Commentaire de Daniella Gorbunova
Est-ce qu'on peut foutre la paix aux expats russes qui n’ont rien fait?

En ce 9 mai, grande fête nationale en Russie pour la commémoration de la victoire sur l'Allemagne nazie, notre journaliste alerte sur le sort des expatriés russes à l'étranger. Sont-ils en train de devenir des citoyens de seconde zone, en Suisse et en Europe?
Publié: 09.05.2023 à 16:52 heures
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Dernière mise à jour: 12.05.2023 à 09:38 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Comme des milliers d’expatriés russes, je n’ai jamais voté pour Poutine (pour autant qu’il soit vraiment possible de voter, dans son royaume). Je n’ai pas non plus choisi de quitter définitivement la Russie lorsque j’étais enfant.

Tout comme je n’ai pas choisi de ne pas encore être naturalisée, dans un pays dans lequel j’ai pourtant grandi, étudié et travaillé la plus grande partie de ma vie. Un pays dans lequel je me suis toujours sentie parfaitement intégrée et légitime, malgré l’absence du passeport rouge — jusqu’à présent.

Pourtant, depuis un an, quelque chose est en train de changer. Lentement, furtivement, mais sûrement.

Notre journaliste s'inquiète du sort des expats russes à l'étranger, depuis le début de la guerre. (Image d'illustration: une manifestante contre la guerre se fait arrêter à Moscou)
Photo: keystone-sda.ch

N’étant pas une personne racisée, j’ai eu le privilège de ne jamais devoir subir le racisme «direct», frontal: celui du type qui t’insulte ou qui te crache à la gueule dans la rue. Ce n’est pas écrit «russe» sur la tête des Russes, heureusement.

Quand les innocents aussi dérangent

En revanche, le mot «russe» figure sur nos permis de séjour ou d’établissement. Et, apparemment, on commence à poser problème. Pas les oligarques, pas ceux qui soutiennent explicitement le régime et la guerre en Ukraine, pas les agents de renseignement: nous, les gens ordinaires, qui ne disons rien, ou condamnons sans pour autant en faire toute une démonstration publique. Nous qui sommes venus chercher refuge, ou s’installer fortuitement en Europe ou en Suisse bien avant, pendant ou après le 24 février 2022.

J’ai compris que nous aussi, les quidams, les Madame et Monsieur tout le monde, commencions à «déranger», lorsque j’ai reçu, en avril 2023, une lettre de ma banque. L’UBS m’y enjoignait de lui transmettre une copie de mon permis C d’ici à un mois et demi — sinon, mon compte serait bloqué.

Ou lorsque j’ai entendu une «pote» me dire que le manque de démocratie dans mon pays d’origine était une preuve de la nature encore «barbare» de mon peuple (reformulé poliment).

Les Conventions de Genève sont universelles

Ou, pire, lorsque j’ai appris que certains de nos voisins européens sont passés aux choses sérieuses: en Lituanie, par exemple, les Russes n’auront bientôt plus le droit d’acquérir des biens immobiliers, ou de demander la citoyenneté du pays. Sommes-nous vraiment en train de devenir des citoyens de seconde zone, en Suisse et en Europe?

Les réfugiés russes sont aussi des réfugiés. Qui doivent être protégés par les Conventions de Genève (entre autres), à l'image de tous les autres. Et les expats russes qui vivent là depuis des années ne sont pas devenus des espions du Kremlin du jour au lendemain.

Donc, si on invoque, à juste titre, le droit international pour condamner l’invasion russe de l’Ukraine et accueillir les réfugiés ukrainiens, invoquons-le aussi pour rester justes envers ceux qui ont fui un régime autoritaire qu’ils n’ont pas choisi. Et pour protéger ceux qui n’ont rien dit, rien demandé, rien fait. Être russe n’est pas un crime en soi.


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