Entretien avec Volodymyr Zelensky
«Bombarder une maternité? Ceux qui font ça sont des animaux»

Depuis maintenant deux semaines, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, se mobilise avec courage pour son pays et fait office de bouclier face à l'invasion russe. Il a accordé une interview au journal allemand «Bild», qui a accordé à Blick le droit de la publier.
Publié: 11.03.2022 à 11:59 heures
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Dernière mise à jour: 11.03.2022 à 14:05 heures
Paul Ronzheimer de «Bild», à Kiev

Depuis plus de deux semaines, le monde entier a les yeux rivés sur l’Ukraine. La guerre devient plus sanglante de jour en jour, les bombardements russes s’intensifient, le bilan des victimes civiles et militaires s’alourdit. Au milieu du conflit, un homme porte tous les espoirs de l’Ukraine. En quelques semaines, le président Volodymyr Zelensky est devenu le héros de la nation. Refusant de quitter la capitale, Kiev, il insuffle au peuple ukrainien un courage sans faille.

Celui qui se bat avec ferveur pour son pays et la liberté de ses citoyens a accepté de rencontrer à Kiev Paul Ronzheimer, journaliste au quotidien allemand «Bild». En accord avec le journal, Blick publie l’interview.

Depuis le début du conflit, vous êtes sur tous les fronts. Comment faites-vous pour tenir? Vous ne dormez jamais?
Volodymyr Zelensky:
Dans toutes les régions occupées d’Ukraine, là où flotte notre drapeau jaune et bleu, les gens dorment peu. Cela fait déjà deux semaines que nous vivons cette guerre.

Depuis deux semaines, Volodymyr Zelensky est devenu le héros de la nation ukrainienne.
Photo: AFP
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Pour Moscou, vous êtes l’ennemi numéro 1 et la personne à abattre. Comment votre famille vit-elle cela?
Ma famille est fière de moi. Tout le monde est fier que nous soyons ukrainiens. Si mon but était d’être en sécurité, j’aurais fui le pays. Mais on comprend et on soutient ma décision. Et cette décision concerne notre pays tout entier. Kiev doit rester forte. Les membres de ma famille sont des êtres humains comme les autres, bien sûr qu’ils s’inquiètent pour moi. Mais dans leur cœur, ils sont avec moi, pour défendre l’Ukraine. C’est l’histoire de notre pays, et nous vivons le moment présent. Plus tard, nous nous souviendrons combien cette période a été difficile et combien tout le monde a souffert. Nous nous souviendrons surtout des moments où nous avons fait la différence. Nous sommes là pour notre pays, quelles que soient les difficultés. Je le fais pour mes enfants et mes petits-enfants. Je ne veux pas être un lâche.

Le monde se demande à quel point les Russes sont proches de Kiev. Allez-vous rester dans la capitale?
Moi? Bien sûr. Les routes d’accès à Kiev sont bloquées. Mais nous sommes là. Et la situation à Kiev, vous pouvez l’évaluer par vous-même. Je ne m’inquiète pas de savoir où l’ennemi se cache ou s’il est proche de nous. Je m’inquiète pour notre pays, pour l’approvisionnement en eau, en nourriture. Des citoyens ukrainiens en sont privés. Des situations terribles ont lieu à Donetsk, dans la région de Zaporojie, à Melitopol, à Volnovakha, à Kharkiv. Ce qui se passe actuellement à Marioupol est une catastrophe. Des corridors humanitaires ont été décidés dans différentes villes de notre pays. Mais ils sont bombardés. Les soldats russes ne laissent pas passer les civils. Je tiens à saluer le courage des chauffeurs qui roulent sous les tirs de l’ennemi. Hier (ndlr: mardi), nous avons convenu d’une collaboration avec la Croix-Rouge. Il faut absolument faire passer l’aide humanitaire en premier. Chaque minute compte, des gens meurent à chaque instant. Je viens d’apprendre qu’une maternité a été bombardée à Marioupol. Je n’ai pas encore d’informations sur les victimes. J’espère que les gens ont pu se mettre à l’abri… Comment une telle chose peut-elle se produire? Ceux qui font ça sont des animaux. Que se passe-t-il dans leur tête? Si un missile touchait un hôpital pour enfants en Allemagne, que se passerait-il? Imaginez-vous dans notre situation...

Craignez-vous que Kiev soit encerclée?
Je n’ai pas peur, je reste calme. Le pire est déjà arrivé. Nous sommes en guerre. Tant de gens sont déjà tombés. Le pays a été détruit. Que pourrait-il arriver de pire pour ceux qui ont perdu leurs enfants? Mais nous croyons en l’avenir. Nous n’abandonnerons pas, nous ne vendrons pas notre pays.

Êtes-vous déçu par les États européens concernant la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’UE?
Les gouvernements qui ne soutiennent pas notre adhésion à l’UE mettent en avant les réformes qui doivent encore avoir lieu. Ils ne nous considèrent pas comme des égaux. J’ai encore beaucoup de questions en suspens à ce sujet.

Vladimir Poutine mène cette guerre dans l’espoir que l’Ukraine reconnaisse l’indépendance des républiques séparatistes du Donbass et la Crimée. Seriez-vous prêt à céder? Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour la paix?
Il ne s’agit pas de ça. Mon objectif et celui des négociations. Je veux mettre fin à cette guerre et suis prêt à faire certains gestes. On peut faire des compromis, mais pas trahir son pays. La partie adverse doit aussi être prête à faire des compromis. C’est la seule façon de sortir de cette situation. Les détails viendront plus tard, pour l’instant, les deux présidents doivent discuter. Ce n’est qu’après cela que l’on pourra mettre fin à la guerre.

Les prix du gaz et du pétrole sont en hausse et les gens commencent à se plaindre. Devons-nous boycotter le gaz et le pétrole russes?
Vous savez, il y a certaines valeurs qu’il est très difficile d’expliquer jusqu’à ce que la guerre frappe votre pays. Quand c’est le cas, certaines choses passent soudainement à la trappe: les réformes en cours, l’application de réglementations, la hausse des impôts, le prix du gaz et de l’électricité. Économiser un peu d’argent pour partir en vacances. Tout cela passe au second plan lorsque la guerre éclate, ce n’est même pas une vague priorité. La valeur de la vie change. Et cette valeur, c’est de rester en vie, de ne pas se faire assassiner. Et c’est ce que l’Europe doit faire: défendre le droit à vivre normalement et remettre de l’ordre au sein de ses valeurs. Je vous souhaite que vos valeurs restent vos priorités dans la vie. Ce qui se passe chez nous pourrait aussi vous arriver. Et c’est très important pour moi de le dire: nous mourrons pour vous si nous le devons.

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L’Allemagne est toujours opposée à un embargo sur les importations de pétrole et de gaz en provenance de Russie. Êtes-vous déçu par le chancelier Olaf Scholz?
Je ne peux pas juger les actions de l’Allemagne. Un gouvernement pense en premier lieu à son propre pays, cela va de soi. De nombreux Allemands soutiennent l’Ukraine, le gouvernement du chancelier a été élu par le peuple et je pense que nous devons respecter leurs décisions. Nous sommes conscients que l’Allemagne nous soutient, notamment en ayant fermé Nord Stream 2 et en ayant appliqué différentes sanctions. Je pourrai juger de ces décisions plus tard, lorsque cette guerre sera terminée et que l’on fera le bilan des victimes.

Que répondez-vous à vos enfants lorsqu’ils vous disent: «Papa, nous devons quitter l’Ukraine»?
Mes enfants me disent de rester ici. Mais ils ne doivent pas non plus gaspiller les merveilleux moments de leur enfance pour convaincre leur père de quitter leur propre pays.

(Adaptation par Thibault Gilgen)

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