«Où est notre victoire?»
Ce politologue craint une révolte sociale en Russie

Après 200 jours de guerre, les troupes ukrainiennes infligent des défaites considérables aux Russes. Les commentateurs n'hésitent plus à critiquer le Kremlin. Un politologue moscovite alerte contre des troubles dans le pays si la victoire se fait encore attendre.
Publié: 13.09.2022 à 14:56 heures
Daniel Kestenholz

Un président Poutine fragilisé est-il encore plus dangereux qu’un président Poutine sûr de sa victoire? La question mérite d’être posée, lui qui promettait un triomphe rapide sur l’Ukraine en février. Difficilement imaginable il y a encore quelques jours, l’impensable frappe à la porte du président russe. Sous pression sur le front, il l’est aussi dans son propre pays, alors que la moindre critique du régime y est habituellement sévèrement punie.

Il faut dire que les Ukrainiens dupent l’armée russe et reconquiert des kilomètres de terrain. Kiev avait auparavant affirmé vouloir reconquérir le sud. Mais dans le cadre d’une offensive éclair, les troupes ukrainiennes ont avancé au nord. Les Russes, complètement pris au dépourvu, se sont enfuis. Des politiciens et des experts russes expriment désormais pour la première fois publiquement des critiques à l’encontre du président, sans qu’aucune arrestation n’ensuive.

Même à la télévision d’Etat russe, la propagande patriotique, les cris de victoire ou les condamnations de l’Occident semblent laisser place à un regard plus dur sur les actions du Kremlin. Des experts expriment des doutes sur les versions officielles de Moscou. La figure d’autorité suprême qu’est Vladimir Poutine semble prendre un sérieux coup dans les dents.

Le politologue conservateur moscovite Vitali Tretiakov (à gauche) sur la chaîne d'Etat russe Rossija 1: «Où est notre victoire?»
Photo: Screenshot @JuliaDavisNews
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Le mouvement antiguerre prend de l’ampleur

Elément totalement nouveau, des débats de fond sur la guerre se déroulent à la télévision. D’un côté, les partisans d’une ligne dure, qui exigent encore plus de fermeté envers l’Ukraine, et de l’autre les modérés, qui demandent au Kremlin d’entamer des négociations de paix. C’est surtout parmi les jeunes urbains que le camp du mouvement antiguerre grandit.

L’opinion publique russe avait accepté l’échec de la marche sur Kiev après le début de la guerre en haussant les épaules. Mais le fait que les Ukrainiens mettent en déroute les soldats russes 200 jours après le début du conflit résonne tout autrement à Moscou.

Des doutes sur Poutine

Vendredi, alors que la ligne du front russe s’effondrait dans le nord-est de l’Ukraine, le politicien local Boris Nadejdine a exprimé ce qui était jusqu’à présent inimaginable sur la chaîne d’Etat NTV: Moscou ne peut pas gagner la guerre dans les conditions actuelles.

«Nous sommes maintenant arrivés à un point où nous devons comprendre qu’il est absolument impossible de vaincre l’Ukraine avec des moyens archaïques tels que ceux de la Russie, a déclaré Boris Nadejda. L’armée russe se bat contre une armée puissante qui est soutenue par les pays les plus puissants sur le plan économique et technologique.»

Le politicien souhaite des négociations en faveur de la paix. Mais d’autres invités présents sur le plateau de la chaîne s’y sont opposés avec véhémence. Pour eux, la Russie ne peut pas abandonner sa lutte existentielle contre l’OTAN. Le principal argument idéologique avec lequel Vladimir Poutine justifie l’invasion a également été remis en question: il n’est plus aussi certain que la Russie et l’Ukraine fassent partie d’une seule grande nation.

«Où est notre victoire?»

Un invité du studio a fait remarquer que la Russie n’acceptait même pas qu’il existe une langue ukrainienne, et encore moins un peuple ukrainien en tant que tel. Il reconnaît toutefois que les Ukrainiens ont su s’unir: «Nous devons les traiter comme un adversaire sérieux et dangereux», a affirmé le professeur de sciences politiques Alexey Fenenko.

La semaine dernière, le politologue conservateur Vitali Tretyakov avait déjà alerté sur le risque de voir émerger des troubles sociaux au sein du pays, si le peuple russe prend peu à peu conscience d’une issue défavorable à la guerre. «Il y a une énorme confiance en notre victoire», a-t-il déclaré sur la chaîne d’Etat Rossiya 1, lui qui est très apprécié des téléspectateurs. «Mais cette confiance devrait être soutenue par de réels progrès», prévient-il.

«Où est notre victoire?», a demandé Vitali Tretyakov. Sans progrès militaire en Ukraine, la population russe commence à douter de son propre fonctionnement, a-t-il ajouté. Il a conclu par une mise en garde: «Sans victoire, des tensions sociales pourraient apparaître.»

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(Adaptation par Thibault Gilgen)

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