Poutine avait besoin d'un succès
La machine de guerre médiatique russe se met en route à Soledar

Pourquoi tant de vies gaspillées pour prendre la ville ukrainienne de Soledar, dont l'armée ukrainienne affirme toujours contrôler les parages? La réponse est simple: la peur. L'armée russe veut impressionner les Européens.
Publié: 15.01.2023 à 20:05 heures
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Dernière mise à jour: 15.01.2023 à 23:41 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Pourquoi tant de forces et de soldats jetés par l’armée russe et la milice Wagner dans l’assaut contre Soledar, cette ville située à quelques kilomètres de Bakhmout, dans l’oblast de Donetsk? Pourquoi ces proclamations de victoire totale que l’armée ukrainienne continue pour l’heure de démentir? La réponse tient largement aux nécessités de la propagande du Kremlin, et notamment au message que Moscou veut envoyer aux Européens à un mois du premier anniversaire de ce conflit déclenché par l’agression russe le 24 février 2022.

Vladimir Poutine et son chef milicien Evgueni Prigojine, fondateur du groupe Wagner, ont tous deux impérativement besoin d’un succès militaire. Objectif: faire peur aux populations des pays européens, en agitant le spectre d’une mobilisation massive et d’une offensive à venir. Et convaincre la population russe que cette «opération spéciale» n’est pas une impasse. Explications à la veille d’une semaine décisive qui verra les pays alliés de l’Ukraine se réunir vendredi 20 janvier sur la base aérienne américaine de Ramstein, en Rhénanie-Palatinat, pour décider de nouvelles livraisons d’armes, dont les fameux chars Léopard 2 allemands.

Soledar, une conquête militaire pas si inutile

Tel est le refrain distillé, dans les médias occidentaux, par la plupart des analystes militaires. Beaucoup affirment même ne pas comprendre pourquoi l’armée russe - qui contrôle aujourd'hui entre 17 et 20% du territoire ukrainien - a concentré tant de moyens, surtout ceux du groupe Wagner, contre cette ville dont les mines de sel, avec leurs nombreux souterrains, ne constituent pas un réel atout stratégique.

L’ex Lieutenant-colonel français Guillaume Ancel a une réponse, formulée dans son blog très suivi nepassubir.fr. «Ce besoin d’une 'victoire à tout prix' illustre la fragilité du régime de Poutine face aux échecs militaires qui le mettent en péril puisque son pouvoir repose sur sa capacité à imposer sa volonté. (Mais) la dimension symbolique, et donc politique, de ce conflit peut aussi troubler la conduite de ces opérations en imposant aux militaires ukrainiens de reprendre Soledar, car la guerre n’est pas qu’un affrontement militaire, elle est aussi faite d’irrationalité autant que d’inhumanité.»

Le chef de la milice Wagner Evgueni Prigogine s'est rendu dans le périmètre de Soledar où il a proclamé la victoire. L'annonce de la prise complète de la ville par l'armée russe, vendredi 13 janvier, est toujours contestée par l'armée ukrainienne.
Photo: TWITTER / RIA

Quelle évaluation militaire?

Les mots employés ont leur importance. Irrationalité d’un côté. Inhumanité de l’autre. La Russie de Vladimir Poutine a toujours fait du second une arme de destruction massive des infrastructures, des hommes et des consciences. Ce fut le cas en Tchétchénie, en 1999-2000, puis en Syrie, en 2015 et 2019.

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A chaque fois, la destruction impitoyable s’accompagne d’une proclamation de victoire appuyée d’images chocs diffusées via internet sur les réseaux sociaux. Mission: ruiner le moral des troupes ennemies, confrontées au rouleau compresseur russe. Et envoyer aux populations civiles (dont aux gouvernements opposés à la Russie) un message de guerre totale sans fin si le conflit se poursuit. Vue sous cet angle, surtout depuis les capitales de démocraties européennes inquiètes de se retrouver prise dans l’engrenage de cette guerre, la prise de Soledar n’est donc pas inutile.

A Soledar, une propagande à double emploi

Si la prise de Soledar se confirme, quel que soit le niveau de destruction et son coût humain, la propagande de Moscou pourra s’en servir sur deux fronts. Le premier est à destination de la population russe, au moment où un deuxième ordre de mobilisation pourrait concerner jusqu’à 500'000 jeunes conscrits. Le message? Vos enfants ne se battent pas pour rien, ceux qui sont morts n’ont pas été sacrifiés en vain (on parle de plus de 100'000 soldats tués) et la «dénazification» de l’Ukraine (terme employé par Vladimir Poutine) est bien en cours.

L’on voit déjà, à la télévision russe, de nombreuses images et témoignages d’envoyés spéciaux «embedded» (incorporés) aux unités présentes à Soledar. Tous insistent sur la fuite des soldats ukrainiens. Ils montrent peu les souffrances de la population civile, sauf bien sûr les témoignages d’habitants abandonnés qui accueillent les troupes de Moscou.

Divergences entre la TV russe et le ministère de la Défense?

Le second front de la propagande russe est celui des capitales européennes, à commencer par Paris et Berlin. Ce n’est pas un hasard si l’acharnement déployé par les miliciens du groupe Wagner à Soledar intervient au moment où l’envoi de chars lourds allemands Leopard 2 – en service dans une dizaine de pays européens – est attendu pour renforcer l’armée ukrainienne.

Ce vendredi 20 janvier, des décisions doivent être annoncées par le groupe de contact des alliés de l’Ukraine qui se réunit sur la base aérienne américaine de Ramstein, en Allemagne. Or les risques d’escalade consécutifs à ces livraisons inquiètent au plus haut niveau. Ancien conseiller militaire de la Chancelière Angela Merkel, le général Allemand Erich Vad vient de s’en faire l’écho: «Nous nous engageons sur une pente glissante. Cela pourrait développer une dynamique propre que nous ne pourrions plus contrôler. Bien sûr qu’il était et qu’il est juste de soutenir l’Ukraine et bien-sûr que l’agression de Poutine n’est pas conforme au droit international – mais il faut maintenant enfin réfléchir aux conséquences», a-t-il déclaré. Et d’ajouter: «Nous sommes dans une impasse militaire opérationnelle que nous ne pouvons pas résoudre militairement […] Tout le reste signifie un gaspillage inutile de vies humaines.»

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A Soledar, un test pour le groupe Wagner

Les modalités de l’interaction entre la milice Wagner et l’armée régulière russe ne sont pas claires. Le groupe fondé par l’oligarque Evgueni Prigojine, 61 ans, qui comptent dans ses rangs des mercenaires (y compris étrangers), d’ex-détenus et d’anciens soldats réguliers, est-il le fer de lance offensif ou un simple pion que déplace le trio à la tête de «l’opération militaire spéciale»? Pour rappel, elle est composée de son chef d’État-major Valéri Guerassimov (patron de l’armée russe depuis 2012), et ses trois adjoints Sergueï Sourovikine (le général Armageddon), Oleg Salioukov et Alexeï Kim. Il fallait, en tout cas, que les troupes de Wagner démontrent leur crédibilité sur le front, y compris pour recruter de nouveaux combattants. L’assaut victorieux sur Soledar, s’il se confirme, va servir à cela.

On ne peut pas exclure non plus que l’acharnement russe à Soledar soit le résultat d’un bras de fer entre l’armée russe et les mercenaires de Wagner. La ville ukrainienne qui comptait environ 10'000 habitants avant la guerre serait donc l’objet d’une lutte de pouvoir déguisée entre Prigojine et ses opposants au Kremlin.

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C’est la thèse de l’analyse militaire de la chaîne américaine CNN Tim Lister. Le chef de Wagner l’a d’ailleurs plus ou moins confirmé dans une vidéo diffusée samedi 14 janvier. Il insiste sur la «discipline féroce» de ses soldats, alors que la désorganisation de l’armée russe, et l’insubordination de ses conscrits est souvent évoquée comme raison principale des échecs militaires de Moscou.

N’oublions pas enfin que le groupe Wagner est engagé sur d’autres théâtres militaires très rémunérateurs, notamment en Afrique (République centrafricaine, Mali..) et qu’il a besoin d’impressionner ses commanditaires locaux pour que ceux-ci continuent à payer leur tribut à ses mercenaires.



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