Macron en parle mais...
En France, l'union nationale serait un piège

Après l'échec de son parti aux législatives, le président français reçoit l'ensemble des formations politiques. L'idée d'un gouvernement d'union nationale aurait été évoquée. Dans les faits, très peu, en France, y ont intérêt. À commencer par les Français.
Publié: 22.06.2022 à 13:49 heures
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Dernière mise à jour: 22.06.2022 à 18:47 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Imaginez la scène: assis côte à côte lors des Conseils des ministres hebdomadaires réunis au palais de l’Elysée, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen devisent sereinement de l’avenir de la France sous le regard d’Emmanuel Macron, chef de l’État et grand ordonnateur des débats.

En théorie, un gouvernement français «d’union nationale» devrait ressembler à cela. Pas question, en effet, d’imaginer les formations politiques victorieuses lors des législatives du dimanche 19 juin, être représentées au sein du pouvoir exécutif par d’autres dirigeants que leurs chefs et cheffes charismatiques. Or, ce doux rêve n’est ni possible, ni souhaitable. D’abord parce qu’il n’est absolument pas justifié par les circonstances, même si la guerre en Ukraine et les tensions économiques exigent de mettre sous le tapis une partie des querelles partisanes. Ensuite, parce que cela profiterait aujourd’hui au dirigeant le plus déstabilisé, malgré sa récente réélection le 24 avril: Emmanuel Macron.

L’union nationale reste hors d’atteinte en France

Oui, l’union nationale reste hors d’atteinte en France. Et le regretter n’a aujourd’hui guère de sens. Faut-il souhaiter, pour la bonne marche de l’économie française et pour la stabilité de l’Union européenne, l’alliance des extrêmes à la table du pouvoir? Faut-il, après l’abandon dans les urnes de l’ex-«front républicain» contre le Rassemblement national de Marine Le Pen, donner une partie des rênes du pays à une formation certes «normalisée», mais dont l’ADN demeure celui d’un parti protestataire, vent debout depuis sa naissance contre l’UE et l’euro, et qui cache toujours sous la défense du pouvoir d’achat sa violente rhétorique xénophobe?



Retrouvez Richard Werly, correspondant France/Europe de Blick, invité de Paris Direct sur France 24 le mercredi 22 juin.

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La spécificité du paysage politique français, tel que représenté dans la nouvelle Assemblée nationale élue le 19 juin, est qu’il est aux antipodes d’une possible union pour gouverner ensemble. Les électeurs français ont opté pour une Assemblée écartelée. Soit. Ils ont parlementarisé de force le système présidentiel, obligeant leur chef de l’État tout puissant à sortir de sa tour d’ivoire élyséenne. Soit. Mais ils n’ont, d’aucune façon, réclamé que toutes les formations politiques, demain, travaillent ensemble autour d’un programme commun irréaliste et impossible à dégager.

Un besoin de renouvellement démocratique

Tirer de ces législatives l’idée que les Français ne veulent plus de majorité et d’opposition serait en plus, une erreur funeste face à l’immense besoin de renouvellement démocratique qui souffle dans le pays, et à l’aspiration généralisée à retrouver un débat politique clair, de nouveau articulé entre une vision de droite (plus ou moins radicale) et de gauche (plus ou moins radicale). L’union nationale, à ce stade, est un écran de fumée et un brouillage des cartes. Elle reviendrait, sous prétexte d’urgence absolue, à nier le fait que plusieurs visions contradictoires s’affrontent dans cette France fracturée. Telle est la réalité du pays. Compliquée. Exigeante. Parfois décourageante. Mais qu’il faut respecter.

La bonne leçon à tirer du scrutin est au contraire de jouer le jeu parlementaire et de tester, d’urgence, les possibles coalitions. Une coalition conservatrice, libérale sur le plan économique, dont l’attractivité française, l’assainissement des finances publiques et le plein-emploi seraient l’axe porteur? Une coalition écologique, qui ferait de la transition énergétique l’absolue priorité? Une coalition souverainiste, axée sur les dépenses publiques, qui prendrait le risque de se distancier avec l’Union européenne? Ou bien, comme va peut-être tenter de le faire la Première ministre Elisabeth Borne en grande difficulté, une coalition centriste moins portée sur les réformes, plus soucieuse d’efficacité et de restauration des services publics?

Nouvelle donne parlementaire

Le pire serait qu’Emmanuel Macron, bousculé par cette nouvelle donne parlementaire, se croit à nouveau capable de surmonter le clivage gauche droite, et cherche, à travers les débauchages individuels, à obtenir çà et là des majorités bancales. L’exemple de l’Allemagne, ce pays dont il a fait son premier interlocuteur, mais aussi celui de l’Italie, avec à sa tête le respecté Mario Draghi, ont deux vertus dont la France de juin 2022 devrait s’inspirer. Dans les deux cas, à Berlin comme à Rome, le programme défendu par les gouvernements en place est clair. Dans les deux cas, les dirigeants ont misé sur la responsabilité des parlementaires. Dans les deux cas, les citoyens ont été informés par leurs dirigeants sur la direction prise.

Une telle gestion de la crise ne signifie pas obligatoirement une «grande coalition». L’Italie de Draghi a, pour l’heure, accepté de s’affranchir du règne des partis. L’Allemagne de Scholz, fidèle à sa tradition, fonctionne sur la base d’un programme détaillé de gouvernement. À chacun sa formule. La France d’Emmanuel Macron devra trouver la sienne. À condition que l’horizon soit clarifié, que des engagements soient pris, et que les électeurs soient pris à témoin, voire associés pourquoi pas à ce nouvel élan par l’organisation d’un possible référendum.

Attention à ne pas nier les divisions françaises

L’union nationale distillée et concoctée dans les couloirs opaques de l’Elysée reviendrait à nier les divisions françaises. Un projet axé autour de quelques grandes mesures, d’un calendrier et d’engagements démocratiques, permettrait au contraire de redonner de l’oxygène à la Ve République – à laquelle les électeurs restent attachés – sans nier les rôles et les prérogatives de chaque institution, à commencer par celui du Président.

L’archipel français n’a pas besoin d’être re-cimenté à la va-vite, de façon artificielle. Il a besoin de ponts solides, bâti dans le respect des différences et conçus pour répondre au plus urgent des besoins: comprendre, participer et accepter les réformes. Plutôt que les subir et d’enrager.

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