et d'autres réalisations d'Erdogan.

Les milliards promis par Kiliçdaroglu

Kemal Kiliçdaroglu renonce à de telles mesures populistes. Au lieu de cela, il promet à la Turquie un «nouveau printemps» sur ses affiches électorales. La justice ne sera plus un mot étranger et les prisonniers politiques seront libérés des geôles.

Et on le croit. En 2017, il a marché 420 kilomètres d'Ankara à Istanbul pour protester contre l'emprisonnement d'un allié. Des dizaines de milliers de personnes l'ont suivi dans cette tournée de 25 jours, qui lui a valu le surnom de «Gandhi».

Mais Kemal Kiliçdaroglu ne semble pas aussi modeste que le leader indien. «300 milliards d'investissements étrangers vont arriver», annonce-t-il devant le peuple en liesse à Izmir. Pour cela, il suffit de maîtriser l'inflation (qui a atteint 85,5 % en Turquie en 2022). Mais l'opposant ne pourra pas redresser le système à lui seul. Pour transformer la politique économique et abolir le système présidentiel sultanesque d'Erdogan, il aurait besoin, en plus d'une victoire électorale, d'une majorité, tout sauf sûre, au Parlement.

Shebnem n'a qu'un souhait: «Nous voulons regagner le temps que nous avons perdu sous Erdogan».
Photo: Samuel Schumacher

Néanmoins, sa prestation fait rêver les fatigués d'Erdogan parmi les 60 millions de Turcs en âge de voter. «Il est l'un des nôtres, il pense comme nous. C'est lui qu'il faut pour l'avenir de nos enfants», déclare Fatmar, en marge du rallye d'Izmir. «Son gouvernement va renvoyer les quatre millions de réfugiés dans notre pays pour qu'ils ne prennent plus nos emplois à nous, les Turcs», espère Yasin. «Si Erdogan ne part pas maintenant, notre pays deviendra définitivement une dictature», s'exclame Fikret.

La victoire d'Erdogan est entre les mains de Dieu

Le son de cloche était tout autre à Izmir la veille, lorsque Erdogan a fait son retour en campagne, devant moins de la moitié de la foule, après une pause forcée due à la maladie. «Je me souviens que dans les années 1980, nous devions faire la queue pour acheter de l'huile de cuisson et de l'essence. Aujourd'hui, nous allons tous bien», dit Muhliz, un homme venu soutenir le président.

Fatih et Ömer affirment que l'Occident a une image erronée de la situation économique en Turquie: «Ils disent que nous, les Turcs, avons faim? Qui a faim? Regardez donc: il y a plus qu'assez à manger ici!»
Photo: Samuel Schumacher

«L'inflation est due à la pandémie. Et notre pays est déstabilisé par les putschistes et les Américains», s'insurge Mujahid. Le vainqueur est désormais entre les mains de Dieu. Sa volonté, dit l'homme, sera faite. Nous saurons au plus tard après le deuxième tour des élections, le 28 mai, si Erdogan accepte la volonté de Dieu.

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