Interview exclusive d'un haut responsable taliban
«Les gens fuient à cause des fausses promesses d'Hollywood»

Blick est l'un des premiers médias européens à avoir eu l'occasion d'interviewer un des haut responsables actuels des talibans. Abdul Qahar Balkhi nous explique quel sort le mouvement envisage pour les femmes et ses opposants et comment les talibans envisagent l'avenir.
Publié: 29.08.2021 à 01:00 heures
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Dernière mise à jour: 30.08.2021 à 14:33 heures
Fabian Eberhard (Interview), Alexandre Cudré (adaptation)

En Afghanistan, les talibans sont de retour au pouvoir après vingt ans de combat contre les forces occidentales. Ils disent avoir changé. Des années durant, ils ont fait régner la charia par la terreur. Aujourd’hui, ils affirment vouloir gouverner de manière raisonnable et modérée.

Les experts en doutent. Les fondamentalistes d’aujourd’hui sont-ils vraiment différents de ceux d’hier? Blick est l’un des premiers médias européens à interviewer un cadre de la mouvance islamiste depuis leur prise de pouvoir.

Abdul Qahar Balkhi a d’abord contacté notre journaliste du SonntagsBlick via la messagerie de Twitter, puis via WhatsApp. Il dit vouloir donner des réponses aux questions brûlantes que le monde se pose en ce moment. Une seule condition: la communication doit se faire par écrit.

Abdul Qahar Balkhi dépeint les talibans comme raisonnables et prêts à faire des compromis. Les rapports provenant d'Afghanistan montrent toutefois que ces promesses cachent une réalité plus dure.
Photo: Screenshot Al Jazeera
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Balkhi est l’un des plus hauts responsables des talibans. Il est membre de leur Commission culturelle et a fait sa première apparition lors de la conférence de presse à Kaboul il y a près de quinze jours. Les observateurs supposent que l’homme, qui parle couramment anglais, jouera un rôle central dans le futur gouvernement.

Des milliers de civils se pressent à l’aéroport de Kaboul. C’est vous, les talibans, qu’ils veulent fuir!
Abdul Qahar Balkhi:
Les gens ne fuient pas par peur ou à cause des menaces que nous avons proférées à leur encontre. Ils fuient à cause des fausses promesses d’Hollywood et de la prospérité économique que l’Occident dit leur offrir.

Certains d’entre eux ont coopéré avec les pays occidentaux et craignent des représailles de votre part.
Nous avons annoncé une amnistie générale pour tous les membres de l’opposition.

Ces gens n’ont donc rien à craindre?
La peur qu’ils ressentent à notre égard est sans fondement. Nous garantissons la protection de la vie de ces personnes. Tout comme nous garantissons la protection de leurs biens et de leur honneur.

Ce ne sont que des promesses vides! En dehors de Kaboul, des attaques ont déjà été signalées. On parle même d’exécutions.
Il n’y a pas eu d’exécutions ou de meurtres extrajudiciaires. Nous voulons la paix et la sécurité.

Doit-on craindre à nouveau des lapidations et des mains coupées, sur la base de la charia?
La charia ne se limite pas aux punitions, comme les médias occidentaux la présentent souvent. La charia est un mode de vie holistique qui régit de nombreuses choses et a pour but d’apporter la paix et la prospérité.

Et les châtiments?
Ils font également partie du droit islamique, mais sont limités aux crimes les plus extrêmes. En Occident aussi, la peine de mort existe comme moyen de dissuasion contre les crimes graves.

Des témoins rapportent que les talibans vont de maison en maison avec des listes de personnes qui ont collaboré avec les États occidentaux.
De telles listes n’existent pas, et personne ne va de maison en maison à la recherche de qui que ce soit. Ces rapports sont des mensonges, ils ont été inventés.

Les informations en provenance d’Afghanistan montrent que les réponses d’Abdul Qahar Balkhi sont incorrectes et font partie intégrante de la propagande talibane. La radio allemande internationale «Deutsche Welle» a rapporté il y a une semaine qu’un membre de la famille d’un de leurs collaborateurs avait été abattu par des talibans. Selon le rapport, les talibans passent de maison en maison dans l’ouest du pays, à la recherche de reporters. Les Nations unies disposent également de rapports crédibles faisant état de graves violations des droits de l’homme par les talibans en Afghanistan. Le Haut-Commissaire des Nations Unies en charge, Michelle Bachelet, a parlé à Genève d’exécutions arbitraires d’anciens membres des forces de sécurité du pays.

Vos opposants ne sont pas les seuls à avoir peur. Les femmes afghanes aussi…
Il n’y a aucune raison à cela. Nous avons déjà souligné que les droits des femmes sont protégés par la loi islamique.

Les femmes seront-elles autorisées à travailler et à aller à l’école sous votre régime?
Oui, le droit au travail et à l’éducation en fait partie, pour autant qu’elles travaillent dans une tenue islamique appropriée.

Les femmes devront-elles donc à nouveau porter la burqa?
Toutes les femmes de confession musulmane sont tenues de se couvrir le corps. Que ce soit avec une burqa, un hijab, un niqab ou tout autre vêtement approprié.

Dans certaines provinces, les talibans ont restreint la liberté de mouvement des femmes. Certaines jeunes filles ne sont plus autorisées à aller à l’école. L’Afghane Fariba (prénom d’emprunt), qui travaille comme infirmière dans un hôpital de Kaboul, a consigné ses expériences dans un journal pour Blick. Il y a une semaine, elle a parlé d’une patiente qui avait été si violemment battue par un combattant taliban qu’elle avait perdu son oreille. Le porte-parole des talibans, Zabihulla Mujahid, a déclaré que les femmes devaient rester à la maison car «nos forces de sécurité ne sont pas formées pour s’occuper des femmes». Ils avaient d’abord besoin d’une «formation sur l’égalité des droits». Mujahid a assuré que les restrictions ne sont que temporaires et ne visent qu’à assurer la sécurité des femmes.

Et maintenant, quels sont vos projets?
Notre prochaine étape est d’annoncer un gouvernement qui reflète tous les habitants de ce fier pays. Notre objectif est d’apporter la prospérité à notre patrie, qui a été ravagée par les guerres au cours des quatre dernières décennies. Nous voulons coopérer avec le reste du monde.

Cherchez-vous à établir des relations diplomatiques avec la communauté internationale?
Nous voulons de bonnes relations économiques et humaines. Nous appelons tous les pays du monde, y compris la Suisse, à reconnaître le droit du peuple afghan à l’autodétermination et à maintenir de bonnes relations diplomatiques, économiques et interpersonnelles avec l’Afghanistan.

Espérez-vous des investissements internationaux et la poursuite de l’aide humanitaire?
Nous accueillons toute aide humanitaire et de développement qui n’est pas conditionnelle.

L’une des conditions sera que les talibans ne collaborent pas avec des organisations terroristes comme Al-Qaïda, comme vous l’avez fait dans les années 1990. Vous aviez alors donné à Oussama ben Laden et à ses compagnons d’armes un refuge en Afghanistan.
Nous avons déjà clairement indiqué que nous ne laisserons pas des groupes ou des individus utiliser le sol afghan pour menacer la sécurité d’autres nations.

Les terroristes sont déjà dans votre pays. Jeudi, l’un d’eux s’est fait exploser aux portes de l’aéroport de Kaboul. Au moins 170 victimes sont à dénombrer.
Nous condamnons l’attaque et considérons toute attaque délibérée contre des civils innocents comme du terrorisme et un crime contre l’humanité.

Il est évident que vous ne contrôlez pas la situation.
L’attaque a eu lieu dans une zone sous contrôle de l’armée américaine. Ils n’ont pas assuré la sécurité. C’est leur faute, pas la nôtre.

L’attaque, signée de l’Etat islamique, était notamment dirigée contre les soldats américains à Kaboul. Ils doivent partir d’ici mardi. Que se passera-t-il s’ils décident de rester quelques jours de plus pour continuer les évacuations?
Aucune troupe étrangère n’est autorisée à rester en Afghanistan au-delà du 31 août. Ils doivent quitter Kaboul. C’est notre ligne rouge. S’ils restent, nous devrons changer notre stratégie.

Qu’adviendra-t-il de tous ceux qui veulent partir mais ne l’ont pas fait d’ici là?
Nous espérons que l’aéroport restera opérationnel. Nous voulons permettre à toute personne possédant les documents appropriés de voyager.

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