Quelles solutions possibles?
Les trois grands problèmes des réfugiés ukrainiens pour trouver du travail

En Suisse, le nombre de réfugiés ukrainiens ayant un emploi est le plus faible d'Europe. La Confédération, les cantons et les partenaires sociaux passent désormais à l'offensive. Voici un aperçu des problèmes et des solutions possibles.
Publié: 23.03.2024 à 10:08 heures
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Dernière mise à jour: 23.03.2024 à 10:23 heures
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Andreas Valda

Environ 68'000 réfugiés ukrainiens vivent en Suisse, mais seuls 23% des adultes parmi eux exercent un travail rémunéré après deux ans. Selon L'OCDE, il s'agit en 2023 – avec l'Italie – de l'un des taux d'activité les plus bas en comparaison européenne. La question se pose de savoir ce qui a mal tourné en Suisse, et comment remédier face à l'inégalité d'accès sur le marché du travail, notamment avec d'autres travailleurs étrangers venus par la voie régulière.

Ce contexte nourrit de plus en plus de critiques sur le fait que les réfugiés ukrainiens ont le privilège de rester, de partir ou d'entrer comme bon leur semble. Ils peuvent séjourner jusqu'à deux mois par an en Ukraine tout en conservant le statut S. Les voyages dans le pays en guerre sont étonnamment faciles. Flixbus, par exemple, propose un trajet de Zurich à Kiev pour 90 francs... huit fois par jour! Environ 25'000 réfugiés sont repartis de Suisse depuis le début de la guerre.

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Quel coût pour les réfugiés ukrainiens?

Le statut S proposé aux réfugiés ukrainiens permet un départ spontané. Pour le dire de manière un peu crue: la Suisse investit beaucoup dans l'accueil des réfugiés ukrainiens, qui, à tout moment, peuvent rentrer chez eux – le principe même du statut S. Depuis le début de la guerre, la Confédération a dépensé 2 milliards de francs pour le logement, l'assurance maladie, l'encadrement, les évaluations d'emploi et les cours de langue. D'ici fin 2024, ce sera 3 milliards. L'année prochaine, le budget prévoit d'ajouter 1,2 milliard supplémentaire, dans un contexte de budget fédéral déjà serré. Le montant pose des questions si on le compare au budget agricole de 3,6 milliards.

Travailler en Suisse ou repartir dans son pays d'origine, économiquement fragile? C'est la décision à laquelle sont confrontées de nombreux Ukrainiens qui ont fui leur pays. Le statut de protection S favorise ce dilemme.
Photo: IMAGO/NurPhoto

A cela s'ajoute le fait que les abus du statut S semblent se multiplier. Certains cantons ont découvert un nombre non négligeable de candidats au statut S qui tentaient d'obtenir un séjour en présentant de faux passeports ukrainiens. Le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) effectue depuis de nombreux contrôles, générant un surcroît de travail. Rien qu'en janvier et février de cette année, 3070 demandes ont été ajoutées, mais le statut de protection n'a été accordé qu'à 303 réfugiés. 91 personnes se sont vu refuser ce statut malgré leur passeport ukrainien.

Toutes ces situations créent un malaise au Parlement et dans les cantons, érodant la culture de l'accueil. Les réfugiés pourraient «représenter un défi pour certains groupes de population», écrit le Conseil fédéral dans un rapport publié vendredi dernier. Et pose une question de plus en plus pressante: comment la Suisse sort-elle du «système statut S»?

L'approche se durcit

La Confédération, les cantons et les partenaires sociaux prévoient de lancer une offensive pour l'emploi en avril. Mais les détails sont tenus secrets. Mais une chose est déjà sûre: les offices régionaux (ORP) doivent accélérer le processus de placement des réfugiés dans des emplois, car l'adéquation entre l'offre et la demande constitue un problème majeur. L'Union patronale suisse a connaissance de plusieurs entreprises qui emploient des Ukrainiens, mais qui «ne reçoivent pas ou très peu de candidatures», déclare le porte-parole Jonas Lehner. Dans ce domaine, les services devraient faire beaucoup mieux.

Le Conseil fédéral a récemment enfoncé deux pieux. En octobre, il a présenté un rapport qui esquisse les dures conséquences d'une suppression du statut S, comme l'expulsion massive dans un délai de six à neuf mois à la fin de l'année scolaire, le retrait du permis de travail et un retour forcé pour ceux qui ne veulent pas quitter le pays. Le Conseil fédéral n'a pas indiqué de date d'expiration.

En novembre, le Conseil fédéral a décidé que tout devait être entrepris à l'intérieur du pays pour que 40% des Ukrainiens capables de travailler aient un emploi d'ici la fin de l'année. Les doutes subsistent quant à la possibilité d'y parvenir. En même temps, les autorités savent qu'aux Pays-Bas par exemple, en août 2022, soit six mois seulement après le début de la guerre, 40% de tous les réfugiés ukrainiens avaient déjà un emploi. C'est donc possible.

Les réfugiés doivent faire des efforts

Ce message avait trois cercles de destinataires: les cantons, les employeurs et les réfugiés eux-mêmes. Depuis lors, les cantons sont tenus d'adopter une attitude plus ferme afin d'amener leurs protégés sur le marché du travail. Les associations faîtières de l'économie ont été invitées à proposer davantage d'emplois aux personnes désireuses de s'intégrer. «Les employeurs sont priés d'offrir des opportunités aux Ukrainiens», a déclaré le porte-parole du Secrétariat d'Etat aux migrations, Samuel Wyss, à la «Handelszeitung».

Et les réfugiés – après deux ans d'évaluations et de cours de langue – doivent maintenant s'efforcer de trouver un emploi. Le message est sans équivoque: «Le Conseil fédéral attend des personnes en quête de protection qu'elles travaillent», explique Samuel Wyss. Qui sont les personnes visées et quels sont les obstacles? Voici les trois problèmes persistants.

Problème 1: profil professionnel peu recherché

Parmi les réfugiés ukrainiens, 40'000 femmes et 13'000 hommes sont considérés comme aptes à travailler. Après le début de la guerre, on disait que les réfugiés étaient bien formés et que leur anglais était d'un bon niveau. Le premier point a été confirmé: 70% des personnes interrogées avaient un niveau scolaire supérieur. Mais un sondage réalisé il y a un an par la Haute école spécialisée bernoise sur mandat de la Confédération a montré que seuls 40% avaient de bonnes connaissances en anglais et que seuls 10% avaient la «connaissance» d'une langue nationale suisse, et ce, onze mois après le début de la guerre. En décembre, la valeur était de 14%. Selon l'Union patronale suisse, ces faibles connaissances linguistiques constituent toujours un obstacle dans la recherche d'un emploi.

Par ailleurs, l'étude a mis en évidence ce que les services cantonaux d'intégration observent depuis longtemps: de nombreux réfugiés ukrainiens sont issus du domaine de l'administration et des sciences humaines. Ce profil exige de très bonnes connaissances linguistiques sur le plan professionnel et n'est pas très recherché dans notre pays. Selon une enquête, des profils professionnels tels que la gestion, le support informatique, la technique de construction, la construction d'installations, le montage ou les soins de santé seraient recherchés. Exemple à Zoug: «Sur 400 réfugiés, nous n'avions que deux informaticiennes et trois femmes issues des professions de soins», explique Markus Truttmann, responsable de l'intégration professionnelle dans le domaine de l'asile. Selon lui, cela ne facilite pas les choses.

Problème 2: des exigences trop élevées en matière de travail

Combien d'étages les réfugiés doivent-ils descendre pour obtenir un emploi? La responsable des affaires sociales d'Aarburg, Martina Bircher, en a fait l'expérience. Cette commune du Mittelland accueille 25 réfugiés, dont la moitié travaille: «Nous avons récemment pu placer plusieurs jeunes réfugiés avec des contrats fixes dans des chaînes de restauration rapide», explique-t-elle. Ils ont ainsi pu se désinscrire de l'aide sociale en matière d'asile.

Martina Bircher, responsable des affaires sociales à Aarburg et conseillère nationale UDC, poursuit une stratégie d'intégration professionnelle rapide des réfugiés ukrainiens.
Photo: Keystone

Les succès remportés dans sa fonction font de la conseillère nationale UDC la porte-parole de la politique ukrainienne. Au Parlement, elle insiste depuis l'été dernier sur une intégration professionnelle plus rapide qu'auparavant. Pour ce faire, elle se réfère aux méthodes utilisées aux Pays-Bas et au Danemark, où plus de la moitié des réfugiés sont intégrés – 55%, dont 53% travaillent à plein temps, comme l'a rapporté le «New York Times» en février

Martina Bircher assure: «Pour un réfugié ukrainien, il vaut mieux accepter un emploi mal payé que pas d'emploi du tout. Celui qui travaille est intégré professionnellement, apprend la langue plus rapidement et a de plus grandes chances de progresser dans sa carrière.» Elle pense que de nombreux cantons sont trop tendres avec les réfugiés, et les excusent trop souvent en ce qui concerne la recherche d'un emploi. Selon elle, les cantons n'exercent pas assez de pression sur les réfugiés pour qu'ils trouvent un travail.

Ces cantons sont considérés comme des modèles

Markus Truttmann partage un avis similaire. Il a un regard sur 820 personnes au statut S. «Il y a deux grands facteurs de réussite pour trouver un travail: de bonnes connaissances linguistiques et la volonté d'accepter un travail plus bas dans le statut», affirme-t-il. Cette prise de conscience, qui consiste à s'engager professionnellement à un niveau inférieur à celui de l'activité précédente, nécessite un certain temps, explique Markus Truttmann.

Il cite des exemples positifs d'Ukrainiennes diplômées de l'enseignement supérieur qui ont commencé par faire des lits dans des hôtels, qui étaient déjà à la réception au bout de trois mois et qui ont continué à progresser par la suite. Si l'on prend l'exemple des Pays-Bas, la moitié des employés travaillent dans la restauration, l'agriculture et l'horticulture, où la formation universitaire ne sert pas à grand-chose.

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Zoug est considéré comme un modèle, tout comme Argovie et les Grisons. Le moteur de l'intégration professionnelle y est le tourisme, qui génère une demande essentielle, notamment les hôtels et les restaurants. Dans ce canton montagnard, 31% des réfugiés ukrainiens avaient un emploi fin février.

A l'autre bout du Léman, on trouve Genève avec un taux d'intégration professionnelle de 10%. Des rapports en provenance de Suisse romande laissent penser que les réfugiés ukrainiens y sont pris en charge par les mêmes structures que les demandeurs d'asile. La pression pour trouver un emploi est plutôt faible. Les spécialistes mettent surtout l'accent sur les problèmes et non sur les chances des réfugiés. A Genève, on se félicite d'avoir déjà accompli beaucoup avec un taux d'intégration de 10%.

Problème 3: perspectives peu attrayantes pour les employeurs

Alors que la perspective des réfugiés est désormais bien étudiée, aucune étude suisse ne montre ce qu'il en est de la volonté des entreprises d'embaucher des réfugiés ukrainiens. Les cas particuliers décrits dans les médias montrent les deux extrêmes: des patrons courageux qui intègrent en grand nombre des personnes désireuses de travailler. Et à l'inverse, des réfugiés qui postulent en permanence, mais essuient constamment des refus. Markus Truttmann, de Zoug, affirme que le canton ne peut pas obliger les employeurs à engager un Ukrainien ou une Ukrainienne.

Selon les employeurs, le manque de connaissances linguistiques est un problème. La Confédération et les cantons ont encore une marge de progression en matière de formation. Markus Truttmann ajoute qu'au début, il n'y avait pas de cours de langue intensifs.

Cela a changé depuis. Son canton propose aux jeunes réfugiés des cours de langue d'une demi-journée afin de progresser plus rapidement. L'expert temporise: «Il faut un à deux ans pour atteindre le niveau de langue A2. Ce n'est qu'à partir de ce niveau que l'on remplit les conditions pour être placé par l'ORP», explique Markus Truttmann.

Il se peut aussi que les exigences des entreprises suisses en matière de connaissances linguistiques soient plus élevées qu'aux Pays-Bas ou au Danemark. C'est ce que rapportent aussi bien les réfugiés que les professionnels. L'Union patronale suisse l'explique ainsi: «Un certain niveau de compétences en communication, que ce soit avec les collaborateurs, les supérieurs ou la clientèle, est important», déclare le porte-parole Jonas Lehner. Cela est d'autant plus vrai dans les secteurs où il y a des contacts avec la clientèle.

Risque: un départ possible à tout moment

Autre problème: une véritable intégration n'est pas du tout prévue. Le statut S est orienté vers le retour. C'est ce que dit la loi. En Suisse, il s'agit d'encourager les réfugiés de manière à ce qu'ils puissent retourner chez eux. La Confédération mise sur l'approche du «dual intent» (double objectif), recommandée par l'OCDE.

L'encouragement doit commencer le plus tôt possible afin d'éviter l'inaction et de soutenir les personnes de manière ciblée, explique-t-on au SEM. «La Confédération et les cantons misent ici, surtout pour les jeunes, sur le principe du travail par la formation. Les adolescents et les jeunes adultes doivent suivre une formation professionnelle ou une autre formation afin de réussir durablement leur intégration professionnelle», explique Adrian Gerber, responsable de l'intégration à la Confédération.

La volonté des réfugiés de rester en Suisse dépend de la volonté des entreprises d'investir dans ces personnes. Pour les emplois avec une longue période d'initiation, le risque d'un départ possible à tout moment est «un vrai problème», selon Markus Truttmann. L'organisation patronale exige une sécurité de planification en ce qui concerne le statut S. «C'est particulièrement vrai là où une longue période d'initiation est nécessaire», explique le porte-parole de l'association.

Jusqu'à présent, la loi stipule qu'aucun réfugié exerçant une activité professionnelle ne peut rester en Suisse une fois son statut S terminé. Cette situation est considérée comme une erreur. La Confédération envisage donc de modifier ce passage de la loi. La conseillère nationale Martina Bircher s'y oppose, mais des représentants du Centre font du lobbying en ce sens.

Débat sur une méthode d'intégration plus efficace

Finalement, les cantons devront se prononcer sur une méthode d'intégration: faut-il appliquer la méthode rapide «Zoug» ou la méthode lente genevoise? La Confédération incite actuellement tous les cantons à adopter une méthode accélérée, car l'issue de la guerre est incertaine. On envisage par exemple de donner l'ordre aux services sociaux de réduire les prestations d'assistance si les réfugiés ne sont pas prêts à s'intégrer, comme le permet la loi. On s'est jusqu'à présent abstenu de le faire. Martina Bircher s'en réjouirait.

Markus Truttmann a observé que certains réfugiés sont plus disposés à accepter un emploi lorsqu'on leur laisse entrevoir la possibilité de réduire les cotisations sociales. Il y a un an, 49% des personnes interrogées déclaraient ne pas être à la recherche d'un emploi. Il n'existe pas d'études plus récentes, mais ce chiffre a probablement augmenté. En septembre dernier, la moitié des employés ukrainiens au statut S gagnaient plus de 3000 francs, 14% plus de 5000 francs. Ils peuvent ainsi s'affranchir des services sociaux.

Le statut S est encore valable jusqu'en mars 2025. Tous les regards sont désormais tournés vers le Conseil fédéral. Va-t-il le prolonger à nouveau d'un an? Le syndicat faîtier Travail.Suisse le demande: «On donnerait ainsi aux personnes avec le statut S une perspective d'intégration plus claire et aux employeurs une perspective d'embauche», explique la porte-parole Lisa Schädel. La Confédération imposerait donc deux choix seulement: rester et s'intégrer, ou repartir en Ukraine.

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