Il n'a pas condamné la Russie
Pour Lula, l'Ukraine ne mérite pas une guerre mondiale

Le nouveau président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, ou plus simplement Lula, élu de justesse face à Jair Bolsonaro, a toujours refusé de suivre les Occidentaux pour condamner la Russie de Vladimir Poutine. Son arrivée renforce le camp des non-alignés.
Publié: 31.10.2022 à 11:19 heures
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Dernière mise à jour: 31.10.2022 à 11:38 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Vu de ce côté-ci de l’Atlantique, un second mandat de Jair Bolsonaro aurait été une catastrophe. Impossible, avec ce président erratique tenté par l’autoritarisme, de compter sur le Brésil dans le concert des puissants pays émergents, dont dépend peu ou prou le futur de la planète. Bolsonaro était imprévisible. Sa haine des élites est un ferment de division qui, d’ailleurs, ne disparaîtra pas de sitôt dans un pays aujourd’hui politiquement coupé en deux après les résultats du second tour de l’élection présidentielle.

Avec cet ancien capitaine à sa tête, le géant latino-américain ne pouvait pas être l’allié naturel qu’il devrait être, notamment dans le combat mondial contre le réchauffement climatique, dans lequel le sort de la forêt amazonienne joue un rôle déterminant.

Ne pas se fier aux apparences

Gare aux apparences, toutefois. Car le retour au pouvoir de Lula, l’ancien président de gauche de 77 ans, présente d’autres défis, en particulier pour l’Union européenne, plombée par les divergences au sein des 27 à propos de l’accord commercial Mercosur conclu en 2019 (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Venezuela), que des pays comme la France continuent de rejeter.

Le président brésilien sortant, Jair Bolsonaro, a bien failli réussir son pari d'être réélu pour un second mandat. Il termine avec 49,16% des suffrages contre 50,84% pour Lula. Le pays est coupé en deux sur le plan politique.
Photo: imago/Fotoarena

Vieux renard de la politique et des luttes sociales, l’ancien syndicaliste Lula sera tout, sauf un partenaire facile pour des Européens déjà accusés par le «Global South» (l’alliance informelle des pays du sud) de faire courir à la planète un risque de guerre mondiale à propos de l’Ukraine. Lula a promis, durant sa campagne, de reparler très vite avec la Russie de Vladimir Poutine. Son opposition aux sanctions internationales, que le Brésil n’a ni adopté, ni soutenu diplomatiquement, sera sans doute réitérée. Sa conviction est nette. «Je pense que les Américains et les Européens ont également commis beaucoup d’erreurs», a-t-il plusieurs fois répété.

Dont acte. Cet allié pour le climat ne le sera pas sur le champ de bataille et dans le bras de fer géopolitique en cours entre l’Occident, la Russie, la Chine, et tous ceux qui refusent de dénoncer les agissements de Moscou ou Pékin.

Fracture diplomatique

Le retour au pouvoir de Lula promet en plus d’accentuer la fracture diplomatique qui fait mal après huit mois de guerre en Ukraine: celle qui concerne les Etats-Unis. En bon ténor de la gauche latino-américaine, certes assagi dans ses actes mais toujours flamboyant dans ses discours, Lula a bataillé toute sa vie contre les ingérences de Washington. Or, au vu des bénéfices évidents que les Etats-Unis tirent du conflit sur le plan militaire, énergétique et économique, sa défiance assumée est assurée de trouver un bel écho mondialisé.

Au G20 de Bali en Indonésie, le Brésil sera l’un des pays à suivre. Toujours représenté par Jair Bolsonaro (Lula n’accédera à la présidence que le 1er janvier 2023), cette puissance agricole de premier plan qu’est le Brésil, riche en matières premières, ne se privera sûrement pas de dénoncer la guerre occidentale qui fait flamber les prix de l’énergie, du transport maritime et des céréales. Au risque de voir le président Joe Biden et ses homologues européens, drapés dans le droit international et les résolutions de l’ONU, se retrouver en position d’accusés aux côtés de Vladimir Poutine et de Xi Jinping, attendus à ce sommet.

L’autre force de Lula est qu’il pourra compter, sur le continent sud-américain, sur une coalition de gauche largement inédite. Au Mexique, Andres Manuel Lopez Obrador est devenu la bête noire de Washington. En Colombie, le nouveau président Gustavo Petro fait souffler un vent de social inédit sur le pays. Au Chili, Gabriel Boric s’est fait élire en décembre 2021 sur une plate-forme sociale également teintée d’antiaméricanisme. Or tous ces présidents dénoncent ouvertement une Europe selon eux trop inféodée au Pentagone, trop peu souveraine et trop peu généreuse pour rivaliser avec le bras tendu financier de la Chine, et les offres énergétiques de la Russie.

L’élection de justesse de Lula a peut-être l’allure d’un soulagement. Mais pour les Européens et les Occidentaux en général, son retour au pouvoir – dans un pays plus fracturé que jamais – a surtout valeur d’avertissement.

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