Commentaire
Le Parlement doit cesser de coucher avec les cow-boys Marlboro

Nos autorités, droguées à l'industrie du mégot et sa thune, ne bougent que lorsque la pression populaire se fait aussi forte que des Gauloises sans filtre. Et encore, elles (s')étouffent. Pourtant, une politique de prévention efficace pourrait aussi rapporter gros.
Publié: 13.02.2022 à 13:50 heures
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Dernière mise à jour: 13.02.2022 à 15:43 heures
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Amit JuillardJournaliste Blick

Une grosse Suisse molle existe bel et bien. Celle de la prévention contre le tabagisme. A chaque fois que le Parlement fédéral empoigne — sous la contrainte — le sujet de sa main très droitière, il débande. Faibles, les autorités s’activent uniquement lorsque la pression citoyenne, sous forme d’initiatives parfois, devient sans filtre et vachement moins light. Enfin… Elles réglementent timidement, par peur de voir les lassos des cow-boys Marlboro claquer.

Pourquoi être si libéral face à cette drogue dure et refuser de légaliser les autres? A quand une vraie politique de lutte contre la clope au pays des cigarettiers? Quitte à régulièrement se voir comme une île, autant prendre exemple sur l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Paquet — neutre — à près de 25 francs, interdiction totale de la publicité, produits cachés dans des armoires chez les revendeurs: une solution multiple mais simple pour abaisser un taux de fumeurs adultes de 25 à 12% en vingt ans. A 6%, même, chez les moins de 18 ans.

La camarde, cette chimère

En Suisse, où la (fausse) liberté individuelle de s’en griller une est érigée en étendard de toutes les autres, les pourcentages actuels font tousser: 32% des 15-24 ans et 27% des adultes sont sous l’emprise. Le lobby du mégot, ultra-influent à Berne comme presque nulle part ailleurs dans le monde, peut mettre en avant toutes les études — financées par ses soins ou non — prouvant que certaines mesures isolées des autres sont inefficaces ou agiter le spectre du marché noir: les chiffres ne mentent pas.

Paquet neutre à 25 francs, interdiction totale de la publicité, produits cachés dans des armoires chez les revendeurs: autant de mesures efficaces que la Suisse refuse de prendre.
Photo: Keystone/Anthony Anex

Mais voilà, le pouvoir politique est accro à l’industrie du tabac. Impossible pour lui de s’en défaire. Il croit l’aimer. Aimer ses 11’400 emplois directs et indirects. Ses 6,3 milliards de retombées économiques et fiscales annuelles (dont 2,1 milliards pour l’AVS). Il s’accommode de la camarde, cette chimère. De toute façon, les quelque 38’000 morts de la cibiche (environ 9500 par an) durant la législature précédente ne peuvent plus voter. Et après tout, les pauvres en meurent plus que les riches.

Quand la diplomatie suisse s’ingère à la demande de Philip Morris dans les affaires du Parlement moldave en 2019 au moment où il s’apprête à voter une loi anti-tabac, on applaudit (derrière des portes closes). Mais lorsqu’il faut agir pour la santé publique en chatouillant un peu Big Tobacco, les mêmes mains restent dans les poches.

Gamins indonésiens au chevet de Big Tobacco

L’addiction rend aveugle. Le monde politique suisse refuse de voir le cendrier à moitié vide. Alors parlons son langage. Parlons grosses thunes. Les coûts socio-économiques du tabagisme sont immenses et pourraient même en dépasser les bénéfices. Quelque 10 milliards par an, si l’on inclut les coûts de la santé (3 milliards), l’impact sur l’économie (2 milliards) et la perte de qualité de vie (5 milliards). Ah! Un dernier chiffre peut-être: un franc investi dans la prévention pourrait en rapporter 41.

Et puis surtout, n’ayez crainte. Les fabricants, qui promettent de travailler à un monde sans fumée en faisant la promotion de produits qu’ils présentent comme moins nocifs, ont encore de beaux jours devant eux. Ils pourront toujours se réjouir de voir des gamins torailler comme des vieux pompiers en Indonésie ou en Egypte. Les marchés des pays du Sud garderont Philip Morris International, British American Tobacco et Japan Tobacco International sous assistance respiratoire encore un moment. Ça tombe bien: trois quarts de la production made in Switzerland sont exportés. Alors, on écrase?

Note: l’auteur de ces lignes déclare ses intérêts. Il finance l’industrie du tabac à hauteur de près de 3000 francs par an.

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