Prigojine reste son chef
Et maintenant, quel avenir pour la milice russe Wagner?

Que va faire Evgueni Prigojine, s'il s'installe en Biélorussie? Que vont devenir ses milliers de miliciens? Quel impact sur le front Ukrainien et dans les pays d'Afrique où la milice est implantée?
Publié: 25.06.2023 à 13:04 heures
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Dernière mise à jour: 25.06.2023 à 13:43 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Un siège perquisitionné par les services de renseignements russes à Saint-Pétersbourg. Un chef en exil en Biélorussie. Des milliers de miliciens cantonnés et surarmés à proximité des champs de bataille ukrainiens. Une publicité mondiale due, en quelques heures, au coup d’éclat d’Evgueni Prigojine. Pour le groupe Wagner, fort d’environ trente mille miliciens répartis entre les zones de combat en Ukraine et leurs terrains d’intervention en Afrique, ce week-end sera dans tous les cas de figure décisif. Soit le groupe, fort de son apparente popularité en Russie, profite de ce bras de fer pour se renforcer et acquérir encore plus d’influence. Soit il se retrouve pris pour cible par Vladimir Poutine qui, après une accalmie, pourrait chercher à éliminer cette force potentiellement dangereuse pour son pouvoir.

Quel avenir pour Wagner, fer de lance militaire de la Russie et renfort appréciable sur le terrain, à côté d’unités régulières de l’armée russe souvent démotivées et mal encadrées? Quatre scénarios sont possibles. Les voici.

Scénario 1: Wagner paie cher le prix de la rébellion d'Evgueni Prigojine

Evgueni Prigojine a défié Vladimir Poutine. Si l’on en croit les informations disponibles, vue l’impossibilité de vérifier l’accord scellé samedi entre les deux hommes par le président biélorusse Alexandre Loukachenko, la rébellion de la milice Wagner s’est soldée par un armistice. Le Kremlin a obtenu une victoire, en matant en quelques heures cette révolte militaire sans effusion de sang. Et le chef de Wagner peut se féliciter d’avoir fait trembler le haut commandement russe, contre lequel il se bat à coups de déclarations depuis des mois.


Or qui dit armistice ne veut pas dire fin des hostilités politiques. Provisoirement écarté, le danger Wagner va maintenant être analysé par le Kremlin et par le FSB, le service de renseignement russe, héritier du KGB. Va-t-on assister, malgré la promesse de Vladimir Poutine de ne pas s’en prendre aux miliciens, à des interpellations, voire à des exécutions. Prigojine lui-même est-il aujourd’hui en danger de mort? Si l’heure est à la vengeance, Wagner risque de payer le prix fort. Privée de son chef, la milice se retrouve exposée, donc vulnérable.

L'image résume une partie de l'équation politique russe: à son départ de Rostov sur le Don samedi soir, Evgueni Prigojine a été applaudi.
Photo: Anadolu Agency via Getty Images
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Scénario 2: Wagner se renforce, car Vladimir Poutine a besoin de ce groupe

Un terme revient depuis samedi et l’annonce du mouvement des miliciens Wagner en direction de Rostov-sur-le-Don: «Maskirovka». En russe, cela signifie diversion, dissimulation, manœuvre trompeuse. L’idée? Evgueni Prigojine le mercenaire et Vladimir Poutine le dictateur sont en fait alliés de circonstance face à un État-Major de l’armée russe enkysté dans ses pratiques d’antan, et miné par la corruption. Le groupe Wagner, selon cette thèse, serait donc le fer de lance de futures purges menées par Vladimir Poutine pour se débarrasser de ceux qui entravent son action. On a de la peine à croire à un tel scénario, mais il est impossible de l’écarter.


Dans ce cas de figure, les miliciens de Wagner pourraient, demain, se retrouver mobilisés au service du pouvoir russe, soit sur le front en Ukraine, soit sur d’autres théâtres. Cela signifierait qu'Evgueni Prigojine, depuis la Biélorussie, demeure leur chef et coordonne leurs agissements avec le Kremlin. Possible? En théorie oui. Crédible? Pas vraiment. Le président russe a publiquement promis de traduire en justice les miliciens de Wagner, avant d’accepter un règlement négocié de cette folle journée. Une chose est sûre: si Wagner se renforce, son chef, Evgueni Prigojine, deviendra plus puissant encore, donc plus dangereux pour le maître du Kremlin.

Scénario 3: Wagner se concentre sur le mercenariat en Afrique. Et ailleurs..

C’est l’une des thèses qui circule depuis la volte-face d’Evgueni Prigojine. Le chef de la milice Wagner aurait accepté de cesser d’intervenir dans le débat sur la guerre en Ukraine, et d’accuser systématiquement l’État-Major russe. En échange: sa milice obtiendrait davantage de moyens et de latitude pour intervenir à l’étranger, où elle joue le rôle de garde prétorienne au service de pouvoirs qui rémunèrent ses services en lui permettant de se payer sur l’extraction minière, les revenus douaniers ou d’autres ressources locales. On connaît l’exemple de la République centrafricaine, où les miliciens de Wagner combattent les groupes armés rebelles. Les mercenaires russes sont aussi au Mali. Ils seraient en contact avec les autorités du Burkina Faso. On les a repérés au Soudan.

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Une question demeure si tel est le choix conjoint d'Evgueni Prigojine et de Vladimir Poutine: que vont faire les milliers de miliciens Wagner déployés sur le front Ukrainien et engagés notamment dans la bataille de Bakhmout? S’ils se retirent, leur départ pourrait créer des brèches favorables à la contre-offensive ukrainienne. Autre interrogation: les pays occidentaux, notamment les États-Unis, vont-ils rester inactifs si Wagner prend de plus en plus d’importance hors des frontières de la Russie?

Scénario 4: Evgueni Prigojine abandonne Wagner, plus ou moins intégré à l’armée russe

L’on voit mal pourquoi le leader du groupe de mercenaires, défenseur de ses soldats et chantre du patriotisme russe «trahi» par les élites, abandonnerait la force qu’il a créée. Mais en Russie, tout est possible, surtout si le Kremlin a décidé d’acheter à coups de millions de dollars cet homme qui est avant toute chose un mercenaire. Selon ce scénario, Evgueni Prigojine deviendrait un oligarque de plus, et ses miliciens seraient progressivement intégrés aux forces armées russes. Il faut noter que cette intégration au sein d’unités régulières (où les nouvelles recrues sont souvent d’anciens détenus, comme dans la milice) était déjà prévue sur le front ukrainien.

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L’abandon de Wagner pourrait toutefois présenter un autre danger pour Evgueni Prigojine: celui de faire face à la vengeance éventuelle de ses anciens soldats. En bon chef mafieux, l’ancien voyou de Saint-Pétersbourg sait qu’un «parrain» a besoin de troupes et de soutiens pour exister. Surtout face à Vladimir Poutine. Pour l’heure, Wagner est une force qui compte en Russie et en Afrique. C’est aussi une troupe mercenaire qui rapporte beaucoup. Son abandon paraît dès lors très peu probable.

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