Débat sur le Röstigraben
«Les Romands restent davantage europhiles!»

Les rédacteurs en chef alémanique et romand de Blick débattent sur les thèmes qui questionnent le Röstigraben. La décision de reléguer l’accord-cadre aux oubliettes en fait partie.
Publié: 06.06.2021 à 09:13 heures
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Dernière mise à jour: 07.06.2021 à 09:00 heures
Michel Jeanneret et Christian Dorer

Bye bye l’accord-cadre censé soutenir la voie bilatérale avec l’Union européenne. Le 26 mai, le Conseil fédéral a créé une onde de choc en tirant un trait définitif sur six années de négociations. Comment Romands et Alémaniques ont-ils vécu cet événement historique? Christian Dorer, rédacteur en chef du groupe Blick, et Michel Jeanneret, rédacteur en chef romand de Blick en débattent.

Pour les Romands, la question de l'accord-cadre est étonnamment secondaire.

Qu'est-ce qui te fait dire ça?

Notamment cet indice intéressant: après cette décision historique du Conseil fédéral, l'éditorial du «Matin Dimanche» ne concernait pas l'accord-cadre, mais la rencontre entre Poutine et Biden à Genève... Le seul article sur la rupture des négociations se trouvait quelque part loin dans le journal et traitait l’info sous l’angle de la réélection de Cassis et Keller-Sutter. Et ce n'est pas non plus un sujet de discussion dans les cercles privés. Qu’est-ce que ça dit, de l’autre côté du Röstigraben?

Les réactions dans les médias alémaniques ont été plutôt critiques. Le Conseil fédéral est accusé d'avoir négocié pendant sept ans sans résultat. En même temps, j'ai le sentiment que beaucoup de gens sont fiers du Conseil fédéral, parce qu'il a pris une décision courageuse.

Selon un sondage Interpharma, 73% des Romands étaient en faveur d'un accord-cadre, contre 61% des Alémaniques. Nous sommes davantage conscients que nous avons besoin de l'UE et de la voie bilatérale. La crainte de conséquences négatives est plus grande chez nous, parce que nous sommes aussi une minorité en Suisse. Néanmoins, je crois que la décision sur l'accord-cadre unit les Suisses romands et alémaniques.

Les Suisses alémaniques ont pourtant le sentiment que les Romands sont plus europhiles et que nous attachons plus d'importance à notre indépendance... Pourquoi penses-tu que la fin de l'accord-cadre unit la Suisse?

Parce qu’on est beaucoup moins europhiles aujourd'hui qu'avant. J'en suis moi-même un bon exemple: le 6 décembre 1992, j'ai manifesté dans la rue et j'étais hyper en colère contre les Suisses alémaniques pour leur «non» à l'EEE. J'avais 19 ans, et ma colère s'est beaucoup calmée depuis. J'ai réalisé que la voie bilatérale correspondait à nos institutions. Et toi, tu as vécu comment le vote sur l'EEE?

J'étais au gymnase à l'époque et encore trop jeune pour avoir le droit de vote. Mes camarades et moi-même étions également favorables à l'EEE, mais de manière plutôt prudente. Christoph Blocher exerçait une certaine fascination sur nous parce qu'il partait au combat seul contre tous. Nous nous sommes demandé s'il n'avait pas raison, après tout. C'est pourquoi nous avons été surpris, mais pas indignés, peut-être même soulagés, par ce refus de justesse.

Pour nous, Blocher était l'image même de l'ennemi. Il incarnait précisément le type de Suisse alémanique que nous n'aimions pas en Suisse romande. A l’époque, c'était un tabou absolu de dire qu’on était d'accord avec Blocher. Même les personnes qui ont rejeté l'adhésion à l'EEE n’osaient pas vraiment le dire.

Blocher polarise également en Suisse alémanique, même aujourd'hui. Un peu moins maintenant, étant donné que l'époque où il combattait en première ligne est révolue.

Aujourd'hui, je dois reconnaître qu’il y a beaucoup de Romands qui se disent «Dieu merci, il y avait quelqu'un qui posait les bonnes questions à l'époque».

Le problème de l'Europe, c’est la libre circulation des personnes. En Suisse alémanique, l'opinion selon laquelle trop de personnes ont immigré en Suisse ces dernières années est profondément ancrée. Les prix des logements ont explosé, les routes et les trains sont surchargés et les infrastructures n'ont pas été développées assez rapidement. Ce malaise a éclaté en 2014 dans le «oui» à l'initiative sur l'immigration de masse. Beaucoup sont même prêts à accepter que nous soyons pénalisés sur le plan économique afin de réduire l'immigration.

Nous, nous avons beaucoup de zones frontières. Les Genevois, par exemple, sont bien conscients qu'ils sont totalement dépendants de la main-d'œuvre étrangère en provenance de la région frontalière. Cela explique qu’il y avait un profond désaccord entre Romands et Alémaniques au sujet de l'initiative sur l'immigration de masse. La Suisse romande a voté clairement contre. Cela montre que les Romands sont plus ouverts sur le monde que les Alémaniques.

Cela n'a pour moi rien à voir avec l’ouverture au monde. Je pense qu'il est légitime qu'un pays réglemente le nombre de personnes autorisées à immigrer. En Suisse alémanique, les politiciens européens qui défendent l'État-nation sans dériver vers le populisme sont bien accueillis. Quand Blick.ch écrit par exemple sur le chancelier autrichien Sebastian Kurz, l’intérêt est très fort. Quels sont les politiciens européens qui sont bien accueillis en Suisse romande?

Il n'y a pas vraiment de figure européenne qui domine le débat politique en Suisse romande. Surtout pas Macron: c’est une immense déception pour les Romands. Il voulait relancer la grande idée européenne et a échoué lamentablement.

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