Livrer ou ne pas livrer?
Pourquoi la question des chars Leopard 2 est si épineuse pour l'Allemagne

Le chancelier Olaf Scholz hésite à livrer des chars Leopard 2, fleuron de l'armement allemand, à l'Ukraine. Pourquoi cette décision est-elle si compliquée pour un pays qui a déjà armé Kiev à hauteur de plus de 3 milliards d'euros? Éclairage.
Publié: 24.01.2023 à 15:02 heures
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Myrte Müller

Leopard 2: c'est le nom des chars dont tout le monde parle, en ce moment. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, n'est pas le seul à réclamer que l'Allemagne livre des chars de combat de ce type à son pays. La Lettonie, l'Estonie et la Lituanie font preuve de la même véhémence pour appeler le chancelier allemand, Olaf Scholz, à agir.

La Pologne a pris les devants: Varsovie veut envoyer ses propres Leopard 2 au front et a officiellement demandé l'autorisation à l'Allemagne. «Nous ne nous y opposerons pas», a déclaré la ministre allemande des Affaires étrangères, en entrevue avec Darius Rochebin.

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La Grande-Bretagne a, pour sa part, assuré la livraison de 14 de ses chars de combat Challenger 2 à l'Ukraine et attend de l'Allemagne qu'elle en fasse de même avec ses Leopard 2.

L'Allemagne «ne s'opposera pas» à la livraison par la Pologne de chars de type Leopard 2. En attendant de fournir directement l'Ukraine?
Photo: keystone-sda.ch

Outre-Rhin, la pression monte. Le FDP et les Verts veulent qu'Olaf Scholz donne son aval, et vite. Mais le chancelier allemand continue d'hésiter. Pourquoi cette décision est-elle si épineuse? Explication.

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Pourquoi l'Ukraine fait-elle autant pression?

Alors que le conflit entre ce mardi 24 janvier dans son douzième mois, une guerre de position harassante a lieu dans l'est du pays. Le front a beau être assez statique, les deux camps se livrent à une bataille de forte intensité, défendant farouchement chaque mètre. Avec de très lourdes pertes des deux côtés.

C'est dans ce contexte que les Leopard 2 pourraient permettre aux forces ukrainiennes de faire la différence. L'engin mis en service pour la première fois en 1979 a une grande puissance de feu grâce à son canon à tube lisse de 120 mm, mais il est aussi très rapide: sa vitesse maximale atteint 72 km/h.

Grâce à son moteur de 1500 chevaux, il est très maniable et peut même rouler dans l'eau. Un grand avantage pour percer les lignes russes. Dernier aspect positif: il consomme du diesel, dont l'Ukraine dispose en abondance.

2) Quels sont ses désavantages?

Le Leopard 2 pèse jusqu'à 62 tonnes. C'est beaucoup trop pour de nombreux ponts, routes et autres installations ferroviaires en Ukraine, construits pour des charges maximales de 40 tonnes.

Ce char est, en outre, prévu pour des combats sur sol sec: en cas de pluie, ses chenilles étroites s'enfoncent rapidement dans le terrain, avec de grands risques d'enlisement à la clé.

Dernier point, qui est loin d'être anodin: ce char de combat est, au même titre que les chars de grenadiers et les obusiers blindés, un système complexe. Il faut des connaissances spécialisées et de l'expérience pour non seulement le piloter, mais aussi l'entretenir.

L'instruction dure plusieurs mois et la logistique doit suivre en matière de ravitaillement en munitions et en pièces de rechange.

3) Pourquoi Olaf Scholz rechigne-t-il?

Dès le début de l'invasion russe en Ukraine, le chancelier allemand n'a pas fléchi sur sa position: «pas d'action isolée sans les partenaires de l'OTAN». Pour Berlin, ni l'Allemagne ni l'OTAN devraient participer à la guerre en Ukraine. En ce sens, la livraison de Leopard 2 conduirait à une escalade du conflit sur sol européen.

Olaf Scholz n'a eu cesse de répéter la responsabilité particulière et historique de son pays, qui a commencé deux guerres mondiales.

4) En quoi la position américaine est-elle importante?

L'Allemagne lie la livraison des Leopard 2 à une condition: les États-Unis doivent promettre de mettre, eux aussi, à disposition des chars de combat, en l'occurrence de modèle Abrams, à disposition de l'Ukraine.

Pourquoi cette posture «America First»? Outre le fait de se dérober (un peu) à ses responsabilités, Berlin pense aussi à son porte-monnaie: chaque char coûte 15 millions d'euros. Et le Leopard 2 est le fleuron de l'armement allemand.

«Si des chars fabriqués en Allemagne et ailleurs en Europe sont livrés à l'Ukraine, cela créera un vide en matière de blindés sur le continent, explique Lars Winkelsdorf, expert allemand en armement. Il serait impossible de construire rapidement de nouveaux véhicules, d'où l'importance de pouvoir compter sur les Abrams américains en Ukraine.»

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L'Allemagne n'a-t-elle pas déjà armé l'Ukraine?

Certes, Olaf Scholz hésite sur les Leopard 2. Mais l'Allemagne est déjà un soutien de poids pour l'Ukraine: Berlin aide Kiev à hauteur de 3,3 milliards d'euros.

La liste des livraisons effectuées est longue: d'abord des armes antichars, des missiles aériens, des mitrailleuses, des munitions diverses et des véhicules, puis des chars antiaériens de type Gepard, des obusiers blindés 2000, des lance-roquettes multiples Mars II, des chars poseurs de ponts de type Biber et des chars de montagne Buffalo.

Début janvier, le gouvernement fédéral a également promis une batterie de missiles antiaériens Patriot et 40 véhicules blindés de combat d'infanterie Marder. Selon le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, sept chars antiaériens de type Gepard devraient s'y ajouter d'ici février. Et puis, «d'ici au printemps», des missiles Iris-T-SLM et un système complet de défense aérienne Iris-T-SLM. En attendant les Leopard 2? Le suspense reste entier.

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