Un ex-employé de la centrale de Zaporijia
«La terreur nucléaire de Poutine menace aussi la Suisse»

Un ex-employé de la centrale nucléaire de Zaporijia assure que les conséquences d'un accident sur le site surpasseraient l'utilisation d'armes nucléaires par Poutine sur le terrain ukrainien. En cas d'accident sur la centrale, la Suisse serait également menacée.
Publié: 05.10.2022 à 06:11 heures
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Dernière mise à jour: 05.10.2022 à 08:59 heures
Samuel Schumacher (à Zaporijia)

Les menaces de Vladimir Poutine sur l'utilisation d'armes nucléaires ne sont pas les seules à peser sur l'Ukraine et l'Europe. Les attaques incessantes de l'armée russe sur la centrale nucléaire de Zaporijia, au sud-est de l'Ukraine, sont tout aussi dangereuses. «Il n'y a aucune différence entre les attaques contre cette centrale nucléaire et une attaque avec une arme nucléaire tactique», avait même souligné la semaine dernière le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Pour Maksim*, ancien responsable de la sécurité nucléaire de la centrale pendant treize ans, le dirigeant ukrainien se trompe. «Un accident dans la centrale nucléaire ici serait bien pire qu'une bombe atomique. L'air, la pluie, la nappe phréatique: tout serait ensuite contaminé pendant des années. Selon les vents, tout le continent pourrait être touché. La Suisse aussi est menacée!»

L'Ukrainien connaît le fonctionnement de la plus grande centrale nucléaire d'Europe sur le bout des doigts: avec ses six réacteurs, elle est plus performante que les quatre centrales nucléaires de Suisse réunies. Lorsque les Russes ont commencé à bombarder le site de la centrale nucléaire ainsi que les immeubles d'habitation des collaborateurs, Maksim a pris la fuite. «Je suis terrorisé, tremble l'ancien employé. Pas seulement pour moi et l'Ukraine, mais pour le monde entier.»

La centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijia est la plus grande centrale nucléaire d'Europe.
Photo: AFP
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La moitié du personnel de la centrale a fui

Le grand homme aux yeux noirs de jais se tient dans l'entrée d'une maison à la périphérie de Zaporijia. Il refuse que son vrai nom figure dans les médias pour protégér sa famille dans la zone occupée. Beaucoup de ses connaissances ont déjà été enlevées par les Russes, torturées à coups d'électrochocs et de matraques. Certaines ne sont jamais revenues. «C'est comme dans un film d'horreur», compare Maksim. En début de semaine, plusieurs missiles russes ont à nouveau frappé le site de la centrale nucléaire. «Ces soldats n'ont aucune idée de la dangerosité de ce qu'ils font», se désespère l'Ukrainien.

La situation sur place est complexe: la Russie occupe certes la zone située au sud de la région de Zaporijia, mais elle refuse de prendre le contrôle de la centrale. Les travailleurs ukrainiens doivent maintenir cette dernière en activité dans des conditions très difficiles. Il y a quelques jours, le directeur de la centrale nucléaire a été temporairement enlevé par les Russes afin de continuer à faire pression sur le personnel.

Près de la moitié des collègues de travail de Maksim continuent de braver les circonstances actuelles extrêmes. «Au lieu de six chefs d'équipe, nous n'en avons plus que trois, au lieu de douze contrôleurs, nous n'en avons plus que six par équipe.» Sur 150 pompiers, il n'y en aurait plus que 80. Parfois, les occupants russes ne les laisseraient tout simplement pas quitter le terrain. Les changements d'équipe sont alors impossibles. Les employés de la centrale nucléaire, épuisés, doivent donc retourner aux guichets de contrôle au lieu de se reposer.

«Dangereux bien au-delà de l'Ukraine»

Les réacteurs de la centrale de Zaporijia ont tous été arrêtés. «Mais le refroidissement des éléments combustibles doit être assuré 24 heures sur 24 pour éviter une fusion du cœur», explique Olga Kosharna, membre de l'autorité nationale de régulation nucléaire ukrainienne. Sans apport d'électricité de l'extérieur, la tâche est impossible. Or, avec leurs attaques, les Russes menaceraient massivement l'approvisionnement en électricité du site.

«Ce que fait la Russie n'est rien d'autre que de la terreur nucléaire», accuse Olga Kosharna dans un appel visio accordé à Blick. Les types de réacteurs sont certes différents de ceux de Tchernobyl et ont été récemment équipés d'un toit en acier renforcé. «Mais une catastrophe menace, qui pourrait être dangereuse bien au-delà de l'Ukraine.»

Pour la spécialiste, tout cela n'est autre qu'une tentative de chantage extrême. «Les Russes veulent que nous nous asseyions avec eux et que nous négociions parce que les choses vont mal pour eux sur le front.» Mais les Ukrainiens ne se laissent pas faire. Il serait bien plus important de mettre en place une zone de protection autour de la centrale nucléaire, comme l'a également demandé le chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) lors de sa visite à Zaporijia début septembre.

Ultime recours: les comprimés d'iode

Le Conseil de sécurité de l'ONU serait compétent en la matière, explique l'experte nucléaire Olga Kosharna. «Mais il faudrait d'abord expulser les Russes de cet organe pour qu'il puisse même prendre des décisions.» La seule alternative serait que l'Ukraine reprenne le contrôle de la zone autour de la centrale nucléaire.

Et si tout cela n'aboutissait pas? Et si la «terreur nucléaire» conduisait au pire? Maksim hausse les épaules: «Eh bien, je ferai ce qu'ils nous ont appris à la centrale nucléaire: fermer les fenêtres, avaler des comprimés d'iode, regarder dans quelle direction le vent souffle - et fuir dans l'autre direction. Il ne reste pas grand-chose d'autre à faire.»

*Nom connu de la rédaction

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