L'institution est attaquée
Le laxisme des députés européens apparait au grand jour

La présidente du Parlement européen s'est prononcée cette semaine en faveur d'un plan anticorruption en 14 points à la suite d'une vaste enquête menée par la police belge. Celle-ci avait conduit, le 9 décembre, à l'arrestation de l'eurodéputée grecque Eva Kaili.
Publié: 18.01.2023 à 18:54 heures
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Dernière mise à jour: 18.01.2023 à 18:55 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le Parlement européen (PE) est sur la défensive. Et pour cause! Aussitôt présenté en séance plénière à Strasbourg ce lundi 16 janvier, le plan anticorruption en 14 points proposé par la présidente, Roberta Metsola, court le risque d’être débordé par de nouvelles révélations.

Le lendemain, le Parquet fédéral belge a en effet annoncé que l’ex-eurodéputé italien Pier Antonio Panzeri, au centre du scandale du «Qatargate», a signé un accord de «repenti». Ce dernier, soupçonné d’être avec son ONG Fight Impunity au cœur d’une nébuleuse qui profitait des largesses financières de l’Émirat et du Maroc, pourrait donc dévoiler tout ce qu’il sait en échange de la clémence des magistrats. Une menace lourde de nuages pour le PE, où plusieurs eurodéputés ont avoué ces derniers jours avoir profité d’invitations non déclarées de la part de pays étrangers.

Trois eurodéputés dans la tourmente

Pier Antonio Panzeri a déjà entraîné dans sa chute trois eurodéputés. La première est l’ancienne vice-présidente grecque de l’institution, Eva Kaili, 44 ans, arrêtée le 9 décembre et maintenue depuis en détention en Belgique, pour éviter tout contact avec ses anciens collègues. Les deux autres sont les eurodéputés belges Marc Tarabella et Maria Arena. L’un comme l’autre ont reconnu plusieurs déplacements non déclarés au Qatar. Et de nouvelles rumeurs circulent sur des montants d’argent en espèces qui leur auraient été remis.

La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a pris les choses en main après le scandale impliquant l'eurodéputée grecque Eva Kaili. Mais d'autres affaires pourraient remonter à la surface au fil des investigations
Photo: AFP

Eva Kaili a pour sa part avoué avoir demandé à son père de dissimuler une partie de l’argent cash retrouvé chez elle. Ceci explique, selon elle, les 750'000 euros en billets planqués dans une valise que son père transportait lors de son arrestation par la police belge à l’hôtel Sofitel proche du Rond-Point Schuman, l’épicentre des institutions communautaires à Bruxelles.

Jusqu’où iront ces révélations? À Strasbourg, où les 705 eurodéputés participaient cette semaine à leur session plénière mensuelle, un groupe est ciblé: celui des Socialistes et démocrates, dont les trois élus impliqués dans le «Qatargate» faisaient partie, tout comme Pier Antonio Panzeri. Lequel a siégé dans son hémicycle entre 2004 et 2019. Ce groupe politique n’a pas encore diligenté une enquête interne. Ce qui a compliqué l’élection d’un successeur socialiste, le Luxembourgeois Marc Angel, comme 14e vice-président, en remplacement d’Eva Kaili, finalement acquise ce mercredi 18 janvier.

Une «occasion manquée»

«Ce vote est une «occasion manquée» de rompre avec les vieilles habitudes. Nous aurions pu donner un signal fort que nous comprenons la gravité de tout cela et que nous voulons regagner la confiance… Au lieu de cela, nous avons le business as usual», s’est plaint de l'eurodéputé écologiste allemand Damian Boeselager.

Pour les Verts, les députés devraient être obligés de déclarer toutes leurs dépenses et leurs voyages officiels. Une mesure contre laquelle de nombreux élus résistent encore, en comptant sur l’alliance de facto entre la droite traditionnelle et la gauche sociale-démocrate au parlement pour refermer le couvercle sur ce scandale.

Damian Boeselager s’explique sur son vote:

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Sur les 14 points du paquet anti-corruption de la présidente Roberta Metsola, plusieurs mesures devraient modifier le fonctionnement opaque actuel du Parlement européen, qui a toujours refusé de se doter d’un comité éthique malgré la proposition de juristes comme l’Italien Alberto Alemanno, professeur de droit européen à HEC.

Le plan prévoit d’empêcher les anciens députés européens d’accepter immédiatement des emplois de lobbying pendant ce que l’on appelle une période de réflexion. Il envisage aussi de faire interdire les «groupes d’amitié», souvent utilisés par des États étrangers comme moyen détourné de faire du lobbying, et de renforcer l’obligation d’annoncer toute réunion ou rendez-vous avec des lobbyistes.

Le «Qatargate» n'est «pas une affaire de lobbying, mais de corruption»

Problème: rien, dans ce dispositif pas encore adopté, n’aurait permis d’éviter le «Qatargate». «Ce n’est pas une affaire de lobbying, mais de corruption pure et simple. Mêler les deux complique les choses», déplore Alberto Alemanno.

Autre souci évoqué discrètement par certains eurodéputés: la nationalité de la présidente du PE, Roberta Metsola. Malte est en effet accusée de longue date de fermer les yeux sur les circuits de finance occulte. C’est sur l’île que la journaliste antimafia Daphne Caruana Galizia a été tuée dans une voiture piégée le 16 octobre 2017. Un prix de journalisme est depuis décerné chaque année en son nom par le parlement européen.

Le prix Daphne Caruana Galizia du Parlement européen:

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Preuve des obstacles internes que le Parlement européen risque d’être incapable de surmonter: c’est à la Commission européenne qu’est revenu cette semaine le soin de mener l’offensive à Strasbourg. «Plus de transparence et de responsabilité ne suffisent pas à lutter contre la corruption, qui doit être combattue avec force par la loi», a asséné Ylva Johansson, commissaire européenne chargée des Affaires intérieures. Selon elle, l’Exécutif communautaire présentera bientôt un nouveau projet de directive visant à criminaliser toutes les formes de corruption, avec des définitions et des sanctions uniformisées dans l’ensemble de l’UE, et les outils nécessaires pour la police et les tribunaux.

Bientôt un comité éthique indépendant

La création d’un organe indépendant d’éthique pour les institutions de l’UE est aussi remise sur les rails (même si les poursuites judiciaires éventuelles des suspects resteront l’apanage des juridictions nationales). Le Parlement européen a également, lundi 16 janvier, modifié les conditions de la levée de l’immunité juridique des eurodéputés en exercice pour donner plus de pouvoir et de capacités d'initiative au Parquet européen créé en 2017.


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