Rishi Sunak, trop élitiste pour l'emporter?
Au 10, Downing Street, le duel des deux Angleterre attendu lundi

L'ancien Chancelier de l'Échiquier Rishi Sunak est de nouveau en lice pour la nomination au poste de Premier ministre britannique, attendue lundi 24 octobre. Mais Boris Johnson entend bien barrer la route à ce représentant de l'élite et de la finance.
Publié: 21.10.2022 à 13:32 heures
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Dernière mise à jour: 21.10.2022 à 16:42 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Deux Angleterre. Deux itinéraires. Deux parcours au sein du parti conservateur, qui garde une nette majorité de 357 sièges (sur 650) à la Chambre des communes, obtenue à l’issue des élections législatives de décembre 2019. Deux possibles remplaçants de la Première ministre démissionnaire, Liz Truss, même si «Bojo», chef du gouvernement entre juillet 2019 et septembre 2022, risque de trouver devant lui un terrain sacrément miné s’il cherche à revenir dans la course.

C’est ce lundi 24 octobre que le parti conservateur tranchera pour désigner le successeur de celle qui restera comme la plus brève locataire du 10, Downing Street, avec moins de six semaines aux rênes du pays, entrecoupées par la période de deuil de la reine Elizabeth II. Trois candidats, forts chacun de cent parrainages d’élus, se disputeront ce jour-là les suffrages des «Tories». Deux femmes, les ex-ministres Penny Mordaunt et Suella Braverman, sont aussi sur les rangs.

Rishi contre Boris: deux destins

Candidat souvent donné favori, Rishi Sunak, 42 ans, est aujourd’hui en tout point l’opposé de Boris Johnson, 58 ans, qui rêve de prendre sa revanche après avoir été contraint de quitter le pouvoir à la suite du scandale du «Partygate», ces soirées ministérielles relaxes en plein confinement.

L'ancien Premier ministre Boris Johnson (à gauche), qui a quitté le pouvoir le 6 septembre dernier, doit largement sa chute à l'ex-Chancelier de l'Échiquier Rishi Sunak (à droite). S'il ne parvient pas à revenir dans la course au 10, Downing Street, «Bojo» fera sans doute tout pour éliminer son rival.
Photo: AFP

Aujourd’hui… parce qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Le politicien d’origine indienne, élu de Richmond (dans le comté d'York), a en effet d’abord été l’un des plus chauds partisans de «Bojo» lorsque ce dernier a décidé, fin 2015, de prendre la tête du camp pro-Brexit en vue du référendum du 23 juin 2016. Avec, entre les deux, des rôles bien répartis. A Rishi, la définition d’une politique économique basée sur le retour des investisseurs étrangers et une supposée multiplication des accords de libre-échange avec le reste du monde. A Johnson, tribun populiste sans pareil, le soin de séduire l’électorat populaire pro-Brexit et d’imposer sa loi à Bruxelles.

On sait ce qu’il en est advenu: une négociation interminable avec la Commission européenne, en particulier sur la frontière nord-irlandaise. Et un brouillard économique devenu tempête depuis que l’inflation a décollé, pour atteindre 10% en septembre dernier au Royaume-Uni.

Haro sur les «Trussonomics»

Banquier d’affaires, marié à la fille d’un milliardaire indien, Rishi Sunak a toujours pensé que l’Union européenne, ses règles et ses normes entravaient un «cavalier seul» prospère du Royaume-Uni dans une mondialisation dominée par ses pairs de la City de Londres. Tout, chez ce financier naturellement tourné vers l’Asie, le porte à regarder vers ce qui reste de l’ancien Empire Britannique. Son Angleterre est celle de l’élite. Son plaidoyer pour le divorce avec l’UE est celui d’une élite britannique convaincue que l’arrimage aux États-Unis, c’est-à-dire à Wall Street, est ce qui fait avant tout la différence.

Désigné en février 2020 Chancelier de l’Échiquier, c’est-à-dire ministre des Finances, Rishi Sunak mise sur une partition libérale, mais avec la conscience des difficultés à venir. Pour lui, l’équilibre budgétaire est la clé. Les «Trussonomics», la politique proposée par Liz Truss de baisse massive des impôts, ne tient pas la route. Son programme, en ceci, est plus proche de celui de Margaret Thatcher. Toujours avantager les entreprises, mais ne jamais laisser déraper la livre sterling, quintessence de la souveraineté nationale.

Boris Johnson en embuscade

Boris Johnson n’est, pour l’heure, pas encore candidat déclaré au retour au 10, Downing Street. Mais s’il revient, sa plate-forme sera à coup sûr aux antipodes de celles de Rishi Sunak, auquel il ne pardonne pas sa démission le 5 juillet 2022, ouvrant la voie à une crise impossible à surmonter.

Tous deux anciens élèves de l’université d’Oxford, les deux hommes sont dans les faits aux antipodes. Sunak manque d’empathie. Ses origines – il serait le premier chef de gouvernement non blanc de l’histoire à la tête du Royaume – lui valent l’inimitié d’une partie de l’électorat conservateur que «Bojo» courtise avec son coté «punk» et ses mensonges à répétition.

L’image donnée par le quotidien populaire «The Sun» est révélatrice. Pour ce journal, Rishi Sunak est un lévrier, dressé pour la course, tandis que Boris Johnson est un bouledogue, rompu à l’affrontement. Avec, en arrière-plan, une question: l’avenir des franges populaires du parti conservateur qui, désabusées si «Bojo» ne revient pas, pourraient décider de se venger en votant travailliste lors des prochaines législatives. Lesquelles doivent se tenir au plus tard en décembre 2024.

Difficile de faire des politiques très différentes

Sunak ou Johnson? Boris ou Rishi ? La vérité est que dans l’état actuel de l’économie britannique, considérablement fragilisée par la guerre en Ukraine, les tensions commerciales internationales et la hausse des prix de l’énergie, la politique des deux hommes ne sera guère différente s’ils accèdent au pouvoir. Le plus probable, coté Johnson, est qu'il joue à fond la carte de la puissance militaire face à Poutine, dont il est devenu l’un des principaux opposants européens, visitant plusieurs fois Kiev. Sunak, lui, sera l’homme des marchés, avant tout fixé sur les défis budgétaires et monétaires.

Deux Angleterre pour un même défi: retrouver un dessein commun à un pays que leurs frasques, et leur incapacité à transformer le Brexit en atout, ont contribué à diviser et à mettre à genoux.

Retrouvez Richard Werly à LCP jeudi 20 octobre sur le départ de Liz Truss:

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